Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intelligence (suite)

La comparaison des objets entre eux implique l’isolement de leurs qualités respectives pour que celles-ci puissent être rapprochées et que des ressemblances se dégagent. Avec l’abstraction des différences, elle donne naissance à l’opération de classement qualitatif, c’est-à-dire fondé sur une qualité commune à un certain nombre d’objets. Les différentes qualités utilisées plus ou moins précocement par l’enfant comme critères de classement dépendent de leur plus ou moins grande difficulté à être détachées de l’objet (couleur, forme, dimension, poids, etc.). Le classement selon plusieurs critères n’est possible qu’au moment où les qualités sont complètement détachées de l’objet. Le pas semble franchi vers 9 ans, comme le montre l’expérience où l’on demande à l’enfant de trouver un objet pouvant être mis à l’intersection de deux classements.

La comparaison de l’objet avec lui-même, à travers ses changements de formes, de dimensions, de couleurs, etc., implique également que toutes les qualités de l’objet aient été détachées et représentées abstraitement pour opposer celles qui varient à celles qui ne varient pas, mettant en évidence les qualités essentielles et les qualités accidentelles. Cette comparaison donne naissance à l’opération d’identification qualitative de l’objet. Ce sont les célèbres principes de conservation que Piaget et ses collaborateurs ont mis en évidence (conservations de substance, de poids, de volume, de longueur, de surface, etc.) et dont l’acquisition ne débute chez l’enfant qu’à partir de 7 ans, après une longue période d’analyse partielle et de comparaison incomplète.

Les divers systèmes logiques d’opérations, qui s’organisent au stade de l’intelligence abstraite, sont des résultats du développement des attitudes d’analyse et de comparaison.

La sériation résulte de la comparaison des différences de degrés d’une qualité commune à un certain nombre d’objets et consiste dans une mise en ordre de ces différences selon une direction déterminée croissante ou décroissante. Elle implique un espace mental orienté et entraîne comme conséquence la déductibilité des relations : un terme quelconque de la série est plus petit, par exemple, que tous ceux qui le suivent et plus grand que tous ceux qui le précèdent. La transitivité devient possible : si A est plus petit que B et B plus petit que C, A est plus petit que C. Les opérations d’égalisation et d’addition arithmétiques y sont en puissance, ainsi que l’utilisation du moyen terme comme instrument de mesure.

Le classement résulte de la comparaison des objets et de l’abstraction d’une qualité commune qui devient principe de groupement de tous les objets qui la possèdent et à l’exclusion des autres. Et comme chaque objet possède plusieurs qualités, il peut entrer dans de multiples classements, donnant naissance à des systèmes d’emboîtement de classes et à leur hiérarchisation. La définition conceptuelle y est en puissance. Elle implique un espace mental multidimensionnel ordonné. Les relations quantitatives se précisent dans la compréhension des rapports entre les parties et le tout, des opérations de multiplication, de soustraction, de division, etc.

Avec le classement et la sériation, le symbolisme opératoire est constitué chez l’enfant. Le syncrétisme est dépassé. Le passage de l’expérience concrète à la représentation idéale est réalisé.


L’intelligence conceptuelle (à partir de 11 ans)

L’intelligence conceptuelle, qui commence à se former chez l’enfant vers 11 ans, peut être définie comme une intelligence qui opère sur des signes et des symboles dans leur double dimension spatiale et temporelle. Elle résulte du développement de deux attitudes fondamentales : l’attitude abstraite et l’attitude historique.

L’attitude abstraite est consécutive à la prise de conscience de l’activité abstractive qui prédomine au cours du précédent stade. Les signes et les symboles qui en résultent sont reconnus comme des substituts de la réalité. Et le jeune adolescent devient capable d’opérer sur ces substituts et non plus seulement sur des objets concrets à l’aide de ces substituts, comme durant le précédent stade. Son raisonnement devient formel et hypothétique. Ce passage peut être illustré par le test de C. Burt, qui pose aux enfants le problème suivant : « Édith est plus claire que Suzanne, Édith est plus foncée que Lili, laquelle est la plus foncée des trois ? » Il s’agit d’une déduction à partir d’une sériation de teintes, mais le problème est présenté d’une façon formelle et hypothétique par des signes du langage. Or on constate qu’il n’est résolu que vers 12 ans. Par contre, si l’on pose le problème en termes concrets d’échantillons de couleurs à sérier et à déduire, il est résolu dès 7 ans. Opérer sur des signes et des symboles n’est donc possible qu’avec l’apparition de l’attitude abstraite ou la capacité de laisser de côté, de faire abstraction de la réalité pour ne considérer que des substituts qui la représentent. Les disciplines abstraites, comme l’algèbre, où les opérations portent uniquement sur des symboles, ne sont ainsi accessibles qu’aux adolescents.

L’attitude abstraite va permettre la constitution chez l’adolescent d’un certain nombre de systèmes opératoires, qui se trouvent à la base de l’activité intellectuelle de l’adulte. Le système syllogistique, qui consiste à poser une prémisse à titre d’hypothèse et à en tirer toutes les conséquences, est mis en jeu dans l’activité d’analyse et de déduction conceptuelles. Il se fonde sur les définitions catégorielles et les classements hiérarchiques réalisés au stade précédent. Les réseaux de significations que fournit le langage en constituent les instruments indispensables. Le système combinatoire consiste à inventorier tous les facteurs d’une situation et à envisager hypothétiquement toutes les éventualités possibles résultant de leurs combinaisons. C’est ce système qui entre en jeu dans l’activité d’induction expérimentale, permettant la découverte des lois causales ou sérielles.