anémie (suite)
Les anémies hémolytiques subaiguës ou chroniques
Elles sont très importantes à connaître et à dépister avant la survenue toujours possible de grandes crises d’hémolyse. Les stigmates en sont les suivants : une augmentation de la bilirubine libre dans le plasma, du stercobilinogène fécal, du fer sérique et de l’urobilinurie ; des signes de régénération moins spécifiques que les précédents, sous forme d’une réticulocytose (ou augmentation des réticulocytes, qui sont de jeunes hématies) et très accessoirement d’une érythroblastose médullaire. Cliniquement, les anémies hémolytiques se traduisent le plus souvent par l’association d’un sub-ictère (jaunisse), de signes d’anémie et d’une grosse rate. Dans un certain nombre de cas, les seules données fournies par l’interrogatoire concernant l’histoire de la maladie hémolytique font évoquer le diagnostic : une notion d’atteinte familiale fait immédiatement envisager la possibilité d’une maladie de Minkowski-Chauffard, qu’attestera ensuite l’existence d’une microsphérocytose, d’une forte diminution de la résistance globulaire aux solutions osmotiques et d’une séquestration des hématies au sein de la rate hypertrophiée. Cette maladie peut être longtemps latente, puis donner lieu à des accidents brutaux d’hémolyse et à des poussées de splénomégalie très douloureuses. Dans son déterminisme, on invoque une altération de la paroi globulaire. Mais cette théorie étiopathogénique est assez incertaine. Un fait demeure : la guérison remarquable de tous les troubles cliniques après ablation de la rate (splénectomie), alors même que subsiste la microsphérocytose, seul témoin désormais de cette maladie génétique à transmission dominante.
Tout aussi évocatrice est la notion ethnique qui suggère le plus souvent une hémoglobinopathie. Chez les sujets de race noire, il s’agit essentiellement de la drépanocytose due à la présence d’hémoglobine S, soit sous forme homozygote (très grave), soit sous forme hétérozygote (relativement mieux supportée). Les hématies porteuses de cette hémoglobine anormale ont une fâcheuse tendance à se détériorer sous l’effet d’une privation même partielle en oxygène. La drépanocytose est émaillée d’accidents thrombotiques multiples, responsables d’infarctus viscéraux et osseux à répétition. Les malades homozygotes (sicklanémiques) meurent précocement, ou survivent dans des conditions très difficiles ; les malades hétérozygotes sont à l’origine de la survivance de la tare, mais peuvent également, dans certaines conditions (notamment à l’occasion de voyages aériens dans des appareils mal pressurisés), faire des accidents identiques à ceux des malades homozygotes. Cette maladie, décrite essentiellement chez les Noirs (africains et américains), se voit dans une faible proportion chez les Grecs et chez les Turcs. Ses rapports avec le degré d’impaludation des régions touchées sont toujours discutés.
Chez les sujets originaires du littoral méditerranéen, c’est surtout à la thalassémie qu’il faudra penser. Celle-ci est due à la persistance anormale d’hémoglobine fœtale F, dans des proportions variables qui conditionnent une classification en trois formes : majeure, mineure et minime. Dans cette dernière, on observe seulement en fait une élévation de la fonction A2 de l’hémoglobine adulte A. Le diagnostic de la thalassémie majeure, ou maladie de Cooley, repose chez l’enfant sur son aspect chétif, son faciès mongoloïde et la présence éventuelle d’ulcères de jambes. Le pronostic en est particulièrement sombre. Les formes mineures et surtout minimes peuvent n’être diagnostiquées que plus tardivement, en raison de leur latence, et même simplement à l’occasion d’examens systématiques (présence de cellules-cibles sur frottis de sang). Le diagnostic de certitude est apporté par l’électrophorèse de l’hémoglobine et par l’étude de la résistance de l’hémoglobine à la dénaturation alcaline, singulièrement augmentée pour l’hémoglobine F, alors que toutes les autres hémoglobines sont sensibles à cette dénaturation. D’autres hémoglobinopathies peuvent être encore observées, dues à la présence d’hémoglobine C chez l’Africain (souvent associée à l’hémoglobine S et alors pourvoyeuse d’hémolyse), D ou E chez l’Asiatique, H, I, J, K dans des cas beaucoup plus rares.
Si l’on a la notion par ailleurs de poussées d’hémolyse à l’occasion de la prise de certains médicaments ou d’ingestion de fèves, il convient de demander un dosage des enzymes intraglobulaires (déficit en glucose phosphodéshydrogénase, responsable notamment du favisme). En présence d’un effondrement paradoxal du fer sérique à l’occasion d’une hémolyse subaiguë ou chronique, on peut être amené à porter le diagnostic de maladie de Marchiafava-Micheli, qui se traduit en outre par une fuite de fer dans les urines, et pratiquer un test qui objective la fragilité anormale des hématies en milieu acide. L’autre nom de cette curieuse affection est l’hémoglobinurie paroxystique nocturne, en raison de l’émission d’urines lie-de-vin au matin pendant les accès hémolytiques, contrastant avec un aspect normal durant le jour. Il faut enfin savoir chercher une cause immunologique à certaines anémies hémolytiques subaiguës ou chroniques. Tout à fait à part et avant d’envisager les grandes anémies aiguës, il y a lieu de rappeler les anémies chroniques dues à un mélange d’hémolyse et d’insuffisance de production médullaire. Elles s’accompagnent le plus souvent d’une pancytopénie (diminution du nombre de tous les globules, rouges et blancs) périphérique et s’observent au cours des leucémies, de certains cancers, d’intoxications ou de thérapeutiques médicamenteuses prolongées (benzol, moutarde azotée, sels d’or, pyrimidine, chloramphénicol), après exposition aux radiations ionisantes, lors de certaines insuffisances rénales, ou enfin caractérisent certaines maladies héréditaires (maladie de Fanconi).