Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

La littérature de l’Iran classique et moderne


La littérature classique : xe - xve siècle

Par classicisme persan, dans le domaine des lettres, il faut entendre la période de cinq siècles qui s’étend entre l’établissement des premières dynasties iraniennes après l’islamisation de la Perse et l’avènement de la dynastie séfévide en 1502. Il est clair que, tout au long de cette histoire, la littérature ne resta pas statique : des genres naquirent, évoluèrent, disparurent, des styles s’entremêlèrent, se transformèrent, et des moments de grande floraison intellectuelle furent suivis par des périodes plus stériles. La vie littéraire est intimement liée à la vie politique, aux vicissitudes historiques, à ce long fil ininterrompu d’invasions, de guerres, de périodes d’accalmie où le pouvoir, qu’il fût d’origine iranienne, turque ou mongole, eut comme souci principal de favoriser et de développer la culture, unique ciment capable de consolider son action. Cette culture, que reflète la littérature persane, et en premier lieu la poésie, possède certaines lignes de force dont la composition et l’enchaînement collaborent à l’existence et au maintien d’une continuité synonyme de classicisme et illustrée par de grandes œuvres.

La chute de l’empire des Sassanides (651), accélérée par l’invasion arabe, suivie par la domination du califat sur la Perse et par l’islamisation de la majorité de la population, ne provoqua pas l’anéantissement de la culture de l’Iran préislamique. Celle-ci fut conservée dans certains milieux et dans des provinces mieux protégées contre la domination étrangère. D’autre part, dès qu’un pouvoir politique indépendant put se dégager du califat, il fut accompagné d’une ébauche d’expression littéraire en langue dari (persan littéraire), forcément très imprégnée des modèles arabes.


La qasidè

C’est dans les jeunes cours orientales (provinces du Khurāsān et de Transoxiane) que furent composés les premiers vers en persan moderne. La forme de poème choisie fut la qasidè, ou panégyrique, genre emprunté à la poésie arabe, composé d’un prologue de caractère lyrique — description d’un paysage, d’une saison, d’un être aimé — et, dans un second temps, de l’éloge du souverain ou d’un grand personnage, de ses actions prestigieuses, de ses vertus. Dans le prologue, le poète, en insérant une part de sa sensibilité, pouvait ainsi faire échapper à la monotonie.

Rudaki († 940), poète officiel du souverain sāmānide Naṣr II (913-943), fut le maître de ce genre. Avant lui, au milieu du ixe s., Hanzale de Bādrhis ou Mohammad ebn Vassif avaient composé des morceaux qui font songer à la naissance du genre. Au xie s., sous la dynastie turque des Rhaznévides, le grand conquérant que fut Maḥmūd (997-1030) et son fils Mas‘ūd (1030-1040) surent s’entourer d’une pléiade de poètes qui développèrent la qasidè avec talent : Farrokhi du Sistān († 1038), Manutchehri de Dāmrhān († 1041), Onsori de Balkh († 1040) demeurent les plus célèbres.

À l’époque où les Seldjoukides dominaient l’Iran, leurs cours et celles de leurs vassaux abritaient aussi des poètes auteurs de célèbres panégyriques : Qaṭrān († 1072) à la cour des princes de Gandja (Azerbaïdjan), Anvari († v. 1190) et Moezzi († 1147) à la cour de Sandjar (1118-1157), Khāqāni († 1199) à la cour des princes de Chirvān (Azerbaïdjan). À la même période, la qasidè fut également utilisée par certains poètes pour des œuvres plus profondes, principalement pour des poèmes religieux ou philosophiques : ce fut le cas de Nāsser-e Khosrow (Nāṣir-i Khusraw) [v. 1003-1088], grand penseur ismaélien qui a laissé, outre une œuvre de théologien et le récit du voyage qu’il fit en Égypte, un large recueil de qasidè où il exprime dans un langage poétique ses convictions religieuses.

À partir de l’époque mongole (la dynastie des Ilkhāns régna de 1256 à 1335), la poésie de cour déclina, et le panégyrique eut moins d’adeptes. Les poètes lui préféraient le ghazal (ou rhazal).


Le ghazal

À l’inverse de la qasidè, qui peut être un très long poème, le ghazal est assez court (entre 10 et 20 distiques). Il est proprement lyrique, c’est-à-dire qu’il est destiné à être chanté et qu’il exprime les sentiments intimes du poète. Son origine est discutée : il serait le résultat d’une évolution du prologue de la qasidè, ou bien un genre autonome, plus tardif, qui se serait développé surtout depuis le poète mystique Sanā’i (milieu du xie s.). En fait, tous les poètes déjà cités ont usé du ghazal, mais c’est à partir du xiie s. qu’il s’adapte à la langue courante avec Anvari, au langage mystique avec ‘Aṭṭār* († 1220), Rumi († 1273) et qu’il atteint sa perfection avec Saadi (Sa‘dī*, † v. 1292), Amir Khosrow de Delhi († 1324) et Hāfez (Hāfiẓ*) [† 1389] jusqu’à Djāmi* († 1492), dernier grand poète classique.


Le masnavi

On désigne par ce nom une forme de poème d’assez grande ampleur, principalement narrative. L’originalité du vers tient dans le fait que la rime n’est plus unique tout au long du poème comme dans la qasidè ou le ghazal ; elle se place cette fois au niveau du distique, à la fin de chaque hémistiche. Le masnavi connaît trois grandes manifestations : l’épopée nationale, le roman amoureux et l’épopée mystique.

• L’épopée nationale. L’œuvre la plus remarquable du classicisme persan, par sa longueur et par son importance culturelle, est le Livre des Rois, épopée nationale de Ferdowsi (Firdūsī). En construisant son œuvre sur les légendes, les mythes et l’histoire du passé national, Ferdowsi y réunit l’ensemble des idéaux sur lesquels s’est édifiée et s’est maintenue la culture iranienne. Nombreux furent ses imitateurs : Asadi († v. 1072) dans son Livre de Garchāsp, Irānchāh (fin du xie s.) dans son Livre de Bahman, Khādju († v. 1351), Nezāmi dans son Livre d’Alexandre, Amir Khosrow de Delhi, Djāmi.