Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jazz (suite)

Parallèlement à ce courant « swing », un phénomène musical se développe à Kansas City, qui correspond au premier effort collectif de renouvellement et de revalorisation des éléments nègres. Si ce mouvement a pu naître à l’écart des pressions économiques et culturelles blanches, c’est que Kansas City avait été dès la fin du xixe s. le lieu d’un important exode de paysans noirs originaires des bords du Mississippi. Aussi le jazz va-t-il pouvoir s’y développer dans une semi-liberté, dans le décor culturel et social du blues campagnard et pour un public essentiellement noir. De fait, les grands orchestres de Kansas City sont marqués plus profondément par le blues que ceux de New York. C’est là que Lester Young, dans l’orchestre de Count Basie, qui n’a pas encore une réputation nationale, commence de définir son style, que le boogie-woogie, une des formes pianistiques du blues, devient un des éléments déterminants du nouveau langage orchestral, que le shout (cri) s’impose pour des chanteurs comme Jimmy Rushing comme le seul procédé permettant à l’expression vocale de ne pas être étouffée par la masse orchestrale ; c’est là aussi que Charlie Parker (dans l’orchestre du pianiste Jay McShann, un des principaux représentants de ce retour au blues) peut travailler à un renouvellement formel annonciateur du be-bop.

Le swing

Du verbe anglais to swing, balancer.

• Qualité rythmique caractéristique de la musique négro-américaine, le swing correspond au balancement d’un temps vers l’autre et à un effet de tension et de détente. Longtemps considéré comme un critère essentiel de jazzité, il est divers, variable, diffère selon les individus, les styles, les époques et les tempos (vitesse d’exécution) des œuvres de jazz. En fait, on pourrait définir le swing comme une projection de la gestuelle des danseurs sur le texte musical.

• Aux États-Unis, à partir de 1935 et jusqu’au milieu des années 40, le mot swing fut employé pour désigner un style de jazz, indépendamment de ses qualités rythmiques, mais en référence directe à une éventuelle utilisation de cette musique par les danseurs.


La première révolution

À la fin des années 30, les improvisateurs semblent avoir atteint un point limite dans l’exploitation des schémas traditionnels : comment surpasser un pianiste comme Art Tatum ? Jouer de la trompette « mieux » qu’Armstrong ? ou du saxophone sans subir l’influence de Coleman Hawkins ? Tout en tenant compte des objectifs de « joliesse » mélodique en vigueur et en utilisant le même répertoire de base, emprunté en grande partie aux chansons et aux opérettes de Broadway.

À Harlem, simultanément à la guerre et aux émeutes des chômeurs noirs, une révolte couve du côté des jazzmen. Leur travail dans les grands orchestres (dont il faut, cependant, excepter ceux de Duke Ellington et de Count Basie) est de plus en plus stéréotypé et mécanisé : le rôle des improvisateurs et des arrangeurs est limité et conditionné par les exigences de la danse ; ils sont peu à peu réduits à « valoriser » les rengaines de Broadway ou à édulcorer le blues pour le rendre acceptable à tous les publics. Annoncée par le guitariste Charlie Christian, la chanteuse Billie Holiday, le saxophoniste Lester Young, une génération de jeunes musiciens noirs (Charlie Parker, John « Dizzy » Gillespie, Thelonious Monk, Miles Davis...), refusant le conformisme croissant, va bouleverser les règles et les structures de l’époque, tout en surpassant les musiciens plus âgés au niveau de la virtuosité. Suscitant l’hostilité des amateurs et critiques conservateurs, cette révolution du be-bop* sera contrebalancée par des mouvements contradictoires : retour aux « sources » et à une illusoire « pureté » du jazz (« New Orléans Revival »), en opposition aux effets « modernistes » du bop, mais aussi obligation pour les partisans du bop de poursuivre le travail exploratoire de Parker et de ses compagnons. En fait, le be-bop provoquera une série de réactions : jazz cool, où prédominent les musiciens blancs, hard bop, puis funky et soul, qui visent à revaloriser et à actualiser la tradition vocale négro-américaine religieuse et profane... Ainsi les années 50 seront-elles marquées par un retour massif du blues dans le jazz, jusqu’aux titres des œuvres qui indiquent le souci des musiciens de se référer à l’histoire et aux traditions de la communauté noire. Importance du blues, de la vocalité, voire du cri, mutation et développement des activités politiques des Noirs, auxquelles certaines œuvres (de Charles Mingus et de Max Roach notamment) font explicitement référence : en 1960, toutes les conditions sont réunies pour que le passage du jazz au free* jazz soit inévitable et parfaitement logique.

Tout se passe comme si la musique négro-américaine avait atteint un point de non-retour et, avec le free jazz, un paroxysme quasi insupportable pour le public conservateur. Dans la mesure où le free jazz ne remplit plus la fonction distractive considérée jusqu’alors comme indissociable du jazz, c’est le rock and roll — sous-produit d’une rencontre du blues et du folklore blanc — qui sera pour la jeunesse occidentale objet de divertissement et musique de danse. Tandis que la musique « pop » récupère et exploite procédés et éléments formels du blues (justifiant d’ailleurs, un peu plus tard, une sorte de « blues revival » comparable au « New Orleans Revival » des années 40 et la vogue de la soul music vocale), le free jazz réinvestit, du blues toujours proche, non seulement le caractère « vocal » des sonorités, mais surtout un ton protestataire et agressif indissociable de la situation économique et politique du peuple négro-américain.

Le jazz en France, en Europe, dans le monde

« Le jazz est le seul véritable moyen de communication international actuellement pratiqué dans le monde, l’unique façon de parler un langage créateur, avec une intensité et une pertinence égales, aux hommes du monde entier » (Eldridge Cleaver).