Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

• 858. Un Premier ministre de la famille des Fujiwara épouse la fille de l’empereur Saga ; nommé régent du jeune empereur Seiwa, il devient tout-puissant. À partir de cette date, les régents des souverains mineurs (sesshō) ou majeurs (kampaku) vont se transmettre leur charge, qui demeurera jusqu’au milieu du xiie s. entre les mains de la famille des Fujiwara, les régents étant tous apparentés (grâce aux mariages de leurs filles avec les jeunes empereurs) à la famille impériale. Progressivement, ils vont prendre tous les pouvoirs en main et ne laisser aux empereurs qu’un rôle symbolique.

• V. 900. Le Taketori-monogatari, ou « dit du coupeur de bambous », un des plus anciens contes japonais, est composé. Ce « monogatari » sera suivi bientôt de nombreux autres essais du même genre, qui vont concourir à la création d’une littérature typiquement japonaise.

• 903. Sugawara no Michizane, adversaire politique des Fujiwara et grand calligraphe, meurt en exil à Kyūshū. Il sera divinisé par le peuple, sous le nom de Tenjin-sama, kami de la calligraphie. Les Fujiwara, décidés à régner politiquement en évitant tout recours à la force, éliminent progressivement leurs opposants. Devenus très riches et possédant d’immenses shōen (terres manoriales exemptées d’impôts), ils lèvent des corps de troupes dans l’Est et le Nord parmi les familles de paysans-guerriers afin de protéger leurs domaines, faire la police et assurer leur protection personnelle. Les lois antérieures du ritsuryō, qui avaient eu pour but d’empêcher la prolifération des domaines privés, sont devenues caduques. Seule la loi des Fujiwara a cours. Les autres seigneurs ont également le droit de posséder des shōen, à condition de verser aux Fujiwara un impôt assez faible. Sous leur égide, la paix règne, le sort des paysans et des pêcheurs s’améliore un peu, mais le Japon se morcelle en un grand nombre de « propriétés », souvent illégales (aux termes des lois antérieures). La Cour mène pendant tout ce xe s. une vie luxueuse, l’empereur se contentant de distribuer titres et charges. Mais l’insécurité demeure cependant partout, et même le palais impérial à Kyōto n’est pas à l’abri des coups de main des brigands. Les côtes sont ravagées par des pirates.

• 940. Un seigneur de la famille des Taira (un puissant clan de l’Est) se révolte et ose se proclamer empereur. Les Fujiwara envoient contre lui les troupes d’un autre clan de l’Est, celles des Minamoto, qui le battent et le tuent. Mais les clans de l’Est, composés pour la plupart de paysans-guerriers, se montrent de plus en plus arrogants vis-à-vis du pouvoir central. La Couronne reçoit de moins en moins de revenus ; les shōen des chefs de clan ont sans cesse tendance à s’étendre et à entretenir des armées de plus en plus nombreuses, bien entraînées grâce à leurs luttes constantes contre les Aïnous ou les brigands, alors que l’armée impériale, faible et oisive, devient de plus en plus impuissante. Le pouvoir est donc obligé, afin de maintenir son autorité, de s’appuyer tantôt sur un clan, tantôt sur un autre. De leur côté, les chefs de ces clans cherchent à obtenir des places à la Cour, places qu’il est parfois bien difficile de leur refuser sans risque de révoltes provinciales. Les Fujiwara préfèrent chaque fois composer avec les forces qu’ils ne peuvent pas matériellement contrôler. Les Taira et les Minamoto, les deux clans les plus considérables de l’Est, s’affermissent en guerroyant tour à tour contre les Aïnous ou les seigneurs provinciaux révoltés. Ces clans deviennent essentiellement guerriers. De mœurs rudes, jaloux du luxe et des afféteries de la cour de Kyōto, ils ne tardent pas à s’affirmer comme des États dans l’État et, sans encore oser sortir ouvertement de la légalité, organisent leurs provinces comme bon leur semble, sans tenir compte d’un hypothétique pouvoir central qui, de plus, se trouve éloigné d’eux...

