Metteur en scène de cinéma hongrois (Vác 1921).
Après avoir étudié le droit et suivi des cours d’ethnographie et d’histoire de l’art, Miklós Jancsó s’oriente vers le cinéma et passe à Budapest en 1951 son diplôme de l’École supérieure d’art dramatique et cinématographique. Mais à cette époque le stalinisme règne et ne favorise guère l’éclosion de jeunes talents. Le réalisme socialiste de type jdanovien oblige les cinéastes à se soumettre à une véritable dictature idéologique et artistique. Le culte du héros positif ne permet guère aux francs-tireurs de s’aventurer dans des recherches filmiques personnelles. Jancsó débute dans la profession comme documentariste. De 1953 à 1963, il tourne avec une belle régularité d’honnêtes documentaires et ne participe pas au premier renouveau du cinéma hongrois, dont les leaders se nomment Zoltán Fábri, Károly Makk, et Félix Máriássy. Son premier essai dans le long métrage de fiction, Les cloches sont parties à Rome (A harangok Rómába mentek, 1958), est loin d’être une réussite et ne laisse aucunement présager le cinéaste original et profond qu’il va devenir dès son deuxième film, Cantate (Oldás és kötés), réalisé en 1963. La présentation de ce film sur les écrans hongrois témoigne d’un profond changement de la politique gouvernementale à l’égard du cinéma. Profitant de la libéralisation du régime et de l’amélioration des structures cinématographiques du pays, une nouvelle génération de cinéastes — pour lesquels Jancsó joue le rôle de grand aîné — s’impose peu à peu. Le cinéma devient une arme critique, il reflète les préoccupations de toute une jeunesse traumatisée par les vicissitudes politiques du xxe s. Dès Mon chemin (Így jöttem, 1964), Jancsó paraît maître de son style. Mais son nom demeure encore peu connu du public. Le succès international des Sans espoir (Szegénylegények, 1965) lui assure une renommée soudaine, qui sera confirmée par ses deux œuvres suivantes, Rouges et Blancs (Csillagosok katonák, 1967) et Silence et cri (Csend és kialtás, 1968). Dans cette trilogie où la rigueur du propos s’appuie sur une mise en scène d’une étonnante beauté formelle, Jancsó analyse avec une cruelle lucidité les relations de l’homme et de l’histoire, la confrontation physique et morale des bourreaux et de leurs victimes, les ambiguïtés des rapports de force entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui le subissent. À partir de Ah ! ça ira (Fényes szelek, 1968), il approfondit encore cette étrange introspection historique qui refuse toute notion de spectaculaire, tout apriorisme confortable, tout cartésianisme événementiel, toute concession d’ordre sentimental ou politique. Au risque de s’éloigner du public par un excès d’abstraction, il développe sa thématique non par le truchement d’une action linéaire explicative, mais par des composantes de mouvements concentriques parfois allégoriques, parfois symboliques qui donnent à sa mise en scène l’allure d’une chorégraphie rituelle. On retrouve cette subtile méditation sur l’histoire étudiée dans ses pulsations les plus secrètes, ses accès de fièvre, ses phases de violence, ses renversements de situation imprévus dans Sirocco d’hiver (Téli sirokkó, 1969), Agnus Dei (Égi bárány, 1970), La Pacifista (1970, tourné en Italie), la Technique et le Rite (1971, pour la T. V. italienne) et Psaume rouge (Még kér a nép, 1971).
« Le film, de par sa nature — personnages en chair et en os, paysages, combinaisons d’éléments visuels réels —, est toujours réaliste. Mais peut-être existe-t-il certaines possibilités qui lui feront franchir une réalité quotidienne pour qu’il devienne un moyen d’expression à plusieurs dimensions... C’est dégrader le film que de lui refuser le pouvoir de passer à un niveau supérieur, comme pour les mathématiques de passer au calcul intégral. »
J.-L. P.