Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jakobson (Roman) (suite)

Les fonctions du langage

Par ses liens avec le mouvement des formalistes russes, Jakobson s’est attaché très tôt à l’étude parallèle de la linguistique et du rôle de l’activité littéraire dans le langage. Dès 1928, lors des réunions du cercle de Prague, il insista sur l’importance de la hiérarchisation des fonctions du langage. La théorie linguistique générale doit rendre compte non seulement du système de la langue à ses différents niveaux, mais également de « la variété des fonctions linguistiques et de leurs modes de réalisation ». À diverses reprises, Jakobson a précisé que la fonction de communication (le rapport à l’autre et au monde) est fondamentale, mais que l’étude de cette fonction doit être liée à celle des autres fonctions dont l’interférence détermine des « discours » spécifiques. Il distingue dans les six facteurs du processus général de la communication la source de six fonctions principales, qui constituent à partir d’un même système linguistique des sortes de sous-systèmes internes. Outre la fonction référentielle, engendrant le type de communication le plus commun, il définit la fonction émotive, expression du destinataire, la fonction conative, orientée vers le destinateur (ou locuteur), la fonction phatique, qui vise à établir et à maintenir la communication, la fonction métalinguistique, destinée à une explicitation des éléments du code, et la fonction poétique, où le message est visé en tant que tel (v. poétique). Les marques linguistiques qui codent ces diverses fonctions permettent de dégager de vastes catégories sémantiques issues des rapports indissociables qu’entretient, par son énoncé, le sujet parlant avec l’autre et le monde. En caractérisant les embrayeurs et autres structures doubles, Jakobson jette ainsi les bases d’une théorie de l’énonciation. Il aborde dans ce domaine des problèmes proches de ceux que se pose le linguiste français E. Benveniste et qui sont actuellement un des lieux privilégiés de la réflexion linguistique.

G. P.

 Hommage à Roman Jakobson, numéro spécial de Poétique (Éd. du Seuil, 1971).

Jamaïque

En angl. Jamaica, État des Antilles ; 11 425 km2 ; 1 865 400 hab. (Jamaïquains). Capit. Kingston.


La Jamaïque est la plus importante des Antilles anglophones. L’influence des États-Unis par l’intermédiaire des compagnies d’exploitation de la bauxite (dont la Jamaïque est le premier producteur et exportateur mondial) et des bases militaires concédées pendant la Seconde Guerre mondiale contrebalance celle de la Grande-Bretagne. Avec 163 habitants au kilomètre carré, l’île est densément peuplée, et, en dépit de progrès certains, le niveau de vie reste très insuffisant (produit national par tête de l’ordre de 600 dollars en 1970). Le chômage est étendu, et l’émigration, considérable, joue le rôle d’une soupape de sûreté indispensable. Les contrastes sociaux sont accusés.


La nature

La Jamaïque, située par 18° de lat. N., s’allonge sur 238 km de l’est à l’ouest, mais n’a que 84 km de largeur maximale. Elle appartient à la zone montagneuse des Grandes Antilles, possédant un relief heurté. À l’est, le massif des Montagnes Bleues (Blue Mountains) est constitué de roches cristallines et schisteuses. Il s’élève à 2 467 m au Blue Mountain peak et forme un môle puissant difficile à pénétrer. Le centre et l’ouest de l’île sont occupés par un vaste plateau calcaire soulevé à 1 070 m et fortement attaqué par l’érosion karstique. C’est à la surface de ce plateau que se trouvent les très riches gisements de bauxite. À sa périphérie s’étendent des plaines alluviales. Réduites à une étroite frange au nord, elles occupent des superficies plus vastes au sud : de l’est à l’ouest se succèdent les plaines de Liguanea, de Spanish Town et May Pen, de Saint Elizabeth, de Savanna la Mar et Lucea. Là se trouvent les sols les plus fertiles de la Jamaïque.

L’île bénéficie d’un climat tropical maritime, pluvieux, régulièrement chaud toute l’année (25,5 °C de température moyenne avec de faibles écarts thermiques). Cependant, des coups de vent frais venant de l’Amérique du Nord, surtout sensibles sur les reliefs, peuvent se produire l’hiver. Les alizés balayent l’île de l’est à l’ouest et apportent des pluies en toute saison, avec une concentration de mai à novembre. Les montagnes, le plateau et la côte septentrionale sont très arrosés ; la côte méridionale et les plaines qui la bordent, relativement abritées du vent, sont beaucoup plus sèches (moins de 1 000 mm par an), et l’irrigation devient nécessaire. Il y a ainsi une coïncidence fâcheuse entre la localisation des sols les plus fertiles et la sécheresse.

Les beautés naturelles ne manquent pas. La côte nord, avec sa succession de baies sableuses et de pointes rocheuses, est particulièrement attrayante.


La mise en valeur et le peuplement

Après sa conquête sur les Espagnols, la Jamaïque devint non seulement la plus riche des possessions anglaises des Antilles, mais aussi l’une des plus prospères de la Caraïbe dans le cadre de l’économie de plantation esclavagiste. En 1800, elle produisait environ 100 000 t de sucre, exportées, et du rhum en abondance ; 300 000 esclaves travaillaient sur un millier de plantations. La libération complète des esclaves en 1833 entraîna une grave pénurie de main-d’œuvre ; les Noirs, quittant les plantations, constituèrent dans les montagnes et sur le plateau calcaire une petite propriété familiale fondée sur les cultures vivrières, l’arboriculture et le petit élevage. Pour pallier le manque de main-d’œuvre, l’administration coloniale fit appel aux travailleurs indiens ainsi qu’aux Chinois, aux Portugais de Madère, aux Africains de la Sierra Leone et même à des Écossais et à des Juifs. La Jamaïque en a conservé une certaine bigarrure ethnique. Cependant, la population noire, avec plus des trois quarts du total, forme de loin, la masse la plus importante (on compte ensuite 15 p. 100 de métis, plus de 3 p. 100 d’Indiens, 2 p. 100 de Chinois et des minorités, très importantes économiquement, de Syro-Libanais, de Juifs et de Portugais).