Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intelligence artificielle

Ensemble des procédés informatiques donnant une réponse correcte à des questions qu’il n’est pas possible d’aborder par les mathématiques théoriques.


Les travaux sur l’intelligence artificielle sont très fortement orientés par ses origines anglo-saxonnes. On a fait ainsi et à tort du cerveau humain essentiellement un appareil à « résoudre des problèmes », et c’est en cela qu’il serait dit doué d’intelligence. Il en découle que la résolution mécanique des problèmes constitue une intelligence artificielle. Alan M. Turing par exemple, et la culture béhavioriste sous-tend cette position, déclare que, si un observateur ne peut distinguer l’origine humaine ou mécanique d’une performance intellectuelle, alors la machine aura été intelligente. Il est pourtant évident qu’on ne peut attribuer de l’« intelligence » à un organite qui a synthétisé la chlorophylle parce qu’un chimiste en aura fait autant. Jacques Pitrat distingue, à juste titre, l’intelligence artificielle de la simulation de l’intelligence humaine, la caractéristique de la première étant de résoudre des problèmes sans que l’interrogateur sache à l’avance comment et même s’ils pourront être résolus. Actuellement, l’intelligence artificielle comprend quatre groupes fondamentaux, auxquels on peut rattacher, semble-t-il, les problèmes relatifs à la traduction automatique.


La reconnaissance des formes

Dans son aspect élémentaire de prise en compte d’un certain type d’informations extérieures, il s’agit d’une fonction externe à l’intelligence artificielle. Il existe des programmes d’ordinateur, des systèmes optiques à lumière cohérente ou non, le système par mémoire active qui ont comme fonction de rattacher une image inconnue à deux ou à plus de deux dimensions à une classe antérieurement définie ; à ce moment, l’image devient « connue ». L’école française de Jean-Claude Simon explore les moyens de constitution de ces classes. Celles-ci n’existent cependant qu’en fonction du problème à résoudre à l’instant présent, le même objet changeant de classe selon les besoins de la connaissance. En revanche, ce qui relève de l’intelligence artificielle, c’est, à la suite de l’assimilation d’une situation complexe à une classe donnée, de lui appliquer un traitement, un comportement dont la « forme abstraite » corresponde au comportement appliqué avec succès à une situation d’un tout autre domaine, mais dont la forme, c’est-à-dire la structure générale, appartient à la même classe. Ce processus d’identification entre elles de situations apparemment sans liens est effectivement un acte hautement intellectuel.


La solution de problèmes complexes par des méthodes heuristiques

Certains problèmes peuvent se représenter comme la détermination d’un parcours, d’une trajectoire sur une surface très irrégulière ne correspondant pas à une fonction mathématique, comme un relief montagneux par exemple. En outre, au lieu de se présenter dans un espace à trois dimensions, cette surface existe dans un espace multidimensionnel. Enfin, étant sur une telle surface, il n’est pas possible de regarder au loin pour repérer le pic le plus haut afin d’en faire son but. Dans ces problèmes, tout ce que l’on peut savoir, c’est que si l’on monte ou si l’on descend autour du point où l’on se trouve, on n’a aucun moyen de viser le pic le plus haut. En intelligence artificielle, on procède par exploration au hasard plus ou moins tempéré par des règles non strictement logiques, mais heuristiques, c’est-à-dire ayant eu antérieurement, sans que l’on sache trop pourquoi, un certain succès. Si l’on n’obtient pas le meilleur, la probabilité de faire mieux que la moyenne des chances est assez grande.


L’apprentissage

Celui-ci est aux antipodes de l’intelligence dans l’acception noble de celle-ci. Il s’agit, dans ces procédés, d’enregistrer essais et erreurs et par diverses méthodes, également heuristiques, de faire un choix pour améliorer un comportement.


Le choix d’une stratégie

La meilleure illustration en est donnée par les programmes de jeu d’échecs, dont on espère qu’ils seront transposables à des problèmes de la vie réelle. La relation avec l’intelligence est établie par l’assertion de Turing. Indiscutablement, il existe des procédés très efficaces. Accessoirement, on a pu s’apercevoir que le jeu de dames, contrairement à la croyance commune, n’était pas moins complexe. L’analyse montre qu’il existe deux temps de fonctionnement : le premier, d’évaluation de la position actuelle en fonction de certains critères, ce qui est très lié à la reconnaissance des formes ; le second, qui consiste à faire élaborer par la machine le comportement approprié à la classe de problèmes ainsi reconnue. À la vitesse près, il n’y a aucun apport de l’ordinateur : celui-ci ne fait qu’appliquer sans adaptation aucune les critères qui lui ont été fournis par l’analyste concepteur du programme et des règles d’action. Le programme ne crée pas de classe ni de règles de comportement nouvelles. Le programme aura les performances exactes (à la fatigue et à l’attention près) du joueur qui l’aura établi.


La traduction automatique

Bien que présentant une utilité certaine en s’appliquant à des domaines suffisamment restreints, les réalisations actuelles ne relèvent pas de l’intelligence artificielle, car elles s’appuient sur l’expression analytique, dans des programmes d’ordinateur, des instructions nécessaires à chaque cas, aussi bien dans le choix des mots que dans la construction des phrases, ce qui est extraordinairement lourd. L’étude fondamentale est liée actuellement aux travaux de linguistique mathématique théorique. Quels que soient leurs très hauts niveaux, leur succès est problématique, tant qu’on ne disposera pas d’une théorie cohérente de la signification. Dans une perspective toute différente, on peut envisager la traduction automatique par des « mémoires actives ». Les « souvenirs » y sont stockés dans des espaces à un grand nombre de dimensions, sous forme de points, dont les coordonnées, en nombre égal à celui des dimensions, décrivent le souvenir à un moment précis. Dans un tel espace, dit « sémantique », chaque point représente par ses coordonnées une étape d’un discours avec ses éléments : sujet, verbe, compléments directs et indirects de divers types (cette énumération est inexacte en soi, mais facilite la compréhension de tous). Le discours serait contenu dans une suite de ces points constituant une « trajectoire » dans l’hyperespace sémantique entre un point représentant les prémisses du discours et un autre sa conclusion. À chaque étape de cette trajectoire, le point atteint enverrait ses « coordonnées », c’est-à-dire son contenu sémantique à un autre hyperespace chargé de l’organisation et de l’expression du discours. Les données globales de l’étape sémantique seraient alors transformées en une expression séquentielle nécessaire au discours parlé comme écrit. C’est là que seraient respectées les contraintes propres au discours, abstraction faite de son contenu significatif. Chaque point de la trajectoire dans l’espace sémantique serait ainsi successivement traité. Mais ce qui est ainsi conçu pour une langue peut exister pour plusieurs. Un hyperespace d’expression serait affecté à chacune d’entre elles. L’opération consiste à projeter un discours connu de l’espace d’expression de la langue à laquelle il appartient dans l’espace sémantique et ensuite à exprimer celui-ci par l’intermédiaire d’un autre espace d’expression relatif à la langue cible. La différence avec les recherches actuelles sur un « langage commun » est que ce qui se trouve dans l’espace sémantique n’est absolument en rien un langage, et que le contenu en est proprement inaccessible à notre entendement.