Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

Le rôle capital des cités n’explique cependant pas tout l’art italien ; il ne doit pas imposer à son histoire un cloisonnement trop rigide. On remarquera d’abord que la notion de foyer artistique ne concerne pas toujours des villes au développement autonome, mais parfois des entités plus vastes, fruit d’un effort d’unification politique. Deux d’entre elles ont émergé très tôt de la confusion qui s’attache à l’histoire de l’Italie médiévale : au nord, le Piémont ; au sud, le royaume fondé par les Normands et dont les deux pôles furent Naples et Palerme. Dans l’un et l’autre de ces territoires, l’activité artistique apparaît moins liée au cadre des cités (si l’on excepte, pour le second, Naples, Palerme et Lecce, peut-être Syracuse) qu’à celui de la région. En Apulie, par exemple, on trouve un style régional d’architecture plutôt que des écoles propres à Bari, Bitonto ou Trani. La tendance au regroupement des cités, à la simplification de la carte politique s’est d’ailleurs affirmée, d’une manière générale, à partir du quattrocento et plus encore du règne de Charles Quint ; et l’hégémonie progressive de Venise en Vénétie, de Milan en Lombardie, de Florence en Toscane, de Rome en Ombrie, dans les Marches et en Émilie trouve un écho dans le domaine des arts, sans que soit effacée pour autant la personnalité des villes satellites. Il faut enfin tenir compte des échanges artistiques, dont le réseau complexe et serré, même si l’on exclut le rayonnement local de tel ou tel centre, a toujours relié des foyers plus ou moins proches les uns des autres. C’est ainsi que la Renaissance romaine, avant de gagner Gênes ou Mantoue, s’est nourrie des apports de la Toscane, de l’Ombrie, des Marches, de la Romagne. Florence, à qui revient la première place dans ce concours suscité par les chantiers pontificaux, a trouvé dans presque toute l’Italie, du xiiie s. au xvie s., des débouchés à son activité artistique ; non seulement en Toscane, à Pise, Sienne ou Arezzo, mais à Naples, Gênes, Bologne, Rimini, Padoue, Venise, Milan, etc. Venise, qui doit beaucoup à la Lombardie, a manifesté sa présence en Vénétie et dans toutes les régions riveraines de l’Adriatique.


