Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

L’ère des dictateurs (1582-1616)

• 1584. Hideyoshi, après avoir fait élire le jeune fils de Nobunaga comme successeur en titre de celui-ci, mais gardant le pouvoir, se met alors en devoir de maîtriser les seigneurs des provinces centrales et les clans indépendants de l’île de Kyūshū qui ne reconnaissent pas encore son autorité. Il laisse cependant à son général Ieyasu* très puissant, son fief du Kantō, dans l’Est, afin d’avoir les mains plus libres. Puis il transfère le siège de son gouvernement à Ōsaka, où il oblige les daimyō à résider et à lui élever un immense château fortifié. Il ordonne en même temps à ses vassaux de démolir les principaux châteaux que ceux-ci s’étaient fait construire dans leurs provinces. Puis il donne en fief à ses vassaux des terres qui n’appartenaient pas à leur famille, de manière à pouvoir les contrôler plus aisément. Il fait établir un recensement général des terres, promulgue une réforme rendant les paysans propriétaires et solidaires de leurs terres. Auparavant, Hideyoshi avait renforcé les mesures prises pour maintenir les paysans sur leur sol, faisant d’eux des sortes d’esclaves de la production, et établi le principe de la responsabilité collective en cas d’infraction aux lois. L’impôt est fixé entre 40 et 50 p. 100 de la récolte. Le Japon produit alors environ 20 millions de koku (boisseaux de riz, environ 180 litres de grains). Les daimyō les plus puissants sont classés suivant leur richesse, c’est-à-dire suivant leur revenu : Ieyasu possède 2 500 000 koku ; Mōri Terumoto, 1 200 000, ainsi que Uesugi. Les autres possèdent de 800 000 à 10 000 koku de revenu. Cette manière de compter deviendra la règle jusqu’au milieu du xixe s.

• 1585. Hideyoshi fait frapper sa propre monnaie et favorise le développement de l’exploitation minière. Devenu l’homme le plus riche du Japon, il coopère aux dépenses de la cour impériale, devenue très pauvre (l’empereur avait un revenu personnel de seulement quelques centaines de koku), fait réaliser un grand programme de constructions, donne des fêtes splendides et se montre un généreux mécène dans tous les domaines artistiques. L’empereur, bien que sans aucun pouvoir, reçoit cependant les marques extérieures du plus profond respect : s’il ne règne pas, il est toujours le symbole de la nation. Et Hideyoshi, qui ne peut être nommé shōgun en raison de sa basse naissance, juge plus politique de faire semblant de tenir son autorité du souverain.

Cette même année cependant, il reçoit de l’empereur le titre de dajō daijin, ou Premier ministre, ce qui équivaut à la reconnaissance impériale de son autorité. Bien que seigneur le plus puissant de tout le Japon, Hideyoshi doit encore compléter l’unification du Japon, divisé entre quelques grands daimyō tels que Mōri et ceux de l’île de Kyūshū.

• 1586. Hideyoshi réunit une grande armée et part en campagne afin de soumettre les daimyō non encore inféodés, sauf toutefois Tokugawa Ieyasu, qui, dans son fief du Kantō, demeure pratiquement indépendant. En quelques campagnes rapides, Hideyoshi soumet Mōri et les nobles de Kyūshū. En 1590, il termine sa campagne d’unification en prenant d’assaut le dernier bastion de la famille des Hōjō, le château-ville d’Odawara.

• 1588. Hideyoshi interdit à quiconque n’est pas soldat de carrière ou de naissance de porter les armes et fait une « chasse aux sabres » (katanagari), qu’il destine théoriquement à être transformés en outils de culture.

• 1592. Hideyoshi, n’ayant pas lui-même de fils, nomme pour successeur son neveu Hidetsugu. Puis, peut-être afin de se débarrasser des samurai trop turbulents qui risquent sans cesse de détruire le fragile édifice de paix établi au Japon, décide de conquérir la Corée. À la tête d’une armée de 200 000 hommes, il envahit la péninsule par surprise, ne rencontre pratiquement pas de résistance organisée et entre en vainqueur à Séoul. Ce succès initial le grise et il décide de continuer ses conquêtes et de s’attaquer à la Chine. À cet effet, il écrit de Séoul à son neveu et le nomme par anticipation « dictateur civil » de la Chine. Cette prétention irrite naturellement les Chinois, qui, à partir de ce moment-là, vont aider les Coréens. De simple promenade militaire, l’invasion de la Corée devient une véritable guerre.

• 1592-93. Les Japonais commencent à essuyer quelques revers : les Chinois et les Coréens (qui se sont ressaisis et réorganisés) contre-attaquent vigoureusement et reprennent Séoul. Cependant, le général chrétien Konishi Yukinaya réussit à maintenir ses troupes sur la péninsule. En 1593 naît un fils à Hideyoshi. De son côté, Hidetsugu se révèle incapable, débauché, d’une cruauté gratuite qui révolte le peuple.

• 1595. Les nouvelles de Corée sont alarmantes, et les généraux japonais ont du mal à contenir l’offensive coréenne. Hideyoshi, qui semble atteint par instants d’accès de folie et qui est désireux de pourvoir à sa succession au profit de son fils, contraint Hidetsugu à se suicider et fait massacrer toute la famille de son neveu, sous le prétexte que Hidetsugu complote de le trahir (ce qui est plausible).

• 1596. Hideyoshi nomme son fils, alors âgé de seulement trois ans, kampaku (régent), et fait jurer aux grands daimyō une fidélité inconditionnelle à celui-ci. Puis il décide d’attaquer directement l’empire des Ming. Mais la marine japonaise est faible et mal équipée, et l’amiral coréen Li Sun-sin, qui invente à cette occasion les bateaux cuirassés, lui inflige une terrible défaite.

• 1597. Hideyoshi, qui a réussi en un temps record à réorganiser sa flotte, connaît quelques succès maritimes et peut envoyer en renfort en Corée 100 000 hommes qui vont soutenir l’armée de Konishi.

• 1598. Malgré l’héroïsme des samurai japonais, les troupes de Konishi et des autres généraux (qui ne croyaient plus en la victoire) sont refoulées par les Sino-Coréens. Seul le port de Pu-san résiste encore aux assauts chinois. En septembre, Hideyoshi meurt de maladie. Konishi s’empresse de traiter avec les Chinois et abandonne la Corée. Des milliers de samurai sont morts pour rien. Tokugawa Ieyasu, le plus puissant des daimyō après Hideyoshi, se pose alors immédiatement en protecteur du jeune kampaku, Hideyori. Les autres daimyō ne tardent pas à s’opposer aux vues dictatoriales de Ieyasu, chacun d’eux cherchant à éliminer les autres afin de prendre la succession d’Hideyoshi. Les généraux de retour de Corée prennent parti.