Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jérusalem (suite)

La Jérusalem musulmane

C’est à deux monuments anciens que Jérusalem doit d’occuper une place essentielle dans l’histoire des arts islamiques : la Coupole du Rocher et la mosquée al-Aqṣā, construits l’un et l’autre sur l’esplanade de l’ancien Temple de Salomon. Voisine de la Coupole du Rocher, la Coupole de la Chaîne (Qubbat al-Silsila), petit édifice polygonal à onze côtés, avec arcs en plein cintre reposant sur des colonnes antiques ou byzantines, en est aujourd’hui une annexe ; mais, construite un peu antérieurement, elle a pu l’inspirer.

• La Coupole du Rocher. Néanmoins, on considère à juste titre que la Coupole du Rocher (Qubbat al-Ṣakhra), faussement nommée mosquée d’Omar (ou d’‘Umar) [alors que ce n’est pas une mosquée et qu’aucun lien ne la rattache au célèbre calife], est le plus ancien monument de l’islām. Ce sanctuaire tout à fait singulier a été mis en chantier en 688 et achevé en 691 pour recouvrir un rocher éminemment sacré aux yeux des musulmans et répondre aux exigences du pèlerinage (circumambulations rituelles). Admirable de proportion et d’équilibre, il se dresse sur une plate-forme que bordent de grandes arcades à quatre baies, sortes d’arcs de triomphe. C’est un octogone régulier de 20,60 m de côté, haut de 9,50 m (non compris le parapet), que surmonte un dôme doré portant sur un tambour percé de multiples fenêtres. On y accède par quatre portes disposées aux quatre points cardinaux. Un double déambulatoire, formé de piles et de colonnes alternées, disposées en quinconce et offrant de belles perspectives, entoure le roc central. Le décor, d’une rare harmonie, comporte, outre de remarquables pièces en bronze (aux portes, aux tirants, aux poutres), de grandes plaques de marbre à l’extérieur, dans les parties basses, et un revêtement de mosaïques en pâtes de verre dues à des artistes syriens formés aux techniques byzantines, mais ayant soumis leur art aux impératifs de la nouvelle religion. Malgré diverses restaurations, et en particulier celles de Soliman le Magnifique au xvie s., qui fit réaménager les portes et remplacer, sur la façade, les mosaïques par des faïences, au reste de grande qualité, la parure primitive reste en place sur le tambour et dans la plupart des parties intérieures de l’édifice.

• La mosquée al-Aqṣā. Construite à peu près en même temps que la Coupole du Rocher, la mosquée al-Aqṣā semble avoir subi au cours des temps de nombreux remaniements, dont on discute et qui rendent son histoire imprécise. Selon K. A. C. Creswell, l’essentiel de l’ordonnance daterait du xie s. Selon d’autres, la magnifique coupole, le transept, maintes parties du décor seraient d’époque omeyyade. Tel qu’il s’offre à nous, ce grand sanctuaire présente un plan assez particulier qui n’est pas sans rappeler celui des basiliques chrétiennes : la nef centrale, très large, bordée d’arcs sur colonnes, est flanquée à droite et à gauche d’un double bas-côté moins élevé. Cependant, trois nefs parallèles au mur du fond l’apparentent à la mosquée de Damas. La façade, de grande pureté, est d’un sobre classicisme. À l’intérieur, un beau minbar d’Alep (1168) a été mis en place par Saladin.


La Jérusalem latine

Après la première croisade, un vigoureux rameau d’art occidental s’insère dans le Proche-Orient islamique. Malgré les destructions, Jérusalem garde encore de cette époque des monuments faits avec une technique aussi parfaite qu’en Bourgogne ou en Provence : le « Tombeau de Marie », l’église Sainte-Anne et des éléments des trois églises du Saint-Sépulcre. Si les reliefs ont particulièrement souffert de l’iconoclasme musulman, on peut encore juger de leur qualité à la façade du Saint-Sépulcre, proche par le sujet des frises provençales (Entrée du Christ à Jérusalem) ou italiennes (tympan du porche du Calvaire). Le patriarcat grec de la ville conserve les plus beaux chapiteaux historiés de l’Orient latin (certains proviennent de Nazareth).

J.-P. R.

 K. A. C. Creswell, Early Muslim Architecture (Oxford, 1934-1940 ; 2 vol.). / A. Parrot, le Temple de Jérusalem (Delachaux et Niestlé, 1954 ; 2e éd., 1962). / M. Join-Lambert, Jérusalem (A. Guillot, 1956). / K. M. Kenyon, Jerusalem : Excavating 3000 Years of History (New York, 1968). / G. Rosenthal, Jérusalem (Bibliothèque des arts, 1968).

Jespersen (Otto)

Linguiste danois (Randers 1860 - Copenhague 1943).



La formation

La lecture des grammaires espagnole et italienne du linguiste danois R. Rask incite très tôt le jeune Jespersen à se spécialiser dans l’étude des langues romanes et à s’intéresser aux questions linguistiques. Ses années d’université à Copenhague, où il s’est inscrit en droit pour suivre une longue tradition familiale, sont surtout consacrées à une initiation approfondir aux langues indo-européennes et aux problèmes de linguistique générale. Il assiste aux conférences données par V. Thomsen, K. Verner et H. Møller ; il appartient au petit cercle des amis et des élèves de H. Hølding chez lequel on se réunit pour débattre des théories évolutionnistes de Darwin*, Stuart Mill* et H. Spencer (1820-1903), des questions de psychologie et de leur application à la linguistique.

Les méthodes physiologiques et psychologiques classiques, la théorie évolutionniste et la philosophie française du Siècle des lumières ont une influence déterminante sur la réflexion de Jespersen. Un voyage d’études à travers l’Europe (1888-1891) lui permet d’approfondir ses connaissances linguistiques, et il ne sera plus marqué désormais par d’autres personnalités que celles qui ont entouré sa jeunesse, si l’on excepte sa rencontre à Londres avec H. Sweet (1845-1912).


La linguistique de Jespersen

Ses premières publications (1885-1891) contiennent déjà les deux principes fondamentaux qui gouverneront son œuvre : la relation intime entre son et sens et l’idée de progrès dans le langage. C’est dans son mémoire Zur Lautgesetzfrage (1886) que Jespersen développe le premier de ces principes en s’attaquant à l’hypothèse des néo-grammairiens sur la nature absolue des lois phonétiques. Pour lui, ces lois ne sont que des « formules » générales dont la réalisation varie fréquemment sous l’action du facteur sémantique, écarté par les néo-grammairiens. Toute langue a une forme « externe », phonétique et grammaticale, et une forme « interne » qui correspond à la signification ; une étude linguistique doit associer ces deux aspects. Ce sont ces idées que l’on retrouve dans son grand traité : Phonétique, un exposé systématique sur l’enseignement de la langue (1897-1899), ouvrage fondamental de la linguistique classique, reposant sur l’observation immédiate des faits physiologiques. Par son insistance à considérer la relation son/sens, Jespersen approche certains aspects de la théorie de l’école de Prague, en privilégiant les différences « glottiques » (traits pertinents), mais sans quitter réellement les méthodes comparatives classiques.