Irlande (suite)
L’étude de la sculpture porte seulement sur des monuments isolés, stèles ou croix. La grande croix (high cross) irlandaise ne semble pas avoir eu un caractère funéraire. Les églises des communautés monastiques étaient trop exiguës pour contenir les grands rassemblements de fidèles ; le prédicateur, réunissant les pèlerins autour de ces croix, en commentait les scènes sculptées (croix d’Ahenny, v. 750 ; croix de Clonmacnoise, v. 790). Les croix sont en règle générale conformes au modèle type. Une base rectangulaire supporte une pyramide tronquée ; puis un fût à quatre pans s’élève, portant la croix entourée de l’anneau, symbole cosmique ; un petit tabernacle surmonte le tout. La surface de la croix est habituellement divisée en registres, ornés, en faible relief, d’un décor géométrique ou de sujets à personnages (croix de Muiredach à Monasterboice). Ceux-ci sont adroitement adaptés aux surfaces des différents registres, et les mouvements de chaque groupe de figures sont d’une diversité surprenante.
Il semble que pendant plus d’un siècle, à partir de 915, on n’ait plus élevé de ces grandes croix, si caractéristiques de l’art irlandais. Elles reparaissent au xiie s., mais prennent un aspect différent. Le haut de la croix est plus petit. Le motif de l’anneau-roue évolue et l’on trouve des figures d’assez grande taille, en relief, parfois même en ronde bosse (Dysert O’Dea). L’iconographie multiplie les représentations bibliques et hagiographiques. Le répertoire s’élargit sous l’influence des enluminures.
L’orfèvrerie, technique préférée de l’Irlande ancienne, doit son éclat à des ateliers locaux fort actifs. Dès le viiie s., elle devient un art brillant, raffiné et étrange à la fois. Assimilant vite les apports extérieurs, les artistes composent des décors originaux et extraordinairement élégants. La taille d’épargne est d’un emploi constant. Le filigrane, dont les soudures sont invisibles, atteint une invraisemblable finesse. Toute la surface des châsses, calices, crosses, reliures est ornée des mêmes spirales et entrelacs. Cabochons et émaux sertis leur donnent un aspect somptueux. Des objets nous sont parvenus presque intacts : la broche de Tara (British Museum, Londres) et le ciboire d’Ardagh (National Museum, Dublin), datés du viiie s.
Le « Catach » de saint Colomba (fin du vie - début du viie s., Royal Irish Academy, Dublin) marque les origines de l’enluminure, qui atteint au viiie s. une virtuosité brillante avec le Book of Kells (Trinity College, Dublin) [V. Celtes]. Chaque manuscrit s’ouvre sur une double page enluminée remplaçant la page de titre de l’Antiquité et des ouvrages continentaux. À gauche, une page qui est soit couverte d’un décor ornemental, le « tapis », dont les motifs les plus caractéristiques sont le damier, les spirales, les peltas, les entrelacs, les rinceaux, les grecques..., soit remplie par le « portrait » ou symbole de l’évangéliste dans un cadre richement orné. À droite, le texte, qui débute par de grandes initiales enclavées reprenant le même décor que le tapis. L’analogie avec les motifs sculptés, l’influence de l’orfèvrerie et des émaux sont évidentes : ainsi, le symbole de saint Jean, dans le Book of Durrow (Trinity College, Dublin) est à rapprocher de la stèle de Fahan, côté est. La figure humaine est très simplifiée (Book of Durrow : portrait de saint Matthieu).
L’évolution du décor trahit des influences méditerranéennes : des inscriptions grecques sont recopiées à côté des figures des évangélistes dans le Book of Lindisfarne (Northumberland), conservé au British Muséum. En même temps, la troisième dimension apparaît dans le traitement des corps et des draperies, et la rigueur abstraite, se relâchant, fait place à un réel effort figuratif.
Cependant, les dévastations des envahisseurs vikings du viiie au xe s. et l’épanouissement de l’art carolingien sur le continent ruinèrent les recherches de cet art mystérieux, héritier des traditions « barbares ». Au Moyen Âge, l’art irlandais perd son caractère insulaire et se mêle plus intimement à l’art anglais. Mais il n’en disparaît pas pour autant. Les sculpteurs romans du continent puiseront largement dans la thématique irlandaise, en en repensant les principaux éléments. La conquête normande et le développement de l’art gothique achèveront l’assimilation de cet art.
B. A.
F. Henry, Early Christian Irish Art (Dublin, 1954) ; l’Art irlandais (Zodiaque, La Pierre-qui-Vire, 1963-64 ; 3 vol.).