Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

L’ampleur des migrations intérieures est devenue le phénomène le plus nouveau de la géographie humaine du pays après la Seconde Guerre mondiale. Dans le passé, les déplacements internes en tant que phénomènes de masse étaient locaux. On partait du village vers le chef-lieu provincial ou la grande ville la plus proche. Cet exode rural avait un effet bénéfique, car il diminuait la surcharge rurale. Cependant, après 1918, les départs depuis les régions montagneuses, notamment dans l’Apennin, ont entraîné un fort vieillissement des secteurs les plus isolés. Quelques directions inverses ont été observées, à la faveur de la mise en valeur de terres bonifiées, avec installation de paysans dans le delta du Pô, en Toscane méridionale et dans le Latium ; mais ce mouvement n’est pas fondamental. En Italie centrale, l’exode rural est retardé par l’arrivée des paysans du Sud, mais ceux-ci n’occupent qu’un temps les terres les plus ingrates et partent à leur tour. Le mouvement le plus caractéristique de l’Italie actuelle est la « fuite vers le Nord » des travailleurs du Sud. Observé sur trente ans (1931-1960), il montre que six régions ont un solde migratoire positif ; il s’agit du Piémont-Aoste (+ 495 000), de la Lombardie (+ 575 000), de la Ligurie (+ 266 000), de la Toscane (+ 94 000) et du Latium (+ 646 000). Dans cette dernière région, l’afflux est à peu près constant dans le temps et est dirigé vers Rome. Les régions du « triangle industriel » (Turin-Milan-Gênes) connaissent des arrivées de plus en plus rapides de migrants, surtout de 1955 à 1964. Les effectifs ont comporté une part croissante de Méridionaux venus à la recherche d’un emploi dans l’industrie, comme manœuvres le plus souvent. Bien des problèmes ont été posés par ces migrations. L’insertion sociale des nouveaux venus n’a pas toujours été facile ; le film Rocco et ses frères illustre ce fait. Les communes d’accueil, qui ont vu leur population croître soudainement, ont été confrontées avec la nécessité d’équipements sociaux qu’elles ont eu de la peine à réaliser, surtout dans les banlieues de Turin ou Milan. Ces mouvements sont très sensibles à la conjoncture économique. Ralentis au moment de la récession de 1964, ils ont repris leur intensité après 1969. Ils ont permis d’alléger démographiquement le Sud, ont fourni des possibilités d’emplois et de promotion aux travailleurs, ont apporté aux industries du Nord la main-d’œuvre dont elles avaient besoin, ont rajeuni la population des régions septentrionales ; ils ont ainsi été un facteur de croissance économique. Mais ils font naître d’autres questions. Dans le Nord, les phénomènes de congestion économique (avec leur corollaire, spéculation immobilière et pollution) sont évidents, tandis que dans le Sud on commence à se préoccuper des conséquences négatives d’un trop grand exode de population.

Au total, les conditions humaines offrent à l’économie des possibilités plus favorables que les conditions naturelles. Les particularités de l’évolution historique et l’abondance de la population sont à l’origine d’une organisation originale et efficace de la production.


L’organisation économique

En quelques années, l’économie s’est transformée, et la rapidité de l’essor a fait parler d’un « miracle italien ». Avec habileté et ténacité, les Italiens se sont dotés d’une industrie moderne et ont conquis les marchés internationaux. Cela s’est fait dans le cadre d’un grand libéralisme. Si les aspects positifs sont manifestes, il y a aussi des traits négatifs qui se révèlent aujourd’hui et qui imposent des réformes sous peine de voir des crises sociales freiner ou arrêter la croissance économique. Pays encore très largement rural en 1945, l’Italie a rejoint le groupe des nations fortement industrialisées.

En 1970, la population active a un effectif de 18,9 millions de personnes, dont 3,7 dans l’agriculture, 8,2 dans l’industrie, 7,1 dans les services. La tertiarisation grandissante est déjà bien marquée, même si les effectifs industriels continuent à croître.


Les conditions du miracle italien


Les effets de la guerre

En 1945, l’aventure dans laquelle Mussolini a lancé l’Italie est terminée ; son bilan est désastreux, et la jeune République se trouve face à une situation très grave. Le tiers de la richesse nationale est anéanti. Le revenu national tombe, en 1945, à la moitié de sa valeur de 1938. Les secteurs les plus touchés par les combats et les bombardements sont le bâtiment et les transports. Près de 2 millions de pièces d’habitations sont détruites, plus de 4 millions sont endommagées. Le réseau ferroviaire est démantelé (un quart des lignes est hors d’usage, 60 p. 100 des locomotives sont détruites), 35 p. 100 des routes sont inutilisables, la marine marchande est réduite au dixième de sa capacité d’avant-guerre. La campagne est dévastée ; le bétail, décimé. Les destructions industrielles ne sont pas massives, mais l’outillage est usagé, vieilli, et les matières premières manquent.


Reconstruction et expansion

La reconstruction va s’opérer en cinq ans. La priorité est accordée à la remise en ordre des transports, obtenue dès 1946. L’aide américaine permet de rouvrir les usines. Mais cet effort s’accompagne de désordres monétaires avec dépréciation de la lire et inflation. Le ministre Luigi Einaudi réussit cependant la stabilisation monétaire. En 1950, l’Italie a retrouvé son niveau de production d’avant 1940.

La croissance économique va alors s’accélérer, surtout après 1955. La demande potentielle de biens et services est immense. Or, l’Italie possède les instruments d’une adaptation de son appareil de production à cette demande. La découverte de gisements de méthane donne une solution partielle, mais heureuse, au problème énergétique. Il y a des millions de chômeurs et de journaliers agricoles sous-employés qui sont prêts à devenir des producteurs et des consommateurs. En 1954, le nombre des chômeurs est de 1,7 million (9 p. 100 des travailleurs), mais progressivement ce nombre s’abaissera à moins de 500 000 (2 à 3 p. 100 de la population active). En 1970, on relève 250 000 personnes en état de sous-emploi et 272 000 chômeurs. Quant aux capitaux, ils sont assez aisément rassemblés pour plusieurs raisons. Le capitalisme privé est encouragé, car les augmentations de productivité ont été supérieures à celles des salaires, et la lente montée des prix stimule les investissements. L’action de l’État est fondamentale ; son rôle est triple : promoteur de travaux publics, directeur de la politique bancaire, véritable entrepreneur par l’intermédiaire d’organismes spécialisés (IRI [Istituto per la Ricostruzione Industrielle], ENI [Ente Nazionale Idrocarburi]). Les capitaux étrangers, américains et suisses surtout, affluent en Italie (20 p. 100 du capital actionnaire national). La part du produit national consacrée aux investissements productifs est passée de 18,7 p. 100 en 1948 à 25,7 p. 100 en 1960. Des industries nouvelles, pour lesquelles le retard technologique ne jouait pas, ont été créées, et ces usines neuves ont pu assurer une production à faibles coûts. Une politique commerciale agressive a permis la conquête des marchés. L’Italie est devenue un partenaire de poids dans le cadre du Marché commun.