Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

Le tournant des années 1969-1971

L’année 1969 marque une étape dans la politique générale du Japon. En juillet, à Guam, le président Nixon définit sa nouvelle politique de désengagement dans le Sud-Est asiatique, politique qui suppose que les pays de cette région devront prendre en main leur propre destin et que le Japon est invité à y assumer des responsabilités de plus en plus grandes. En décembre 1966, déjà, un ministre japonais, Takeo Miki, avait présenté sa formule de la « zone Asie-Pacifique », qui, rappelant fâcheusement l’ancienne notion de « sphère de coprospérité de la Grande Asie », marquait la rentrée du Japon sur la scène internationale. Le 21 novembre 1969, le président Nixon et le Premier ministre japonais Sato signent à Washington un accord prévoyant le retour au Japon en 1972 d’Okinawa, où resteront déployées une centaine de bases américaines. « Le Japon, déclare Sato à cette occasion, apportera de nouvelles contributions actives à la paix et à la prospérité de l’Asie. » Yasuhiro Nakasone, partisan résolu du réarmement, est mis à la tête de l’Agence de défense, et, le 23 juin 1970, le traité d’alliance nippo-américain de 1960 est renouvelé malgré l’opposition de la gauche. En octobre 1970 est publié un Livre blanc : l’accent y est mis sur le fait que la défense est un attribut essentiel de la souveraineté, que le Japon doit en assumer la responsabilité tout en ayant recours à l’alliance américaine, notamment dans le domaine nucléaire. Le quatrième plan de défense (1972-1976) implique un effort qui portera surtout sur la modernisation des matériels, puisque les effectifs globaux ne seront encore que de 286 000 hommes en 1976, tandis que le budget annuel de défense passe de 422 milliards de yen en 1969 à 800 milliards en 1972. Ce plan prévoit le renforcement des services de renseignement et le développement de la recherche et des industries d’armement. Enfin, Nakasone demande que les bases américaines implantées à Okinawa et au Japon soient réduites en nombre et placées progressivement sous contrôle japonais. La charge du budget de défense reste cependant très faible puisque, depuis 1967, elle oscille entre 0,8 et 0,7 p. 100 du produit national brut japonais. À ce taux, si la progression annuelle du P. N. B. se poursuit à la cadence de 10 p. 100, le Japon serait en 1976 le septième pays du monde par l’ampleur de son budget militaire. Or, certains dirigeants envisagent de porter à 2 p. 100 la part du P. N. B. réservée à la défense, ce qui permettrait évidemment au Japon de se doter d’une force nucléaire.


Le Japon et l’arme nucléaire

Seul pays à avoir éprouvé dans sa chair les effets de la bombe atomique, le Japon a conservé de cette tragique expérience une horreur instinctive des armes nucléaires. Depuis 1945, les gouvernements successifs n’ont cessé de proclamer leur intention de respecter les trois principes de non-fabrication, non-acquisition et non-possession d’armements nucléaires. Cette « allergie » s’est étendue aux armes atomiques que les États-Unis pourraient stocker dans leurs bases japonaises. Aussi le gouvernement de Tōkyō a-t-il obtenu que, lors du retour d’Okinawa à la mère patrie, les États-Unis s’engagent à ne pas maintenir d’armes nucléaires dans les bases restant à la disposition des forces américaines. Les explosions des premières bombes nucléaires et thermonucléaires chinoises, les 16 octobre 1964 et 17 juin 1967, ont cependant provoqué un changement de climat. Le Livre blanc sur la défense de 1970 considère qu’il « est possible pour le Japon de posséder de petites armes nucléaires, dont la puissance n’excède pas le minimum nécessaire à la défense ». Cette phrase apparaît comme un jalon en vue d’un abandon éventuel de la politique non atomique. Toujours est-il qu’en 1972 le Japon, malgré les pressions américaines, n’a pas encore ratifié le traité de non-prolifération nucléaire qu’il a signé le 3 février 1970. Il dispose des moyens scientifiques, techniques et financiers nécessaires pour se doter de l’arme atomique ; mais une telle décision se heurterait encore à l’opposition d’une grande partie de l’opinion publique et nécessiterait une modification de l’article 9 de la Constitution. Enfin, l’entrée du Japon dans le club atomique compromettrait gravement l’amélioration de ses relations avec la Chine et la réalisation de cette « zone Asie-Pacifique » indispensable à la poursuite de son expansion.

Le Japon se trouve donc en 1973 devant un choix décisif. Le désengagement militaire des États-Unis en Asie, matérialisé par la réduction rapide des effectifs américains sur son propre territoire, le dégel soviéto-américain, la nouvelle politique chinoise des États-Unis, l’ouverture attendue de négociations russo-japonaises en vue de la conclusion d’un traité de paix ont profondément transformé la situation stratégique dans le Pacifique Nord. Un essor économique prodigieux a porté le Japon au troisième rang mondial et réveillé le nationalisme du peuple japonais. Placé entre les trois grands pays nucléaires (États-Unis, U.R. S. S., Chine), le Japon, à la fois atout et enjeu, peut tenter d’aboutir à un équilibre dans le Pacifique Nord grâce à une neutralité armée garantie par un pacte de sécurité collective du Pacifique, dont l’idée a déjà été avancée par la Chine et par l’U. R. S. S. Il pourrait alors, en continuant d’accorder la priorité à son expansion économique, se contenter de renforcer ses moyens de défense classiques dans le sens déjà indiqué par ses troisième et quatrième plans de défense. Mais il peut aussi, abandonnant le pacifisme qui a été sa règle depuis 1945, revenir à une politique de puissance visant à assurer la relève militaire des États-Unis dans le Sud-Est asiatique, éventuellement dans le cadre d’un système d’alliance du Pacifique parallèle au pacte de l’Atlantique ; il serait alors vraisemblablement conduit à se doter d’une force de dissuasion nucléaire.


Les forces armées japonaises en 1973