Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iraq (suite)

On s’explique ainsi que les cultures céréalières dominent presque exclusivement la production agricole. C’est l’orge qui l’emporte dans les terres irriguées, en raison de sa plus forte résistance à la salure, tandis que le blé domine dans la zone des cultures pluviales du Nord, où le total des précipitations se relève au pied du Taurus. Le riz n’est guère important que dans le bas Iraq, ainsi que le mil et le maïs. Les cultures industrielles restent tout à fait secondaires. C’est le coton dans la Mésopotamie moyenne, le tabac dans le Kurdistān. Les seules plantations notables sont les grandes palmeraies, qui constituent un ruban presque continu (10 à 15 millions d’arbres au total) sur les rives du Chaṭṭ al-‘Arab, dans le bas Iraq, produisant environ 300 000 t de dattes dont les deux tiers sont destinés à l’exportation.


Les transformations de l’agriculture : grands travaux et réforme agraire

Une ère agricole nouvelle s’est cependant ouverte depuis 1956 avec la mise en place d’un système de protection qui met l’Iraq à l’abri des inondations incontrôlées. Un premier élément en est constitué par des barrages édifiés dans les montagnes du Kurdistān, sur le Grand Zāb, le Petit Zāb et la Diyālā, qui retiennent au total 10 km3, restitués pendant l’été pour l’irrigation. Surtout ont été aménagés de gigantesques déversoirs qui peuvent recevoir le trop-plein des crues et l’écartent des terres cultivées. Sur l’Euphrate, c’est le lac d’Ḥabbāniya et la dépression d’Abū Dibbis, dont la capacité de rétention est de 6,75 km3, avec un canal d’amenée de 2 800 m3/s de débit. Pour le Tigre, le même rôle est tenu par la vallée du Wādī Tharthār, de direction nord-sud, entre Tigre et Euphrate, vallée morte qui se termine en cul-de-sac à l’altitude de – 3 m (au-dessous du niveau de la mer), ce qui exprime probablement des mouvements de subsidence prolongée jusqu’après la dernière période pluviale quaternaire, où s’est constitué le réseau hydrographique. Les eaux du fleuve sont dérivées par un barrage à Sāmarrā dans un canal d’amenée dont le débit atteint 9 000 m3/s. La capacité de rétention de la dépression atteint 30 km3 à la cote 36 m, qui est celle du niveau moyen des hautes eaux. Ces aménagements ont rendu possible une conception globale de la mise en valeur de la Mésopotamie, la construction d’un équivalent irakien du delta du Nil ; des plans d’expansion ont été établis en ce sens.

Mais on peut se demander si les conditions humaines requises pour un tel développement sont bien réalisées. Parallèlement à la révolution technique représentée par le contrôle absolu des eaux, il faudrait un profond bouleversement de l’atmosphère sociale des campagnes irakiennes. L’agriculture extensive et empirique de naguère s’accommodait aisément des conditions très archaïques qui régnaient jusqu’ici et de la domination quasi absolue de la grande propriété, expression des structures tribales héritées des siècles de suprématie des Bédouins sur la vallée. Il ne saurait en être de même d’une agriculture intensive. L’aménagement de la plaine ne se concevait pas sans une réforme agraire. Celle-ci a été édictée en 1958, le maximum de propriété individuelle étant fixé à 250 ha en culture irriguée et à 500 ha en culture pluviale. Mais la paysannerie irakienne était trop fruste pour tirer le bénéfice de la réforme, qui a été un échec complet. Une partie des terres en cause n’a même pas pu être effectivement distribuée et a dû être affermée, suivant des contrats provisoires, à ses anciens propriétaires. La production agricole a baissé massivement. En 1958, l’Iraq était excédentaire en céréales, produisant tout son blé et tout son riz et exportant 25 p. 100 de son orge. Celle-ci fournissait plus de la moitié des exportations agricoles, précédant les dattes. En 1961, les productions de blé et de riz ne couvraient plus que 40 p. 100 de la consommation, et les exportations d’orge avaient cessé. C’est seulement à partir de 1965-1967 que la production de céréales a retrouvé approximativement son niveau de 1952-1955, soit environ 750 000 à 800 000 t de blé et autant d’orge. Mais dans l’intervalle la population du pays avait augmenté de près de 50 p. 100, et l’Iraq se suffit aujourd’hui péniblement à lui-même.

On peut d’ailleurs se demander si l’idée d’une intensification rapide de la culture est écologiquement acceptable, du moins sans précautions particulières. L’économie extensive à jachères, dans le cadre de la grande propriété, avait l’avantage de maintenir l’équilibre du sol, dont la fertilité était renouvelée par le limon des crues. La division de la terre en unités de taille plus modeste (7,5 à 15 ha) se consacrant à une culture continue sans jachères à l’abri des crues a rompu cet équilibre. Parallèlement à l’accroissement du rythme des arrosages, la salinité s’est accrue considérablement, alors que le système traditionnel, par l’instabilité même du terroir cultivé, évitait ces dégradations. Le niveau technique de la paysannerie n’est pas encore suffisant pour lui permettre de maîtriser les problèmes posés par des irrigations massives, redoutables même pour les paysans égyptiens. En l’absence d’une tradition agricole suffisamment savante, une transformation radicale de l’utilisation du sol semble encore largement utopique et ne pourra en tout cas être conduite que parallèlement à un patient effort d’éducation humaine.


Le pétrole et le développement économique

En fait, plus qu’une expansion agricole qui piétine, c’est l’exploitation pétrolière, dont la production a été de 67 Mt en 1972, qui fournit les bases du développement. Les gisements principaux ont été découverts dès avant la Première Guerre mondiale dans la région de Kirkūk, dans le nord du pays, et sont exploités par l’Iraq Petroleum Company (IPC), dans laquelle étaient associés la British Petroleum, la Royal Dutch, la Shell, la Compagnie française des pétroles (ou C. F. P.) [chacune pour 23,75 p. 100] et les héritiers Gulbenkian [pour 5 p. 100] et dont les actifs ont été partiellement nationalisés en 1972. Le pétrole brut est exporté par oléoduc vers la côte méditerranéenne (deux branches aboutissent au port de Tripoli au Liban, et la troisième à Bāniyās, en territoire syrien). D’autres champs ont été découverts dans le nord du pays (‘Ayn Zāla, Buṭma, exploités par la Mosul Petroleum Company) et plus récemment dans le Sud (Zubayr et Rumayla-Sud, près de Bassora, exploités par la Basrah Petroleum Company). Un oléoduc exporte leur production vers le port de Fao (al-Fā’ū), sur le golfe Persique, à l’embouchure du Chaṭṭ al-‘Arab, à l’aval de Bassora.