• V. 1010. À la Cour, la littérature japonaise fait d’énormes progrès. Après nombre de « monogatari » paraît dans les premières années du xie s. le premier grand roman japonais, le célèbre Genji-monogatari, ou « dit du Genji », écrit par Murasaki Shikibu. Toute la fin du xe s. avait vu éclore une littérature poétique d’une rare qualité, et de nombreux contes ont été écrits. Les grandes dames publient des carnets intimes ou des réflexions pleines d’humour. De nouvelles sectes bouddhiques, prêchant une dévotion simple et profonde au bouddha Amida, permettent aux plus déshérités d’espérer une vie lumineuse après leur mort pour peu qu’ils fassent preuve d’un peu de foi. Poètes mystiques ou laïques rivalisent de talent. La Cour tout entière s’adonne à la musique, à la littérature, aux jeux subtils de l’encens, aux dévotions intenses et obéit aux rites taoïstes qui mettent un peu d’imprévu dans une vie monotone. Cependant, dans les campagnes, les paysans travaillent sans relâche pour le compte des seigneurs et, dans l’Est, se construisent de formidables puissances militaires... L’orage, né de cette dichotomie sociale, ne va pas tarder à éclater.

• 1068. Un empereur, Go-Sanjō-tennō, arrive au pouvoir par les lois normales de filiation, sans être apparenté aux Fujiwara : ceux-ci ne peuvent empêcher qu’il règne. Il commence à tenter des réformes et essaie tout d’abord de réduire le nombre et la puissance des shōen, puis, afin d’avoir les mains plus libres pour gouverner, abdique en 1072 au profit de son fils et se retire pour former une sorte de gouvernement occulte (ou parallèle). Échappant ainsi aux intrigues de la Cour, son action peut être efficace et contrecarrer plus aisément celle des Fujiwara. Cette coutume du gouvernement des « empereurs retirés » deviendra par la suite normale, et il se trouvera parfois jusqu’à cinq empereurs ensemble, un seul d’entre eux régnant en titre, les autres régnant effectivement, pas toujours de concert, malheureusement. Cependant, la situation se dégrade de plus en plus parmi les Fujiwara : cette famille étant devenue très grande, des dissensions ne tardent pas à se produire en son sein, dissensions dont profitent aussi habilement que possible les empereurs retirés et les chefs des deux grands clans de l’Est, les Taira et les Minamoto. À la fin du xie s., la moitié ou presque des charges gouvernementales autrefois aux mains des Fujiwara sont devenues la propriété des Minamoto. Les grands monastères bouddhiques, se sentant menacés dans leurs possessions (souvent obtenues de manière illégale), entrent dans le jeu des intrigues des clans, des empereurs retirés et des Fujiwara, et se sont adjoint des troupes d’hommes d’armes afin de mieux pouvoir résister aux uns comme aux autres. Chaque faction tente alors d’imposer aux empereurs, par des démonstrations de force, ses volontés. Il ne reste plus à la Cour que les jeux d’alliances successives pour maintenir un semblant d’autorité dans le pays. Ce jeu de balance dure jusqu’au milieu du xiie s. ; le clan des Minamoto prend de plus en plus d’influence et, grâce aux succès de ses armes au service de l’empereur (contre les moines, les bandits ou quelques seigneurs en rupture de ban), réussit à supplanter presque tous les Fujiwara aux postes gouvernementaux... La force des Minamoto réside essentiellement dans le nombre de leurs vassaux, tandis que celle du clan rival des Taira est surtout fondée sur les activités maritimes (sur les côtes de la mer Intérieure). Ces derniers, ayant eux aussi maté quelques révoltes « au nom de l’empereur », conquièrent des postes à la Cour. Dès lors commence une lutte d’influence sans merci entre les deux clans, lutte armée parfois. Au règne de paix instauré par les régents Fujiwara va succéder une ère de féroces rivalités.