Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anesthésie (suite)

Le muscle cardiaque est relativement indépendant du système nerveux, mais il ne peut fonctionner que s’il est lui-même bien irrigué. Il souffre très vite du manque d’oxygène et d’aliments énergétiques. En outre, son fonctionnement exige que son contenu, le sang, soit toujours sous une certaine pression. Lui se charge de faire varier cette pression, ce qui a pour résultat de faire circuler le liquide vital. Encore faut-il que la masse de ce liquide soit toujours suffisante.

L’anesthésiste doit donc : 1o veiller au maintien de la masse sanguine, au besoin avec l’aide de la transfusion ; 2o protéger le muscle cardiaque contre tout toxique ; 3o protéger le cœur contre les influences nerveuses capables d’interférer avec l’automatisme cardiaque ; 4o éviter tout ce qui augmente ou lève excessivement les résistances vasculaires périphériques, c’est-à-dire tout ce qui favorise la vaso-constriction ou la vaso-dilatation excessives (chaleur, froid excessifs, drogues sympathicotoniques ou vaso-plégiques, etc.).

Les effets de l’anesthésie générale sur le foie sont liés à la nature des drogues utilisées. D’où la grande importance et le développement de la recherche pharmacologique visant à créer l’agent anesthésique parfait, c’est-à-dire dépourvu de toxicité et d’effets secondaires indésirables. Cet agent n’existe pas encore, et c’est en composant avec les effets secondaires de drogues de plus en plus purifiées que l’anesthésiste conduit son action.

Sur le rein, les agents anesthésiques modernes ont peu d’effets. Mais l’anesthésie par elle-même, surtout lorsqu’elle s’accompagne de modifications importantes de la circulation rénale, peut en avoir de très marqués. On admet que toute sécrétion devient impossible au-dessous de 6 ou 7 mm de mercure de pression sanguine. Il est possible de maintenir des chiffres bien supérieurs, donc sans danger.

Le sang lui-même (globules rouges et blancs) ne souffre pas de l’anesthésie, mais la masse sanguine devant être constamment maintenue par des transfusions*, ce sont les accidents de celle-ci qui doivent être évités.

Les autres systèmes, organes ou appareils sont théoriquement à l’abri de l’action directe des anesthésiques.


La réanimation

De nos jours, l’opéré ne subit pas l’acte chirurgical sans apport d’eau, d’énergie ou d’électrolytes. C’est cette remise en condition qui a reçu le nom de « réanimation* ». Elle commence avant l’intervention, et comprend le régime alimentaire adéquat, la réhydratation (s’il y a lieu), la recharge en glycogène, ou en hormones, ou en globules rouges. Elle se poursuit pendant l’opération, au cours de laquelle tous les déséquilibres sont corrigés dès leur détection.

Les adjuvants de l’anesthésie

Le curare

Le curare a fait son apparition en 1942 en anesthésiologie, lorsque sa purification a été obtenue régulièrement. Il a d’abord été utilisé pour éviter les fractures (des vertèbres) provoquées par les convulsions qui accompagnaient les électrochocs. Puis il est progressivement devenu le plus précieux des adjuvants de l’anesthésie, car il détermine (et sans risque grave si l’anesthésiste est compétent) un relâchement musculaire excellent, même sous anesthésie légère.

Mais le curare n’est pas anesthésique ni surtout analgésique. Il ne faut donc pas négliger les facteurs propres de l’anesthésie, la narcose et l’analgésie, afin d’éviter toute sensation pénible pendant l’opération.

À l’origine, c’était le poison des flèches que les Indiens du haut Amazone employaient pour la chasse. Le gibier atteint était paralysé plus souvent que tué. Sa capture était dès lors facile. Il pouvait ensuite être transporté jusqu’à l’habitation villageoise sans s’altérer en cours de route, comme le gibier mort le ferait rapidement dans ces pays chauds et humides.

Le curare a été importé en Europe pendant les xvie et xviie s. par des voyageurs, mais il n’a été étudié de façon scientifique qu’à partir de 1840, par Claude Bernard.

Extrait d’une variété de Chondrodendron, le curare, ou d-tubocurarine, est un composé bis-benzyl-iso-quinolinique ; il paralyse les muscles striés (sauf le cœur), c’est-à-dire tous les muscles du squelette, en bloquant les impulsions nerveuses conscientes au niveau de la « plaque motrice » neuro-musculaire. Pour pouvoir être franchie, cette jonction doit être sous l’influence de l’acétylcholine formée sur place au moment voulu. Le curare interfère avec ce corps et le rend inactif. L’action se fait sentir en deux ou trois minutes et dure d’un à trois quarts d’heure.

Les muscles sont atteints dans un ordre régulier, les moins puissants en premier : les paupières se ferment, les muscles de la face et du cou perdent leur tonus, enfin les muscles du tronc et des membres, les abdominaux restant actifs, quoique leur force soit diminuée. L’effet du curare se dissipant, le retour à la normale se fait en sens inverse.

La respiration ne serait arrêtée qu’avec des doses excessives, mais sa faiblesse justifie les précautions prises pour l’assister.

Le curare et divers substituts de synthèse sont devenus des moyens précieux pour rendre l’anesthésie moins toxique. Pour un même degré de relâchement, les doses d’anesthésique sont réduites à la concentration suffisante pour que l’opéré n’ait aucune conscience ni souvenir de l’acte opératoire. Des opérations majeures peuvent être faites avec une grande facilité pour le chirurgien et une grande sécurité.

Parmi les dérivés synthétiques employés, certains agissent par un processus identique à celui du curare naturel, tel le triiodoéthylate de gallamine, synthétisé par Daniel Bovet, prix Nobel en 1957, et qui est très souvent employé.

Mais certains curarisants (appelés dépolarisants, car ils agissent théoriquement sur les potentiels membranaires des cellules) ont un mécanisme presque opposé : ils produisent, très rapidement, une accumulation de choline dans la plaque neuro-musculaire telle que l’influx ne peut la franchir, et le résultat est exactement le même que lorsque la choline est en quantité trop faible. Cette « curarisation » par excès de choline est le fait de la succinylcholine, tête de file des curarisants de cette catégorie.

Injectée comme le curare proprement dit, cette drogue donne un relâchement musculaire absolu, mais cet état ne dure que quelques minutes (habituellement), parce que l’excès de choline est rapidement corrigé par la cholinestérase intacte.