Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jeunes (les) (suite)

 G. Berger, l’Homme moderne et son éducation (P. U. F., 1962). / E. Morin, l’Esprit du temps (Grasset, 1962). / P. Bourdieu et J. C. Passeron, les Héritiers. Les étudiants et la culture (Éd. de Minuit, 1964). / W. J. Goode, The Family (New York, 1964). / S. N. Eisenstadt, Modernization : Protest and Change (New York, 1966). / M. Debesse, les Étapes de l’éducation (P. U. F., 1967). / F. Boulard, J. Rémy et M. Decreuse, Pratique religieuse urbaine et régions culturelles (Éd. ouvrières, 1968). / M. Souchon, la Télévision des adolescents (Éd. ouvrières, 1969). / A. Michel, la Sociologie de la famille (Mouton, 1970). / L. Michaux, les Jeunes et l’autorité (P. U. F., 1972).

Jeunes Gens en colère

Mouvement né en Grande-Bretagne et qui se développa dans les années 1955-1965, regroupant dans une même critique des valeurs traditionnelles de la société britannique et de la civilisation moderne, mais sans former à proprement parler une « école », des romanciers, des poètes, des critiques, des dramaturges, des cinéastes.



« L’inertie de ceux qui détiennent l’intelligence est le tragique paradoxe de l’ère de l’atome [...] »
(B. Hopkins)

Chez les Anglais, toujours, la réaction se manifeste avec énergie dès qu’un certain équilibre menace de se rompre. Les rudes batailles raison-imagination et religion-licence en apportent le témoignage. Or, voici que les espoirs du début du xxe s. ne se réalisent pas. Après l’exaltation disciplinée, l’engagement réfléchi, la production éclatante des années 20 à 30, un malaise s’installe. La génération montante, comme celle de la beat literature outre-Atlantique, constate que le siècle s’enlise. Alors, à côté de l’éternel : « Je n’aime pas la sorte de société où je vis » (Osborne), se découvrent les symptômes d’une nouvelle adolescence de la littérature. « Le goût sec de la futilité traîne dans la bouche de tous » (B. Hopkins), et, tandis que D. Lessing affirme son désenchantement (« je cherchais la chaleur, la compassion, l’humanité, l’amour des gens [...] qui [...] manquent à la littérature d’aujourd’hui »), on assiste à un véritable heurt contre la « culture scientifico-humaniste » (S. Holroyd). Une telle attitude s’accommode mal des débats académiques de cénacles. On comprend mieux de ce fait que les Angry Young Men — ou dissentients, comme préfère les appeler K. Allsop — refusent l’étiquette de « groupe » qu’on leur accole après Angry Young Man, le livre de Leslie Paul. Ainsi s’explique aussi que la révolte ne se limite pas aux seuls participants à la Déclaration (1957), Doris Lessing (The Small Personal Voice), Colin Wilson (Beyond the Outsider), John Osborne (They call it Cricket), John Wain (Along the Tightrope), Kenneth Tynan (Theatre and Living), Bill Hopkins (Way without a Precedent), Lindsay Anderson (Get Out and Push !).


« Une vision de la vie fermement saisie [...] »
(D. Lessing)

Le nombre et la diversité des personnalités pas plus que les divergences, voire les oppositions, ne sauraient masquer le dessein très net de ce type d’écrivain peu porté aux nuances de langage ou au repli dans sa tour d’ivoire. Au premier chef, il doit réveiller le public, secouer son apathie, et « les tactiques de choc sont ici permises » (Holroyd). Quittant les hauteurs du snobisme déploré par Lindsay Anderson, il « parle d’individu à individu » comme Lessing dans Children of Violence (1952-1969). Enfin, parce qu’il possède le « sens de la crise » (Holroyd) et cet « esprit de désespoir » que Hopkins introduit dans son roman The Divine and the Decay (1957) et qu’il considère comme « la seule attitude pouvant [...] arracher à cette non-vie qui est la nôtre », le jeune homme en colère se présente à l’image du célèbre Outsider (1959). Colin Wilson (né en 1931), auteur par ailleurs d’essais (Religion and the Rebel, 1957 ; The Age of Defeat, 1959 ; The Philosophy of the Future, 1964) et de romans (Ritual in the Dark, 1960 ; The Black Room, 1971), prêche dans une sorte d’évangile de l’orgueil, de la liberté et de l’énergie destructrice sa « réaction contre les valeurs de la masse », la « révolte contre le désir de la populace conditionnée pour la sécurité ». Stuart Holroyd (né en 1933) [Emergence from the Chaos, 1957 ; Flight and Pursuit..., 1959] pense pouvoir arriver au même but par les voies de la religion. Mais l’expression la plus célèbre du défi dans le domaine du roman reste chez trois autres contempteurs de l’« establishment ». Kingsley Amis (né en 1922) s’attaque avec humour à la société bourgeoise dans des romans pleins de saveur, Lucky Jim (1954), That Uncertain Feeling (1955) ou One Fat Englishman (1963), par exemple. John Braine (né en 1922) à son tour malmène cette société si décriée et si tentante à la fois (Room at the Top, 1957), et, si son The Vodi (1959) pèche par excès de symbolisme, son dernier roman (Stay with me till the Morning, 1970) se révèle une excellente analyse humaine. Enfin, John Wain, le plus jeune (né en 1925), s’attache à peindre l’absurdité du monde moderne à travers ses romans et ses contes, de Hurry on Down (1953) à The Young Visitor (1965) en passant par Nuncle (1960). La critique ne se fera pas faute de souligner, en même temps que sa violence, le caractère assez équivoque et éphémère de la colère de ces « jeunes gens », dont les héros, Jim Dixon (Lucky Jim), Joe Lampton (Room at the Top et Life at the Top), Charles Lumley (Hurry on Down), symbolisent leur attitude quelque peu contradictoire à l’égard de leur milieu. Plus dur et plus pur (Key to the Door, 1961), Alan Sillitoe, né en 1928 dans un milieu ouvrier, connaît le succès avec Saturday Night and Sunday Morning (1958) — au son direct, authentique, repris en film par le « free cinema » (auquel appartient L. Anderson), qui poursuit dans le septième art l’action des Angry Young Men — et ne cache pas ses sympathies politiques dans Road to Volgograd (1964).

Pour ces écrivains des années 50, la forme doit se montrer le moins littéraire possible, le plus naturelle, le plus proche du langage quotidien. Un nouveau réalisme naît qui n’accepte rien du réalisme minutieux psychologique et introspectif des romans de Joyce ou de Woolf, leurs aînés. Fondé sur les faits enregistrés avec rigueur, il se veut non interprété, dépouillé de l’abstraction comme de l’érudition, profondément ancré dans la vie de tous les jours, percutant et direct, ce qui conduit parfois à la négligence du style et au relâchement de la composition, peu appréciés de beaucoup et en particulier de Somerset Maugham.