Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

On peut alors distinguer quatre partis. D’un côté les catholiques : les Irlandais commandés par Owen Roe O’Neill et les « Vieux Anglais », c’est-à-dire les « Anglo-Irlandais », dirigés par Richard Preston, comte de Desmond ; ces deux groupes formaient la « confédération de Kilkenny », mais étaient loin de s’entendre, malgré l’action du nonce Giovanni Battista Rinuccini.

En face d’eux : les protestants, mais les uns étaient puritains et partisans du Parlement, les autres étant protestants modérés et royalistes ; les premiers tenaient bon nombre de villes, les seconds, commandés par le lord-député James Butler (1610-1688), marquis d’Ormonde, possédaient une assez bonne armée et contrôlaient Dublin.

Dans l’ensemble, les Irlandais remportèrent les plus importants succès militaires, sous le commandement de O’Neill : mais leurs divisions les empêchèrent de concrétiser ces succès, alors qu’Ormonde, plutôt que de leur laisser Dublin, préférait rendre la ville aux parlementaires (1647) et quitter l’Irlande. Le départ de Rinuccini et la mort de O’Neill en 1649 ruinèrent les espoirs irlandais : ainsi, les Irlandais n’avaient pas été capables de profiter des luttes internes de l’Angleterre.

En deux ans de sanglante répression (massacre de Drogheda en sept. 1649), Oliver Cromwell* supprima toute velléité de résistance : un énorme transfert de terres, une spoliation générale suivirent.

La Restauration* ne changea pas grand-chose à cette situation. Avec Jacques II*, catholique, une nouvelle chance s’offrit aux Irlandais : le lord-député d’Irlande Richard Talbot (1630-1691), comte de Tyrconnel, ouvrit la plupart des emplois aux catholiques et leva une excellente armée dont les officiers étaient en général catholiques.

Aussi, lorsque après la « glorieuse Révolution » Jacques II eut quitté l’Angleterre, il revint de France en Irlande : c’est là qu’il livra contre Guillaume III* la bataille décisive de la Boyne (1er juill. 1690), où les troupes protestantes l’emportèrent. Tandis que Jacques II regagnait la France, les soldats irlandais, commandés par Patrick Sarsfield (v. 1650-1693), obtenaient en octobre 1691 une capitulation honorable par leur brillante défense de Limerick. Près de 7 000 officiers et soldats — dont beaucoup étaient les derniers représentants de l’aristocratie gaélique — quittèrent le pays et allèrent s’engager dans les troupes des princes européens (de Louis XIV, en particulier).

Ainsi se termina la dernière campagne de l’armée irlandaise. Faute d’élites, soit par suite des nombreux exils, soit surtout que les spoliations aient par trop réduit les couches dirigeantes d’origine irlandaise, les Irlandais étaient désormais incapables d’organiser une armée : seuls le brigandage et plus tard la guérilla leur restaient possibles. Le pays était maintenant complètement dominé par une aristocratie anglaise ou écossaise et, à côté des Irlandais, il existait une population protestante très importante.

• Le xviiie s. irlandais. On aurait tort de croire que tout allait pour le mieux entre Londres et l’Irlande protestante ; il existait en effet deux causes de mécontentement profond. La première était d’ordre économique : aux yeux de l’Angleterre, l’Irlande n’avait qu’un statut colonial ; elle ne pouvait donc commercer directement avec les autres colonies anglaises et ne devait surtout pas concurrencer l’Angleterre elle-même. Des mesures furent prises pour limiter l’importation d’Irlande en Angleterre du bétail et des produits textiles : l’industrie naissante de l’Irlande fut ainsi ruinée par cette politique à courte vue, et avec elle la bourgeoisie protestante si dynamique qui en avait été la promotrice.

Le second grief était d’ordre politique, le Parlement de Dublin n’ayant en fait aucun pouvoir réel et étant encore plus affecté par la corruption que celui de Westminster.

Les protestants d’Irlande ressentaient d’autant plus cette double sujétion, politique et économique, qu’à Dublin et à Belfast il y avait une vie sociale et culturelle brillante. « Trinity College » (Dublin), fondé en 1591 par Élisabeth Ire et dont tous les étudiants étaient protestants, était une excellente université. Une remarquable intelligentsia était capable de donner aux doléances irlandaises un écho maximal : les pamphlets de Jonathan Swift* en témoignent.

Il est vrai que la situation des catholiques et des protestants dissidents (presbytériens, puritains, etc.) était pire. Les catholiques tombaient sous le coup des « lois pénales », une série de mesures promulguées entre 1702 et 1705 ; ils ne pouvaient plus acquérir de terres en libre tenure, et devaient se contenter de celles qu’ils pourraient recevoir par héritage. En outre, le droit d’aînesse était aboli : les propriétés devaient être partagées de façon égale entre tous les enfants d’une même famille ; l’émiettement de leurs propriétés condamnait les dernières familles de l’aristocratie catholique à la ruine. Un catholique ne pouvait porter des armes ou monter un cheval de valeur ; il ne pouvait appartenir à la justice, à l’armée, à l’administration ou à l’enseignement.

Les protestants dissidents étaient un peu mieux traités : mais catholiques et dissidents étaient également exaspérés d’avoir à payer la dîme à l’« Église d’Irlande », Église officielle qui les persécutait.

Ainsi, derrière la façade protestante se profilait une « Irlande cachée » ; celle-ci ne s’exprimait que d’une façon sporadique par des révoltes agraires et des actions de brigandage (celles des « rapparees », ou encore celles des « houghers » du Connacht) qui traduisaient la profonde misère des petits tenanciers catholiques.

Les dissidents, quant à eux, préféraient émigrer vers les colonies américaines. C’est, en fin de compte, tout un groupe de jeunes protestants qui, inspirés par les idées de William Molyneux († 1698), Swift, Berkeley* et Locke*, sut faire évoluer la situation. Menés par des hommes de valeur, Henry Flood (1732-1791) et l’avocat Henry Grattan (1746-1820), ils réussirent à restaurer la valeur du Parlement d’Irlande et à profiter des difficultés anglaises en Amérique.

Prenant prétexte des menaces que les corsaires américains et les Français faisaient peser sur l’Irlande, Grattan et ses amis organisèrent le corps des « Volontaires irlandais », qui, dès 1780, regroupait plus de 80 000 hommes. Désireux de lever des troupes en Irlande et craignant de voir l’exemple américain suivi, le gouvernement de Londres multiplia les concessions.

En 1782-83, l’Irlande acquit enfin son autonomie législative ; la loi Poynings de 1494 était abolie comme l’Acte déclaratoire de 1719, qui donnait au Parlement de Westminster le droit de légiférer pour l’Irlande, tandis que les mesures contre les catholiques et les protestants dissidents étaient nettement radoucies.