Janequin (Clément) (suite)
Janequin donne vie au texte en gardant la rapidité du débit de la parole. C’est une nouvelle déclamation qui ouvre la voie au récitatif. Sur quatre notes en « croches », un galant demande à sa belle : Pourquoy voules-vous cousturier aultre que moy ? Il n’est pas rare de trouver de brusques changements de débit, lorsqu’on passe du simple récit à la traduction d’un mot précis comme « vole », « frétille » ; « le diable me puisse emporter » s’envole sur des « doubles croches » ascendantes après le récit plus lent, On vous est allé rapporter. Ces changements peuvent aussi se marquer par le passage d’une mesure binaire à une mesure ternaire. Dans Tu as tout seul Jehan Jehan, il se produit une petite rupture d’équilibre très fugitive au milieu d’un vers, car seuls les mots « Jehan Jehan » chantent sur deux longues binaires, alors que le reste alterne brève-longue en mesure ternaire. Mais la conclusion humoristique (« tout seul ta femme tu n’as pas ») s’appuie sur une mesure carrée binaire et une déclamation aussitôt plus rapide.
La liberté à l’intérieur d’une même chanson est donc totale : il n’y a pas un ordre logique posé dès le point de départ ; mais un déroulement qui peut varier instantanément si le texte le demande. Un chef-d’œuvre de l’érotisme galant, Du beau tétin, est une composition ample où Janequin déploie toute sa science : la même mélodie, reprise au début et à la fin, encadre des groupes de deux vers où alternent rythmes binaires et ternaires, homophonie et polyphonie, parties déclamées et mélodies.
À l’explosion des effets multiples, Janequin sait aussi opposer sobriété et gravité, en particulier dans les pièces à caractère lyrique. Dur acier et diamant est une affirmation simple de la solidité d’une amitié qui résistera même à l’usure de la plus solide des pierres. Rien ne perturbe le déroulement de ce chœur homophone qui se permet juste un petit jeu de « croches » sur la répétition finale du mot « amitié ». Il semble que seule la compréhension du texte soit devenue importante ; la musique retrouve alors quelque chose de la psalmodie du plain-chant.
Une innovation importante apparaît dans les dernières œuvres de Janequin. Sans doute sous l’influence de l’Italie, un nouveau moyen expressif est né : le chromatisme. L’inattendu d’intervalles altérés tels que fa dièse — si bémol, dans En la prison les ennuys et Vivons folastres, rejoint bien la recherche de notre musicien pour une traduction immédiate du sens du texte ; de même, le glissement par demi-tons du sol au mi de Non feray je n’en feray rien.
À côté de ses contemporains — Sermisy, Certon, Sandrin, Passereau —, Janequin illustre de la manière la plus complète le mouvement poétique et musical qui se fait jour au milieu du xvie s. Par ses qualités de « musicien concret » avant la lettre, par la vérité du rapport qu’il institue entre le texte et la musique, il reste moderne, et, selon les louanges de J. A. de Baïf :
L’excellent Janequin, en tout cela qu’il chante
N’a rien qui soit mortel, mais il est tout divin.
M.-M. K.
➙ Chanson.
J. Levron, Clément Janequin, musicien de la Renaissance (Arthaud, 1948). / Clément Janequin. Chansons polyphoniques (Éd. complète avec une introduction par A. T. Merritt et F. Lesure) [l’Oiseau-lyre, Monaco, 1963-1971 ; 6 vol.].