Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

C’est ainsi que l’on a pu parler d’un âge d’or de l’Irlande. Mais, si les réussites sont évidentes sur les plans religieux et culturel, en revanche les divisions politiques ne s’atténuèrent guère, l’autorité de l’Árd Rí restant très théorique. Pourtant, le dynamisme irlandais est attesté par l’expansion irlandaise : l’Écosse et l’Irlande formèrent, dans une large mesure, une seule et même unité politique du viie au ixe s. Les faiblesses irlandaises devaient cependant être révélées par l’attaque Scandinave qui allait, pour des siècles, compromettre l’essor de l’Irlande.


L’attaque scandinave

Les premiers raids Scandinaves épargnèrent d’abord l’Irlande proprement dite. Les Norvégiens dévastèrent Iona dès 795, mais ce n’est pas avant 830 que fut lancée la première tentative sérieuse contre l’Irlande : Thorgest s’assura un certain nombre de points forts d’où il put à loisir piller les royaumes d’Ulster, de Connacht et de Meath. Toutefois, en 845, Malachie (Maelsechlainn), le roi de Meath, réussit à le faire assassiner et il s’ensuivit, jusqu’à l’arrivée des chefs Olav le Blanc et Ivar en 852, un bref répit pour les Irlandais.

Les combats de la seconde moitié du ixe s. prirent une tournure différente. Bientôt, l’on n’eut plus affaire à deux protagonistes, les « Gaëls », d’une part, et les « Galls » (c’est ainsi que l’on désignait les Norvégiens), d’autre part, mais aussi à un troisième, les « Ostmen », des Scandinaves celtisés, dont l’importance alla croissant.

Dès leur arrivée, les Norvégiens avaient en effet fondé toute une série de forts qui faisaient aussi fonction de marchés et qui furent les premières villes que connut l’Irlande, à commencer par Dublin. Très vite, ces Scandinaves pratiquèrent la langue gaélique et adoptèrent la religion chrétienne, tandis que de nombreux mariages, surtout au niveau des couches dirigeantes, rapprochaient les deux communautés.

La paix de l’Irlande dépendit donc dans une certaine mesure des seuls Norvégiens, et, à partir de la mort d’Ivar (873), le calme régna jusqu’en 914, permettant derechef l’essor de la culture irlandaise : c’est ainsi que fut rédigé dans le royaume de Cashel, sur l’ordre du savant roi Cormac, le Livre des droits, véritable constitution de l’Irlande celtique, qui décrivait les prérogatives de l’Árd Rí et celles des autres rois.

Mais en 914 arrivèrent de Norvège les petits-fils d’Ivar, qui reprirent Dublin (916). En 919, le Norvégien Sitric écrasa les forces de l’Árd Rí Niall au Genou Noir. Progressivement, toute l’Irlande de l’Ouest tomba aux mains des Norvégiens. Olav Kvaran († 981) ajouta aux villes que tenaient les Norvégiens (Dublin, Cork, Wexford, Waterford, Limerick, Carlingford, Wicklow, Newry) presque tout le royaume de Meath à partir de 977.

Pourtant, la réaction vint : Brian Boru, simple roi du Thomond, réussit à reprendre le contrôle de tout le royaume de Munster, qu’il réorganisa, tandis que Malachie II devenait roi de Meath et, en 980, Árd Rí. À la bataille de Tara, en 980, Malachie II écrasait Olav Kvaran : ainsi se termina ce que les poètes irlandais ont appelé la « captivité de Babylone ». Malachie obligea les « Ostmen » de Dublin à se reconnaître ses vassaux et prit pour femme Gormflath, l’épouse d’Olav.

Pendant ce temps, la puissance de Brian Boru grandissait. Ayant soumis le Leinster et l’Ossory, il dominait toute l’Irlande du Sud. Il semble que les deux souverains se soient mis d’accord pour se partager l’Irlande : mais, à partir de 999, Gormflath, répudiée par Malachie, sema la zizanie parmi eux. Après avoir d’abord eu recours à son fils (par Olav) Sitric, le roi de Dublin, elle épousa Brian Boru et le lança contre Malachie : ce dernier préféra se soumettre et abandonna en 1002 le titre d’Árd Rí à Brian.

La fin du règne de Brian (1002-1014) est l’un des derniers moments de gloire de l’Irlande celtique du Moyen Âge. L’Irlande paraissait avoir définitivement vaincu l’envahisseur norvégien. Pourtant, Gormflath, répudiée par Brian cette fois, suscita de nouveau une révolte de Sitric, qui reçut l’appui de Sigurd, le jarl des îles Orcades : Brian et Malachie furent vainqueurs à la bataille de Clontarf, mais Brian fut tué.

Jamais plus l’Irlande celtique ne devait retrouver un tel équilibre politique. Les descendants de Brian (les O’Brien) conservèrent la fonction d’Árd Rí jusqu’en 1119, mais leur prestige était très diminué depuis qu’ils avaient subi plusieurs défaites face à leurs rivaux. En 1119, ce fut le roi du Connacht, Turloch O’Connor († 1156), qui devint le dernier Árd Rí d’Irlande.

À l’affaiblissement politique correspondit la normalisation religieuse : l’archevêque de Canterbury et la papauté, exploitant savamment les oppositions entre Irlandais gaéliques et Ostmen (qui se conformaient souvent à des usages beaucoup moins particuliers), s’employèrent à supprimer tous les traits originaux du catholicisme irlandais. L’action de Celsus, archevêque d’Armagh et primat d’Irlande à partir de 1106, du légat pontifical Gilbert de Limerick et surtout de saint Malachie, un ami de saint Bernard de Clairvaux, fut à cet égard très efficace : réforme nécessaire, certes, car nombreux étaient les abus et les excès, mais qui affaiblissait aussi l’un des fondements de l’originalité irlandaise.

L’Église réformée aurait pourtant pu jouer un rôle de ciment et aider l’Árd Rí Turloch O’Connor à réaliser l’unité politique. Mais tel n’était pas encore le cas, et Turloch, par trop maladroit, se suscita trop d’ennemis, à commencer par Dermot Mac Murrough († 1171), le cruel souverain du Leinster, qui, chassé par ses sujets en 1166, s’en alla demander l’aide du roi d’Angleterre, Henri II.


La conquête anglo-normande

La monarchie d’Angleterre n’avait pas attendu l’appel de Dermot pour s’intéresser à l’Irlande, et, dès 1155, Henri II s’était fait reconnaître par le pape Adrien IV la souveraineté de l’Irlande en cas de conquête. Lorsque Dermot vint le trouver en France, il n’avait cependant pas les mains libres et se contenta de l’autoriser à lever des troupes en Angleterre.