Les artistes

Le nombre et l’importance des courants d’échange font ressortir le rôle personnel des artistes. C’est en Italie que, dès la période médiévale, l’artiste a franchi la distance qui sépare l’invention de la pratique anonyme du métier, qu’il a fait reconnaître sa dignité de créateur. Son œuvre a une histoire qui n’est pas forcément tributaire d’un foyer unique. Certes, on citerait beaucoup d’artistes italiens dont la carrière s’est bornée, ou peu s’en faut, à un cercle local, parfois distinct du lieu de naissance : les peintres Carpaccio*, Giorgione*, le Tintoret*, Pietro Longhi (1702-1785) ou Francesco Guardi* à Venise, le Corrège* à Parme, Alessandro Bovicino, dit le Moretto (v. 1498-1554), à Brescia, beaucoup de Napolitains du xviie s., Giuseppe Bazzani (v. 1690-1769) à Mantoue, l’architecte Biagio Rossetti (v. 1447-1516) à Ferrare, le sculpteur Serpotta* à Palerme, etc. Nombreux sont cependant les artistes dont le champ d’activité, élargi par des voyages, des séjours hors du foyer habituel ou au moins des envois d’ouvrages, a pris des dimensions nationales, voire européennes. Un exemple notoire en est donné par les Florentins, de naissance ou d’adoption : Arnolfo* di Cambio, que l’on retrouve à Rome ; Giotto* à Assise, à Rome et à Padoue ; Alberti* à Rimini et à Mantoue ; Donatello* à Sienne, à Rome, à Naples, à Venise et surtout à Padoue ; Michelozzo (1396-1472) à Milan ; Fra Angelico* à Rome et à Orvieto ; Gozzoli* à Pise, à San Gimignano et à Montefalco ; Andrea* del Castagno à Venise ; Agostino di Duccio (1418 - apr. 1481) à Pérouse et à Rimini ; Antonio Averlino, dit le Filarete (1400 - v. 1469), à Rome et à Milan ; Bernardo Rossellino (1409-1464) à Rome et à Pienza ; Botticelli* à Rome ; Verrocchio* à Venise ; Léonard* de Vinci à Milan ; Michel-Ange* à Rome ; Giambologna* à Bologne et à Gênes. On pourrait aussi rappeler l’activité : des Siennois Simone Martini* à Assise et à Avignon, Iacopo* della Quercia à Bologne et à Lucques, Francesco di Giorgio Martini à Urbino ; des peintres toscans Piero* della Francesca à Urbino, à Ferrare et à Rome, Luca Signorelli* à Orvieto et à Lorette ; du Padouan Mantegna* à Rome, à Vérone et à Mantoue ; d’Antonello* da Messina à Venise ; des peintres ferrarais Francesco del Cossa (v. 1436 - v. 1478) et Lorenzo Costa (v. 1460-1535) à Bologne ; du Caravage*, Romain d’adoption, à Naples, en Sicile et à Malte ; du Napolitain Luca Giordano (1632-1705) à Venise et à Florence. L’activité de ce dernier en Espagne amènerait à évoquer la carrière européenne du Rosso*, de Titien*, des Tiepolo*, de Canaletto* etc. Pour s’en tenir au milieu italien, il faut citer aussi certains artistes dont l’école d’origine compte beaucoup moins que le théâtre d’activité. Si les Marches, par exemple, ont été le berceau du peintre Gentile da Fabriano (v. 1370-1427), de Bramante* et de Raphaël*, le premier doit sa gloire à Rome, à Florence et à Venise, le deuxième à Milan et à Rome, le troisième à Florence et à Rome ; en revanche, elles ont offert une nouvelle patrie aux peintres vénitiens Crivelli* et Lorenzo Lotto*. L’architecte Galeazzo Alessi (1512-1572), de Pérouse, a donné sa mesure à Milan et surtout à Gênes, comme le Sicilien Juvara* en Piémont et en Lombardie. Le cas le plus exemplaire est peut-être celui des peintres bolonais du seicento — Annibal Carrache*, Guido Reni, le Dominiquin, le Guerchin (v. academisme) —, dont la carrière a été essentiellement romaine.

Contribuant par leurs voyages et leurs rencontres à l’élaboration d’un langage national, les artistes ont souvent assumé à titre personnel la convergence des techniques. Beaucoup d’entre eux, par exemple, ont pratiqué tour à tour ou même en même temps l’architecture ou la sculpture : en Toscane, Nicola* et Giovanni Pisano, Michelozzo, Benedetto da Maiano (1442-1497), Bartolomeo Ammannati (1511-1592) ; en Lombardie, Giovanni Antonio Amadeo (1447-1522) ; à Venise, les Lombardo et Jacopo Sansovino* ; à Rome, Algardi*. D’autres ont partagé, dans des proportions variables, leur temps entre l’architecture et la peinture : Giotto, Bramante, Raphaël et ses disciples Baldassare Peruzzi* et Jules Romain*, Vasari*, Pierre de Cortone*. L’architecte Piranèse* est plus célèbre comme graveur ; le dessin et la peinture ont occupé le médailleur Pisanello*. Antonio et Piero del Pollaiolo*, comme Verrocchio, ont autant de mérite en peinture qu’en sculpture. L’artiste italien tend à l’universalité, dont Francesco di Giorgio Martini, architecte, sculpteur et peintre, s’est approché avant Léonard de Vinci, Michel-Ange et le Bernin*. C’est en Italie, enfin, que l’on compte le plus grand nombre d’artistes écrivains : des poètes comme Michel-Ange, des auteurs de mémoires comme Cellini*, des historiographes comme Vasari et surtout des théoriciens, dont les traités ont eu parfois plus de retentissement que les ouvrages, tels Alberti, Piero della Francesca, Francesco di Giorgio, le Filarete, Léonard, les architectes Vignole* et Vincenzo Scamozzi (1552-1616), le peintre Andrea Pozzo (1642-1709), spécialiste de la perspective.