Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

L’étude de la sculpture porte seulement sur des monuments isolés, stèles ou croix. La grande croix (high cross) irlandaise ne semble pas avoir eu un caractère funéraire. Les églises des communautés monastiques étaient trop exiguës pour contenir les grands rassemblements de fidèles ; le prédicateur, réunissant les pèlerins autour de ces croix, en commentait les scènes sculptées (croix d’Ahenny, v. 750 ; croix de Clonmacnoise, v. 790). Les croix sont en règle générale conformes au modèle type. Une base rectangulaire supporte une pyramide tronquée ; puis un fût à quatre pans s’élève, portant la croix entourée de l’anneau, symbole cosmique ; un petit tabernacle surmonte le tout. La surface de la croix est habituellement divisée en registres, ornés, en faible relief, d’un décor géométrique ou de sujets à personnages (croix de Muiredach à Monasterboice). Ceux-ci sont adroitement adaptés aux surfaces des différents registres, et les mouvements de chaque groupe de figures sont d’une diversité surprenante.

Il semble que pendant plus d’un siècle, à partir de 915, on n’ait plus élevé de ces grandes croix, si caractéristiques de l’art irlandais. Elles reparaissent au xiie s., mais prennent un aspect différent. Le haut de la croix est plus petit. Le motif de l’anneau-roue évolue et l’on trouve des figures d’assez grande taille, en relief, parfois même en ronde bosse (Dysert O’Dea). L’iconographie multiplie les représentations bibliques et hagiographiques. Le répertoire s’élargit sous l’influence des enluminures.

L’orfèvrerie, technique préférée de l’Irlande ancienne, doit son éclat à des ateliers locaux fort actifs. Dès le viiie s., elle devient un art brillant, raffiné et étrange à la fois. Assimilant vite les apports extérieurs, les artistes composent des décors originaux et extraordinairement élégants. La taille d’épargne est d’un emploi constant. Le filigrane, dont les soudures sont invisibles, atteint une invraisemblable finesse. Toute la surface des châsses, calices, crosses, reliures est ornée des mêmes spirales et entrelacs. Cabochons et émaux sertis leur donnent un aspect somptueux. Des objets nous sont parvenus presque intacts : la broche de Tara (British Museum, Londres) et le ciboire d’Ardagh (National Museum, Dublin), datés du viiie s.

Le « Catach » de saint Colomba (fin du vie - début du viie s., Royal Irish Academy, Dublin) marque les origines de l’enluminure, qui atteint au viiie s. une virtuosité brillante avec le Book of Kells (Trinity College, Dublin) [V. Celtes]. Chaque manuscrit s’ouvre sur une double page enluminée remplaçant la page de titre de l’Antiquité et des ouvrages continentaux. À gauche, une page qui est soit couverte d’un décor ornemental, le « tapis », dont les motifs les plus caractéristiques sont le damier, les spirales, les peltas, les entrelacs, les rinceaux, les grecques..., soit remplie par le « portrait » ou symbole de l’évangéliste dans un cadre richement orné. À droite, le texte, qui débute par de grandes initiales enclavées reprenant le même décor que le tapis. L’analogie avec les motifs sculptés, l’influence de l’orfèvrerie et des émaux sont évidentes : ainsi, le symbole de saint Jean, dans le Book of Durrow (Trinity College, Dublin) est à rapprocher de la stèle de Fahan, côté est. La figure humaine est très simplifiée (Book of Durrow : portrait de saint Matthieu).

L’évolution du décor trahit des influences méditerranéennes : des inscriptions grecques sont recopiées à côté des figures des évangélistes dans le Book of Lindisfarne (Northumberland), conservé au British Muséum. En même temps, la troisième dimension apparaît dans le traitement des corps et des draperies, et la rigueur abstraite, se relâchant, fait place à un réel effort figuratif.

Cependant, les dévastations des envahisseurs vikings du viiie au xe s. et l’épanouissement de l’art carolingien sur le continent ruinèrent les recherches de cet art mystérieux, héritier des traditions « barbares ». Au Moyen Âge, l’art irlandais perd son caractère insulaire et se mêle plus intimement à l’art anglais. Mais il n’en disparaît pas pour autant. Les sculpteurs romans du continent puiseront largement dans la thématique irlandaise, en en repensant les principaux éléments. La conquête normande et le développement de l’art gothique achèveront l’assimilation de cet art.

B. A.

 F. Henry, Early Christian Irish Art (Dublin, 1954) ; l’Art irlandais (Zodiaque, La Pierre-qui-Vire, 1963-64 ; 3 vol.).

Irving (Washington)

Écrivain américain (New York, 1783 - Tarrytown 1859).


Washington Irving est le premier écrivain américain qui, avant Fenimore Cooper* et Edgar Poe*, ait joui d’une considération internationale, à la fois en Amérique et en Europe, où il passa une grande partie de sa vie. C’est en ce sens que cet écrivain, aujourd’hui délaissé, peut apparaître comme un pionnier des lettres américaines. Mais sa carrière et son œuvre témoignent du déchirement d’une inspiration tiraillée entre la tradition européenne et la réalité américaine.

Fils d’un négociant new-yorkais, benjamin d’une famille de onze enfants, Irving naît symboliquement en 1783, l’année même où le traité de Versailles consacre l’indépendance des treize colonies américaines. On lui donne le prénom de Washington en hommage au premier président américain, qui est un ami de la famille. Mais Irving est élevé selon les méthodes de la rhétorique européenne, dans un pays encore incertain, qui n’est plus une colonie, mais pas encore une nation.

Après des études de droit, il commence sa carrière d’écrivain en 1802, en publiant dans le Morning Chronicle de New York une série de chroniques humoristiques sur la vie mondaine. Il suit la tradition du journalisme anglais, à la manière satirique et distinguée du Spectator de Steele et Addison. Le pseudonyme qu’il choisit, Jonathan Oldstyle, reflète son tempérament traditionaliste. Atteint de tuberculose, Irving fait, pour des raisons de santé, un premier voyage en Europe de 1804 à 1806. En 1807-08, de retour à New York, il écrit, en collaboration avec son frère William et James K. Paulding, Salmagundi ; or the Whim-Whams and Opinions of Launcelot Langstaff Esq. and Others, suivi en 1809 d’un autre pot-pourri de chroniques humoristiques, A History of New York from the Beginning of the World to the End of the Dutch Dynasty (aussi appelé Diedrich Knickerbocker’s History of New York). Il y pratique l’histoire à la manière parodique des humoristes anglais du xviiie s. La seconde guerre de l’Indépendance contre l’Angleterre (1812-1814) suspend ses activités littéraires ; il est nommé aide de camp du gouverneur de New York, Daniel Tompkins.