Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

C’est pourtant dans ces sōshi que se trouve le germe de la vogue retrouvée par la littérature anecdotique dans les premières années du xviie s. La frontière qui les sépare des premiers recueils imprimés sous le nom de kana-zōshi (« écrits en caractères phonétiques », donc destinés à un public semi-illettré) est extrêmement imprécise ; ces derniers, en effet, ne sont d’abord que des assemblages de sōshi disparates. Mais presque aussitôt apparaissent des écrivains professionnels, qui composeront des recueils homogènes de contes drolatiques, de descriptions de sites fameux, véritables guides de voyage, agrémentés d’anecdotes relatives aux us et aux coutumes des provinces, ainsi que des recueils d’apologues moraux, de contes fantastiques et même, sous le titre d’Isoho-monogatari (1593), une adaptation des fables d’Ésope.


Le jōruri

La tradition épique, de son côté, donne naissance à un genre qui est au Heike ce que les sōshi sont aux monogatari, le jōruri. Certains sōshi, en effet, ceux qui se prêtaient à la récitation par leur sujet et leur composition, semblent avoir été colportés par les diseurs aveugles : les fragments post- ou pseudo-épiques, bien entendu, mais aussi les miracles, dans la tradition des antiques sekkyō. L’une de ces histoires connaîtra au cours du xvie s. une faveur démesurée, au point que, par un développement analogue à celui des grandes épopées, elle finira par donner naissance à un cycle pseudo-épique des enfances de Yoshitsune : c’est le Jōruri-jūnidan-zōshi, ou Jōruri-hime-monogatari (l’Histoire en douze épisodes de la demoiselle Jōruri, v. 1570), qui conte les amours du héros avec une imaginaire demoiselle Jōruri, puis sa mort et sa résurrection miraculeuse.

Le succès de cette œuvre était lié en partie à un nouveau mode d’interprétation, bientôt connu sous le nom de jōruri, où l’antique biwa était remplacé par le shamisen, guitare à trois cordes, véritable instrument d’accompagnement aux ressources infiniment plus variées. Certains s’en emparèrent pour dire de pieuses légendes : ce fut le sekkyō-jōruri. D’autres reprirent les grands thèmes épiques, et leurs héros favoris furent une fois encore Yoshitsune et les frères Soga. Ces « jōruri anciens » (kojōruri) connurent bientôt, dans la paix et la prospérité restaurées par les Tokugawa (1616-1868), la faveur du petit peuple des « trois métropoles » : Kyōto, Ōsaka et Edo. Moins savants, plus directs que les grandes épopées, les jōruri donnaient une place croissante au dialogue. C’est là sans doute ce qui, vers 1630, donna au chanteur Menukiya Chōzaburō l’idée de faire illustrer ses récits par des montreurs de marionnettes, ce qui supposait l’installation à demeure dans une salle réservée au spectacle : pour la seconde fois, la récitation épique avait engendré une forme de théâtre.


La poésie : renga, haikai, haïku

Le waka classique avait, à la fin du xiie s., connu un regain de faveur avec la composition, sous la direction de Fujiwara no Sadaie (ou Teika) [1162-1241], du Shinkokin-waka-shū (Nouveau Recueil de waka anciens et modernes, 1205). Outre Teika, il faut citer de cette époque deux poètes, les plus grands peut-être des auteurs de waka : le moine Saigyō (1118-1190) et le shōgun Minamoto no Sanetomo (1192-1219). À la même époque se répand la mode du « poème lié en chaîne » (kusari-renga), formé par une alternance de versets 5-7-5 (hokku) et 7-7 (ageku), composés à tour de rôle par plusieurs poètes. Cette sorte de jeu de société connut une vogue extraordinaire et se répandit dans toutes les classes de la société quand le renga se débarrassa des règles du waka classique pour devenir le « renga libre » (haikai-renga ou haikai). L’usage de ne conserver des « chaînes » que les hokku les mieux venus fit que l’on en vint à considérer ces haikai-hokku ou haïku de dix-sept syllabes comme une forme d’expression complète en soi. Ces haïku, à leur tour, furent utilisés par certains auteurs pour illustrer des textes en prose (bun), procédé auquel on donna le nom de haibun. Cette longue évolution était achevée vers la fin du xvie s.


Les « Trois Grands »

Chacun des trois genres nouveaux allait être illustré par un écrivain de génie dans la seconde moitié du xviie s.

En introduisant dans le style des sōshi le rythme et la concision du haikai, Ihara Saikaku* en fera un nouveau genre romanesque très éloigné de la manière des monogatari. Riche marchand d’Ōsaka, Saikaku avait pratiqué le haikai en virtuose avant de se retirer des affaires vers la quarantaine. En douze ans d’une vie désormais consacrée aux voyages et aux lettres, il composa alors seize recueils d’ukiyo-zōshi (« récits du monde éphémère »), dans lesquels il ne traite, à peu d’exceptions près, que des sujets contemporains : récits d’amour et de passion, histoires de marchands et de guerriers, contes de la ville et des provinces, dont l’ensemble forme une sorte de Comédie humaine de son temps. Pendant plus d’un demi-siècle après sa mort, les romanciers n’écriront tous que des ukiyo-zōshi, jusqu’à Ueda Akinari*, qui, après deux recueils de ce genre, découvrit une nouvelle manière, qui était une synthèse des monogatari et des sōshi.

Le jōruri n’avait guère évolué, sinon dans les techniques de la récitation, quand apparut Chikamatsu* Monzaemon. Celui-ci avait déjà composé quelques dizaines de récits « à la manière ancienne » lorsqu’il rencontra le chanteur Takemoto Gidayū (1651-1714), en 1686. De leur collaboration naquit un nouveau jōruri, qui, par ses structures, se rapprochait de plus en plus du drame ; les passages narratifs ou lyriques se distinguaient plus nettement du dialogue, au point de ne plus constituer à la fin que des morceaux de bravoure permettant au chanteur de faire montre de son talent. Dans un premier temps, Chikamatsu ne composa que des drames « historiques », qui empruntaient la plupart de leurs thèmes aux et aux jōruri anciens ; l’intrigue, cependant, se compliquait, au point que la représentation pouvait durer du lever au coucher du soleil. En 1703, Chikamatsu portait sur la scène pour la première fois un sujet contemporain, un fait divers (sewa) tragique emprunté à l’actualité immédiate. Encouragé par le succès de cette innovation, il composa vingt-trois autres pièces de ce type, dont quelques-unes peuvent être tenues pour les chefs-d’œuvre de ce dramaturge. Il s’était également intéressé au kabuki, théâtre d’acteurs assez grossier encore et pour qui il avait composé des dialogues ; mais, après la mort, en 1709, de son interprète favori, Sakata Tōjūrō, il y avait renoncé définitivement.