Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Anderson (Sherwood)

Écrivain américain (Camden, Ohio, 1876 - État de Panamá 1941).


En 1919, Winesburg, Ohio, recueil de nouvelles réalistes sur la vie quotidienne d’une petite ville du Middle West, rendit Sherwood Anderson brusquement célèbre. Rompant avec les clichés du roman de terroir, avec les conventions polies et l’optimisme obligatoire de la littérature bien-pensante, Anderson évoquait franchement la détresse des provinces américaines, leurs problèmes financiers, moraux, sexuels même. Censuré par les prudes, acclamé par les libéraux, il fut considéré comme « le libérateur des lettres américaines ». Il les libérait en effet quant au fond, en récusant les bienfaits du progrès à l’américaine, et quant à la forme, en accumulant les « petits faits », les « petits détails », créant ainsi une technique à la fois réaliste et impressionniste, qui influença profondément Hemingway, Erskine Caldwell, Nathanael West, James T. Farrell et Faulkner.

C’est surtout dans la nouvelle que l’art des « petits faits » permet à Anderson de donner la pleine mesure de son talent. Dans ses recueils, Winesburg, Ohio (1919), The Triumph of the Egg (1921) et Horses and Men (1923), il choisit le rôle du spectateur ahuri et intrigué, qui devait donner le ton au réalisme sophistiqué des années 20. « Tourgueniev américain », Anderson décrit la vie des petites bourgades américaines menacées par l’industrialisation, l’urbanisation et la concentration capitaliste, qui déferlent sur la Prairie et anéantissent le vieux rêve jeffersonien d’une démocratie de petits propriétaires ruraux, d’une société où chacun serait en harmonie avec ses semblables, avec la nature et avec Dieu. Contre l’optimisme yankee, il évoque la solitude, la frustration, l’angoisse, qui sont la rançon de l’efficacité et de la rentabilité : le bonheur ne pousse plus où la « réussite » est passée. Sous l’humour apparent, ses œuvres constituent une critique en profondeur des valeurs matérielles de la société américaine, en particulier le culte de l’argent et de la réussite, qui aliènent l’homme, en font un « grotesque », habité d’ambitions artificielles dont la satisfaction n’apaise pas l’être profond. L’industrialisation a perdu le paradis, dissocié la sensibilité et transformé les hommes en monstres mécaniques. Anderson décrit des « âmes provinciales » quittant la campagne pour faire carrière à Chicago, où elles ne trouvent qu’une vie dégradée, une sorte de mort vivante (« Bouteilles de lait »). Des nouvelles comme « l’Œuf » ou « Je suis un imbécile » sont les meilleurs exemples de la dénonciation du mythe de la « réussite » qui ne débouche que sur l’amertume. Des nouvelles comme « Je voudrais savoir pourquoi » ou « L’homme qui devint femme » sont caractéristiques de ce talent ironique et nostalgique, de cet humour triste et touchant : les hommes sont perdus, tandis que les chevaux représentent la perfection de l’état de nature (Horses and Men, 1923). Seuls les Noirs sont peut-être encore capables de spontanéité naturelle (Dark Laughter, 1925).

Ce drame de la déshumanisation, Sherwood Anderson l’avait vécu lui-même. Ses romans (Many Marriages, 1923 ; Dark Laughter, 1925) dramatisent son expérience personnelle. Né dans un milieu très pauvre, ruiné par la mécanisation (son père était artisan, fabricant de harnais pour chevaux), Anderson fut tour à tour fermier, livreur, palefrenier, débardeur avant de réussir dans la publicité et la vente par correspondance. Brusquement, à trente-six ans, il abandonna affaires, femme et enfants pour écrire et bourlinguer. Il avait réalisé que la « réussite » détruisait en lui l’homme. Il s’en explique dans un article qui symbolise pour une génération d’intellectuels américains la rébellion contre les valeurs matérialistes d’une société dominée par l’argent : How I left Business for Literature (1924). Ce retour à la nature et cette quête de l’art salvateur s’inscrivent dans la tradition anarchiste américaine, qui, de Thoreau à Henry Miller, est toujours en quête d’amour et d’une communauté idéale où fuir Metropolis. En 1917 déjà, dans un curieux roman social, Marching Men, Anderson dénonçait la puissance de coercition et de destruction d’une Amérique embrigadée par une organisation totalitaire qui préfigure étrangement le fascisme.

Sherwood Anderson n’a pas le souffle d’un Dreiser, mais, héritier de la tradition réaliste américaine, il l’a transformée pour devenir sans conteste l’ancêtre de l’ « âge du roman américain », comme l’écrit Faulkner : « Anderson était le père de la génération d’écrivains à laquelle j’appartiens. Il incarne la tradition littéraire que nos successeurs poursuivront. Il n’a jamais été estimé à sa juste valeur. »

J. C.

➙ États-Unis / Nouvelle / Stein (Gertrude).

Anderson (Carl David)

Physicien américain (New York 1905).


Anderson fait ses études à l’institut de technologie de Californie, à Pasadena ; il y obtient en 1939 une chaire dans la division de physique, mathématiques et astronomie. Toute son activité de chercheur est essentiellement consacrée à l’étude des rayons gamma et du rayonnement cosmique.

L’étude des rayons cosmiques, en vue de laquelle il participe à plusieurs ascensions stratosphériques, aboutit en 1932 à la découverte de l’électron positif ; cette découverte confirme la théorie de l’Anglais Dirac, qui avait postulé l’existence de cette particule, et vaut à son auteur le prix Nobel de physique pour 1936, à l’âge de trente et un ans.

Il faut noter qu’à cette époque on ne connaît que deux particules élémentaires, l’électron négatif, de masse extrêmement petite, et le proton, notablement plus massif, mais électrisé positivement. Pour étudier le comportement des corpuscules cosmiques à leur traversée de la matière, Anderson utilise une grande chambre de Wilson à axe horizontal et place une lame de plomb formant écran au milieu de cette chambre ; il y fait aussi régner un champ magnétique intense, qui atteint une dizaine de milliers de gauss. Parmi les nombreux clichés ne montrant que des images classiques, il en découvre un qui retient aussitôt son attention : on y observe la trajectoire en arc de cercle d’une particule, dont la courbure est différente au-dessus et au-dessous de l’écran. Le sens de parcours de la particule est manifeste, puisque celle-ci ne peut que perdre de l’énergie en traversant le plomb. Mais le champ magnétique incurve sa trajectoire vers la gauche, alors qu’un électron eût été dévié vers la droite. D’autre part, la finesse de la trajectoire exclut la possibilité d’un corpuscule aussi lourd que le proton ; il ne peut, en conséquence, s’agir que d’un électron positif.