Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jésus (suite)

• Les documents non chrétiens sur Jésus de Nazareth sont peu nombreux ; il en va de même pour la plupart des fondateurs de religion, Moïse, Bouddha ou Mahomet. Ils existent cependant et suffisent pour rassurer les esprits qui sont portés à leur accorder plus de valeur qu’aux documents chrétiens : les historiens sérieux sont unanimes à affirmer sans hésitation que Jésus a bien existé. Trois auteurs latins mentionnent indirectement l’existence de Jésus, sans fournir d’autre précision que sa crucifixion sous l’empereur Tibère ; ainsi, en plus de Suétone (en 120), Pline le Jeune signale dans une lettre à l’empereur Trajan (en 110) que les chrétiens « chantent des hymnes au Christ comme à un dieu », et l’historien Tacite (en 116) dit à leur propos : « Ce nom leur vient de Christ, qui avait été, sous le règne de Tibère, livré au supplice par Ponce Pilate » (Annales, XV, 44). Du côté de la littérature juive, on ne peut rien tirer des textes talmudiques, légendaires ; par contre, en 93, l’historien Flavius Josèphe (37-97) raconte le martyre de Jacques, « un frère de ce Jésus qu’on appelle le Christ » (Antiquités juives, XX, 200), et, dans un texte qui, par la suite, a été surchargé par les chrétiens de notations apologétiques, mais dont on a pu reconstituer l’original, il rapporte que Jésus a groupé des disciples et que ceux-ci disent l’avoir vu vivant après sa mort.

• En dehors du Nouveau Testament, les textes chrétiens n’apportent guère de renseignements valables. L’apocryphe découvert en Haute-Égypte à Nag Hamadi en 1945, mal intitulé Évangile de Thomas, pourrait offrir un texte des paroles attribuées à Jésus qui, parfois, serait plus ancien que le texte des Évangiles. Mais c’est là chose exceptionnelle, comme cette parole qu’on peut estimer authentique : « Qui m’approche est proche du feu, qui est loin de moi est loin du Royaume. »

• Les textes non évangéliques du Nouveau Testament ne sont pas d’un très grand secours non plus. Les Actes des Apôtres ainsi que les lettres de Paul, de Jean ou de Pierre se réfèrent sans doute volontiers à la personne de Jésus, à son enseignement et à son sacrifice sur la croix ; mais en dehors de ces faits majeurs, ils ne rapportent aucun détail de sa vie terrestre. Aux yeux de ces théologiens, en effet, tout tend à être ramassé dans la mort salutaire de Jésus et dans sa résurrection. Toutefois, pour tous, le Christ auquel ils croient est inconcevable s’il n’est identifié à la personne historique de Jésus de Nazareth, celui qui a vécu, est mort, est ressuscité.

• Les quatre Évangiles constituent donc la seule source abondante sur Jésus. Ces petits livrets, écrits en grec, s’étendant sur quelque 200 petites pages, nous sont parvenus dans des conditions manuscrites meilleures que toute autre œuvre littéraire du passé ; ainsi, la collection Bodmer compte deux codex du IVe Évangile qui datent de la fin du iie s., et il existe un papyrus reproduisant en recto-verso quelques versets de Jean, xviii, 31-33 et 37-38, qui date de l’an 125, pour ne point parler de l’identification toute récente d’un papyrus de Qumrān, datant du ier s., qui pourrait reproduire Marc, vi, 52-53.

Des Évangiles, le plus ancien est celui de Marc, rédigé, peut-être à Rome, vers l’année 67. La parution des Évangiles de Matthieu et de Luc a pour marges extrêmes les années 75 et 95. L’Évangile de Jean est daté des environs de l’an 100. Ces quatre ouvrages ont pour auteurs des hommes, tels Jean-Marc (Marc) ou Luc, connus de par ailleurs, ou bien des écoles qui se rattachent aux apôtres Matthieu et Jean. Ils racontent tous ce qu’a fait Jésus depuis son baptême au Jourdain jusqu’à sa mort et sa résurrection ; mais ils varient considérablement dans la présentation du sens et des détails, allant parfois jusqu’à d’apparentes contradictions dans l’ordre de la chronologie ou de la topographie. En effet, ils ne veulent pas être des « biographies » au sens moderne du mot ; ce sont des livrets rédigés par des croyants pour susciter ou entretenir la foi en Jésus. Il s’ensuit que l’historien rencontre de grandes difficultés pour découvrir, derrière le souci de rendre actuelle la vie de Jésus, les événements tels qu’ils se sont passés. Son entreprise n’est cependant pas impossible, d’autant qu’il parvient à discerner les traditions qui ont été utilisées par les évangélistes. Ces sources ont été élaborées au cours des quelque trente ou quarante années qui séparent les textes de l’époque où vécut et mourut Jésus ; paroles et gestes du Christ ont été très tôt communiqués en des traditions dont on peut reconnaître souvent la valeur historique indéniable.

Ces précisions méthodologiques étaient indispensables pour que le lecteur se situe par rapport à l’auteur de ces pages : celui-ci est un croyant, un catholique, mais il s’efforce de ne proposer ici que les résultats auxquels souscrivent la plupart des historiens contemporains.

Le texte de Flavius Josèphe

« À cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, si toutefois il faut l’appeler homme, car il accomplissait des choses prodigieuses. Maître de gens qui étaient tout disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs et jusque parmi les Hellènes. Celui-là était le Christ. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l’eut condamné à la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas de l’aimer, parce qu’il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l’avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. De nos jours encore ne s’est pas tarie la lignée de ceux qu’à cause de lui on appelle chrétiens. »

Flavius Josèphe, Antiquités juives, XVIII, 63-64 (traduction et reconstitution du texte original par A. Pelletier, dans Recherches de science religieuse, t. LII, 1964, pp. 177-203).

Sont en italique les passages considérés par l’auteur comme étant des interpolations chrétiennes.