Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

James (Henry) (suite)

« Que chaque passage réponde à un motif, et que, tout en n’ayant aucune prétention à la simplicité, elle [l’œuvre] n’abandonne cependant jamais son désir de clarté. »

À ce point de vue exprimé par H. James dans The Wings of the Dove, il ne manque pour définir son œuvre que d’y ajouter l’humour diffus qui la baigne, un humour rendu encore plus aigu par son don d’observation minutieuse et lucide (Confidences, 1880). De cette œuvre prenante, difficile et longuement controversée, on dira encore qu’elle n’a jamais atteint au succès spectaculaire. Et pourtant, quelle qu’en soit la manière — directe ou non —, H. James prépare la voie à J. Joyce et à V. Woolf. Son influence, qui retrouve celle de Meredith, apparaît décisive pour l’essor du nouveau roman d’observation psychologique contemporain. Il a déjà connu de son vivant au moins une disciple immédiate avec la romancière américaine E. Wharton, et une similitude de conception de l’art fait aussi rapprocher de son nom celui de Proust. Toutefois, sa vision de l’esthétique littéraire apparaît si originale qu’on ne saurait encore en capter toutes les résonances, pas plus dans les lettres des États-Unis que dans celles de l’Europe.

D. S.-F.

 S. Spender, The Destructive Element (Londres, 1935 ; 8 vol.). / F. E. W. Barnes, l’Esthétique de Henry James (Lipschutz, 1940). / F. Noel, Henry James, peintre de la femme (Imp. alençonnaise, Alençon, 1942). / F. W. Dupée (sous la dir. de), The Question of Henry James. A Collection of Critical Essays (Londres, 1947). / L. Edel, The Life of Henry James (New York, 1953-1972 ; 5 vol.). / G. Markow-Totevy, Henry James (Éd. universitaires, 1959). / R. Poirier, The Comic Sense of Henry James. A Study of the Early Novels (Londres, 1960). / D. Krook, The Ordeal of Consciousness in Henry James (Cambridge, 1962). / B. Lowery, Marcel Proust et Henry James, une confrontation (Plon, 1964). / M. Bell, Edith Wharton and Henry James (New York, 1965). / A. Holder, Three Voyagers in Search of Europe. A Study of H. James, E. Pound and T. S. Eliot (Philadelphie, 1966). / S. G. Putt, A Reader’s Guide to Henry James (Londres, 1966). / H. M. Hyde, Henry James at Home (Londres, 1969).

Janáček (Leoš)

Compositeur tchèque (Hukvaldy, près de Sklenvov, Moravie, 1854 - Moravská Ostrava 1928).


Ce fils d’un pauvre instituteur campagnard, né dans les montagnes des Beskides, est le troisième des quatre grands classiques de la musique tchèque. Mais si Smetana s’était tourné vers l’exemple de Mozart, de Berlioz et de Liszt, si Dvořák avait écouté la leçon de Beethoven, de Brahms et de Schubert, si Martinů, enfin, devait s’orienter vers la France (Debussy, Roussel), c’est vers l’est, vers la Russie de Moussorgski que Janáček, ce Slave passionné, dirige ses regards. Effectuées dans la plus grande misère, ses études musicales à Prague, puis à Leipzig ne purent que fortifier son métier, mais non affirmer une personnalité qui fut longue à s’épanouir. Pendant trente-cinq ans, Janáček vécut une existence obscure d’organiste et de professeur de conservatoire de province à Brno. Le premier, bien avant Bartók, il se livra à l’étude scientifique des chants populaires de son pays, mais si cette activité ne rencontra guère que mépris et incompréhension dans les milieux académiques du xixe s. finissant, elle contribua puissamment à la formation du langage musical original du compositeur, dont l’oreille subtile se passionnait également pour les moindres bruits de la nature, pour les chants d’oiseaux (bien avant Messiaen), voire pour les inflexions du langage parlé, du rire et des pleurs ! Son premier chef-d’œuvre pleinement personnel, l’opéra Jenufa, fruit de dix ans de labeur (1894-1903), ne rencontra à sa création à Brno (1904) qu’un succès d’estime de portée locale. Ce fut la reprise à Prague qui, en 1916, projeta brusquement en pleine gloire ce solitaire de soixante-deux ans. Stimulé par ce succès tardif, Janáček, demeuré jeune de corps et d’esprit, illuminé par un grand amour pour une toute jeune femme, entra dès lors dans la période la plus féconde de son existence, accumulant les chefs-d’œuvre, déployant une énergie prodigieuse, représentant l’avant-garde musicale de son pays dans les festivals internationaux, jusqu’à sa mort brutale, d’une pneumonie, survenue le 12 août 1928. Janáček fut essentiellement un réaliste, un progressiste aux idées sociales généreuses vivant en communion étroite avec son peuple. C’est un « tempérament » dans toute la force du terme. Peu attirée par la musique pure, son inspiration, rebelle aux formes classiques et aux développements, est celle d’un dramaturge-né, auquel la voix, et davantage encore la scène lyrique permettent de s’épanouir pleinement. Même sa musique instrumentale conserve les inflexions du langage et prend prétexte d’un « programme » plus ou moins concret. Ce tempérament abrupt, impulsif, passionné s’exprime par une thématique brève, hachée, puissamment découpée, qui s’impose impérieusement à notre mémoire. Les répétitions obstinées de courts motifs mélodiques, les brusques contrastes de rythme et d’intensité, la fraîcheur et la concision de l’inspiration sont d’un libertaire qui avait émancipé la dissonance, parallèlement à la réforme debussyste, dès le tournant du siècle. Une orchestration acérée, toute en arêtes vives, exploitant les registres extrêmes en oppositions brutales, souligne encore la verdeur de l’invention musicale. Le choix de ses sujets d’opéras révèle un être généreux et attentif à la souffrance humaine (Jenufa, Kát’a Kabanová), mais capable aussi de l’humour poétique le plus exquis (le Petit Renard rusé). Son message atteint à son expression la plus élevée dans la grandiose Messe glagolitique, sur le texte vieux-slavon de l’ordinaire, acte de foi unanime qui prend Dieu à témoin de la dignité de l’homme ; dans son ultime opéra, Mémoires de la maison des morts, d’après Dostoïevski, dont l’exergue (« Dans toute créature, une étincelle divine ») éclaire l’ardente spiritualité ; enfin, dans le brûlant cri d’amour de son chant du cygne, le deuxième quatuor, dit Lettres intimes. La diffusion du message de ce compositeur, l’un des plus puissamment originaux du début du xxe s., se heurte à l’obstacle de la langue, car sa musique vocale et scénique est si intimement conditionnée par les inflexions du parler tchéco-morave que toute traduction la dénature. Cependant, son œuvre s’est graduellement imposée dans le monde entier, alors que la France en méconnaît encore la haute portée.