Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intervalle (suite)

Pour le physicien, l’intervalle s’exprime soit par un rapport de fréquences comme il a été dit, soit par un nombre simple qui traduit ce rapport en unités conventionnelles. Il existe plusieurs unités de ce genre ; la plus usitée est le savart, fondé sur le logarithme 0,001, ce qui permet les calculs par addition-soustraction au lieu de multiplication-division (une octave contient environ 301 savarts). De nombreux systèmes ont pris pour principe de diviser l’octave (premier rapport naturel, harmoniques 1 et 2), considérée comme donné primitif universel, en un nombre variable de divisions, sur lesquelles sont formés ensuite les intervalles réels, utilisant un nombre N de ces divisions : la musique thaïlandaise, par exemple, divise l’octave pour son xylophone en 7 degrés égaux sur lesquels elle choisit les intervalles de son échelle pentatonique (qui devient ainsi très facilement transposable) ; la musique indienne la divise en 22 śruti ; William Holder (1614-1697) proposait de rationaliser le système pythagoricien en divisant l’octave en 53 degrés-commas, le ton valant 9, et le demiton 5 ou 4 selon les cas ; Christiaan Huygens (1629-1695) préconisait en 1691 une octave de 31 degrés. Vers 1920. Alois Hába (né en 1893) expérimentait une échelle en quarts de ton tempéré ; Florent Schmitt (1870-1958) demandait des tiers de ton, mais s’est gardé de les employer ; Julián Carrillo (1875-1965) a composé pour instruments comportant des seizièmes de ton (un piano de ce genre est à la Schola cantorum de Paris). L’ethnomusicologie* fait depuis Alexander John Ellis (1814-1890) un usage fréquent du cent, centième partie du demi-ton tempéré (1 savart = 4 cents), dont l’ultraprécision, hors de proportion avec le seuil d’appréciation de l’oreille musicale, n’est guère un avantage que sur le papier ou en laboratoire, car elle introduit bien souvent une illusion de rigueur génératrice de graves malentendus.

Le mot comma n’est qu’un terme générique qui désigne tout intervalle plus petit que le plus petit intervalle de l’échelle courante (pour la musique occidentale, plus petit que le demi-ton) : il ne devrait jamais être employé sans un qualificatif complémentaire, car sa signification varie fort selon le système où il s’insère ; dans notre seule musique occidentale, abstraction faite du tempérament égal qui les supprime tous, on compte une douzaine de commas, dont les deux principaux sont le comma syntonique 81/80 (intervalle entre la tierce majeure do-mi obtenue par succession de quintes justes et la tierce juste do-mi obtenue directement par l’harmonique 5) et le comma pythagoricien 531 441/524 288 (différence entre le si dièse de la 12e quinte et l’octave do obtenue directement par l’harmonique 2). L’affirmation usuelle selon laquelle « le comma est la neuvième partie du ton » n’est vraie que dans un système particulier, celui de Holder, dans lequel le « comma de Holder » est effectivement la neuvième partie du « ton de Holder », mais seulement dans cette acception.

Pour le musicien, l’intervalle s’exprime habituellement du grave à l’aigu, et sans prêter attention à toutes ces subtilités, par rapport aux degrés de l’échelle employée, soit que l’on choisisse comme unité l’intervalle constaté entre deux degrés proches (ainsi, dans notre musique occidentale, l’unité choisie est le ton, intervalle entre les degrés I et II de la gamme diatonique, assimilé par tolérance à l’intervalle 8/9 de l’échelle « juste » : on définira la quinte, par exemple, comme formée de 3 tons 1/2) ; soit que l’on compte matériellement le nombre de ces degrés, origine incluse ; on emploie pour cela, en français, une terminologie conservée des adjectifs ordinaux de l’ancienne langue (prime ou unisson, seconde, tierce, quarte, quinte, sixte, puis septième, octave, neuvième, etc.). Comme ce décompte est pratiqué, en musique occidentale, sur l’échelle diatonique et non chromatique, la nature des intervalles varie en fonction de l’échelle elle-même ainsi que de ses altérations occasionnelles : une tierce peut être majeure (2 tons) ou mineure (1 ton 1/2) ; une quarte peut être juste (2 tons 1/2) ou augmentée (3 tons), etc. C’est dire que cette terminologie est essentiellement fonctionnelle et analytique : une seconde augmentée, sur un instrument tempéré, a exactement la même sonorité qu’une tierce mineure, mais sa fonction est différente, elle s’exprime par des noms de notes différents (exemple : do-ré dièse ou do-mi bémol), et, selon que le musicien perçoit l’intervalle comme l’un ou comme l’autre — ce qui est conditionné par le contexte —, sa réaction psychologique sera différente et orientera sa sensibilité d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi ce principe de nomenclature est tout aussi nécessaire à la musique tonale que jugé encombrant et inadéquat par la musique atonale.

Il n’est pas possible d’énumérer ici tous les intervalles connus ou pratiqués par les innombrables systèmes existants ou ayant existé ; ils varient non seulement d’une civilisation à une autre, mais encore à l’intérieur d’un même cadre ; par exemple, en musique orientale, ils peuvent changer d’un mode à un autre, ou, dans notre propre musique, d’une période à une autre (gamme médiévale pythagoricienne, gamme zarlinienne de la Renaissance, tempéraments inégaux divers du xviie s., tempérament égal actuel, etc.), voire d’un type d’instruments à l’autre (la justesse des cordes n’est pas toujours exactement celle du piano), mais il s’agit souvent d’adaptations, tantôt considérables et tantôt infimes, dues à des facteurs divers et dont beaucoup sont justiciables du principe de « tolérance », inconnu des physiciens, mais universellement pratiqué, à des degrés divers, par tous les musiciens de quelque culture que ce soit. Il n’en est guère qui échappent aux lois générales de la formation des échelles, lois que cherche actuellement à dégager une discipline nouvelle, la philologie musicale, encore en pleine élaboration.

J. C.