Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jésus (suite)

Profondément enraciné dans la tradition de son peuple et en même temps radicalement libre, Jésus se montre d’une audace surprenante. Il laisse entendre qu’il est le Messie en un sens différent de celui qu’on tient couramment, il suggère qu’il est le Fils de l’homme, le Fils par excellence. Sans doute, les évangélistes ont-ils souligné et explicité ces déclarations messianiques, mais les théories selon lesquelles les premiers chrétiens auraient prêté à Jésus leurs propres conceptions sur sa personne ne rendent pas compte des données littéraires. Par son comportement comme par certaines de ses paroles, Jésus a ouvert ses contemporains au mystère de sa personne. Beaucoup d’hommes forcent l’admiration et appartiennent au patrimoine qui fait honneur à l’humanité ; aucun n’a eu comme Jésus la prétention de rassembler tous les hommes à sa suite. Il faut bâtir sur ses paroles comme si elles étaient de Dieu même, et cela parce que Jésus déclare être dans une relation unique avec Dieu : « Nul ne connaît le Père sinon le Fils. » Une question demeure posée à tous les temps, aux yeux de l’historien lui-même, comme jadis aux contemporains de Jésus.


La question posée par les disciples de Jésus

L’historien bute sur un autre problème, celui du comportement des disciples après la mort de Jésus. Voici des hommes qui, après avoir suivi Jésus durant son ministère, après avoir espéré qu’il rétablirait le royaume d’Israël, se sont dispersés, découragés, et s’en sont retournés à leur ancienne profession. Or, quelque temps après l’échec de Jésus mort sur la croix, voici que, unanimes, ces hommes osent affirmer à la face de leurs compatriotes hostiles et du monde entier que ce Jésus est vivant, ressuscité d’entre les morts (Actes, ii, 22-24). Et ils se mettent à proclamer la Bonne Nouvelle, pleins de joie et d’ardeur. Certes, on peut parler d’illusion collective, mais on peut aussi se demander si cette explication un peu hâtive ne provient pas en fait du tribunal de l’historien. L’existence de la communauté des disciples demeure une question ouverte, un vide dans l’explication rationnelle de l’histoire.


Les réponses du croyant et de l’incroyant

Mû par le souci de la cohérence, l’homme s’efforce de proposer une explication qui tienne compte de l’ensemble des données. Aux yeux du croyant, le réponse est simple : « Dieu a ressuscité son Fils d’entre les morts » (Romains, x, 9), « Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Actes, ii, 36). Cette proclamation de la foi date des toutes premières années qui ont suivi la mort de Jésus. Dans sa première lettre aux Corinthiens, écrite vers l’an 55-56, Paul rappelle une tradition qu’il avait livrée à ses correspondants lors de son séjour à Corinthe en l’hiver 50-51 et qui remonte probablement aux années 40, soit quelques années après le drame du Golgotha.

Les premiers chrétiens prétendent donc fournir des témoins, non pas du fait de Jésus en train de ressusciter, mais de leur rencontre avec Jésus ressuscité. Ils en ont eu l’expérience au cours d’une rencontre ineffable, dont ils s’efforcent de rapporter l’événement en parlant d’apparition et en utilisant le langage de leur temps. Depuis deux siècles, les Juifs étaient parvenus à la foi en la résurrection des morts ; selon eux, elle aurait lieu à la fin des temps : pour les chrétiens, celle de Jésus a eu lieu dans le temps. Ils le disent en un autre langage, celui de l’exaltation de Jésus qui a été fait Seigneur sur l’univers tout entier (Philippiens, ii, 8-11) ; par là, la vie nouvelle de Jésus n’est pas, comme celle de Lazare, une survie provisoire, mais une existence céleste qui ne peut plus aller à la mort, une présence souveraine à tous les hommes. Telle est l’affirmation fondamentale de la foi des premiers chrétiens.

À l’opposé, les ennemis des disciples déclarent que c’est là une hallucination collective, ou une supercherie : Jésus ne serait pas vraiment mort, et les disciples auraient bâti de toutes pièces le roman qui a donné naissance au christianisme. De nos jours, nombreux sont ceux qui butent contre l’affirmation de la foi en raison du fait que seuls des témoins choisis d’avance, et non pas les ennemis, ont été les bénéficiaires des apparitions. La plupart du temps, les empêchements proviennent de ce que l’on ramène à des catégories de l’expérience ordinaire un mystère qui, de soi, déborde tout ce qu’on en peut dire. Ce serait en effet une erreur que de faire de la résurrection de Jésus un événement prodigieux, complémentaire des événements de cette terre, sa vie et sa mort. Même affirmée et rendant compte du changement des apôtres, la résurrection ne supprime pas la question que pose Jésus : le mystère continue à se trouver au-delà de la prise de la raison humaine.


Visées primitives du mystère de Jésus

Avant que soient rédigés les Évangiles, l’Église primitive s’est efforcée de centrer son regard et de dire quelques aspects du mystère de Jésus, qui a vécu, est mort et est ressuscité.


Jésus élevé au ciel, Seigneur et Christ

À la lumière de la foi en cette vie nouvelle et définitive, on a conféré très tôt à Jésus le titre de « Seigneur » dans les professions de foi et dans l’acclamation liturgique très ancienne, araméenne : « Marana tha », c’est-à-dire « Notre Seigneur, viens ! » Elle précise que ce Jésus, exalté et couronné au ciel, est le « Juge » de la fin des temps ; elle dit que le Seigneur Jésus n’attend pas au ciel la fin, mais intervient dans l’histoire à travers ses témoins. À partir de là, un développement s’est fait grâce à l’intelligence des Écritures : on a découvert dans la Bible les prophéties qui annonçaient les événements vécus ; d’autres titres sont venus compléter l’intelligence du mystère de Jésus et expliciter ce que Jésus avait dit pendant sa vie : il est le Christ, le Messie qui accomplit l’espérance juive, il est le Fils de Dieu par excellence, il est le Seigneur de tous les temps.


La mort salutaire de Jésus