Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

islām (suite)

Pourtant, l’Empire ‘abbāsside se morcelle ; comme celle des Ṭūlūnides, les principautés prennent leur distance par rapport à Bagdad ; l’Espagne omeyyade a rompu avec elle, et ainsi fera peu après, plus radicalement encore, l’Égypte fāṭimide (969). Malgré la formation ultérieure de grands empires (Seldjoukides au Proche-Orient, Almohades au Maghreb et en Espagne, plus tard Ottomans, Séfévides, Grands Moghols), tous soucieux d’imposer leur style dans les provinces (mosquées ou tapis turcs d’Algérie), l’islām ne retrouvera plus jamais son unité. Les échanges seront moins faciles, les substrats locaux plus libres de se montrer, les ethnies moins assujetties au sémitisme, l’économie inégale... Les arts de l’islām garderont des caractères communs, mais ils se différencieront.


L’architecture


Les matériaux

La céramique, un des arts les plus importants de l’islām, illustre de façon remarquable ce qui les caractérise tous : la primauté accordée au décor. Ses objets magnifiquement traités emploient en effet la matière la plus humble, la terre ; certains utilisent même une terre fort grossière et un engobe épais. D’autres, à reflets métalliques, sur le dessin desquels passent des miroitements d’or et de cuivre, montrent que l’art peut glisser sur la matière sans s’arrêter à elle. Dans d’autres arts mineurs, on préfère se servir de ce qui a le moins d’épaisseur, « comme un vêtement flottant, comme un métal fusible ». On pense que tout n’a qu’une existence éphémère, que l’avenir n’appartient qu’à Dieu, que la condition humaine ne doit être qu’un rêve dont on s’éveillera.

Les arts de l’islām attachent donc plus d’importance au décor qu’à la construction, malgré le goût souvent effréné des princes pour l’architecture, malgré l’élégance de maintes formes et même dans les cas où l’architecte atteint à ses plus hauts sommets. Plus généralement il importe, à la fois pour ne pas affirmer la durée des choses terrestres et pour satisfaire les besoins de la communauté ou obéir aux caprices du souverain, de bâtir vite et brillamment plutôt que solidement, de mettre en route d’immenses chantiers, quitte à embaucher une main-d’œuvre servile, non qualifiée. Aussi, dans la mesure du possible, emploie-t-on des matériaux qui ont déjà servi, colonnes et chapiteaux surtout : ceux des temples anciens aux premiers siècles de l’islām et plus tard, quand l’Anatolie s’ouvre aux Turcs ; ceux des temples indiens, quand les musulmans occupent l’Inde* (Quwwat al-Islām de Delhi*, mosquée d’Ajmer, fin du xiie s.). Le Maghreb, au xvie s. et plus tard, importe des éléments de remploi italiens. Aussi les matériaux les plus divers sont-ils utilisés : la pierre de taille, le marbre, le moellon, la brique cuite ou crue, la terre pilonnée. Parfois la nature du sol ou la végétation guident les architectes ; parfois ceux-ci suivent des traditions étrangères au lieu et construisent en brique dans des pays de belle pierre.

Presque toujours le matériau importe peu. Une même école, un même maître peuvent réaliser des œuvres étroitement apparentées avec n’importe quelle matière première : les trois minarets contemporains (fin du xiie s.) de Séville* (Giralda), de Rabat (tour Ḥasan) et de Marrakech* (Kutubiyya) sont respectivement en brique, en pierre de taille et en moellon. Pourtant, surtout quand le décor reste localisé en des points précis, l’appareillage peut être soigné, et certaines écoles tirent de lui les plus beaux effets. Alors sont mis en évidence les organes essentiels, les portes et les fenêtres, les tambours, les trompes et les pendentifs ; alors apparaissent nettement les divisions en étages ou en nefs. Plus souvent, surtout dans les étapes ultérieures d’évolution, le monument est enveloppé dans un revêtement de stuc ou de céramique. Cet habit, comme celui qui revêtira les objets, n’a pas pour raison d’être d’en souligner la forme, mais souvent de la faire oublier : au bout d’un certain temps, le décor arrive à dépasser la ligne architecturale, à la tuer.

Souvent indispensable à l’architecture, le bois, enfin, est rare dans les pays musulmans (sauf en Inde, en Anatolie, au Liban, dans certaines régions du Maghreb). Aussi est-il employé avec parcimonie et soin. Si, au Cachemire*, il est le matériau fondamental, tant pour les mosquées que pour les tombeaux et les bâtiments civils, c’est par exception. En Transoxiane, en Iran, dans la Turquie seldjoukide, il joue un rôle dans l’architecture sous forme de hautes et sveltes colonnes. Mais généralement il n’est utilisé que pour les poutres, les tirants, les corbeaux, les portes, les fenêtres, les clôtures (maqṣūra) et le mobilier. Toujours, alors, il est sculpté et parfois peint. La sculpture en plein bois est à un ou deux niveaux, et l’assemblage est réalisé soit par découpage et montage à tenons et mortaises, soit par insertion de petits panneaux dans des baguettes à rainures (« Kassetenstyl »). Le goût pour les incrustations et la marqueterie de matériaux contrastants (comme l’ivoire et l’ébène) est aussi ancien que l’islām, mais s’accentue après le xive s. L’Égypte nous a légué un grand nombre de ces œuvres, parmi lesquelles les panneaux fāṭimides qui illustrent les plaisirs de la chasse, de la musique, de la vie de cour.


Mausolées

Le Qubbat al-Ṣulaybiyya de Sāmarrā est dans le monde de l’islām une innovation peu canonique. La loi stipule en effet que l’inhumation doit avoir lieu au désert sous une dalle anépigraphiée, que tout passe, que nul ne peut juger en bien ou en mal avant Dieu. Inlassablement, les fatwās du Caire demanderont, comme les Wahhābites contemporains, la destruction des mausolées, sentis par les autorités religieuses comme le signe d’une dangereuse déviation. Ces protestations n’empêcheront ni le culte des saints, ni la vénération pour les grands de ce monde. Paradoxalement, l’art funéraire deviendra prépondérant dans tout l’islām.

Assez tôt, les stèles et les sarcophages portent des inscriptions religieuses, donnent le nom du défunt, chantent ses louanges. À partir de la fin des Seldjoukides, ils s’ornent parfois d’un décor géométrique ou floral, d’emblèmes et, dans des cas extrêmes, d’effigies humaines.