Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intellectuels (suite)

Les intellectuels ne forment pas davantage une classe sociale, selon la terminologie marxiste : tout au plus forment-ils le noyau constitutif de certains groupes sociaux. Ils ne disposent pas, par rapport à ces groupes, de caractéristiques propres, en particulier sur le plan économique, mais ils ont vis-à-vis d’eux une attribution spécifique : ils leur donnent, si l’on en croit Antonio Gramsci*, leur homogénéité et la conscience de leur propre fonction. À ce titre, ils sont les agents à la fois de la conservation et du changement.

L. B.

 G. B. de Huszar (sous la dir. de), The Intellectuals, a Controversial Portrait (Glencoe, Illinois, 1960). / L. Bodin, les Intellectuels (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 2e éd., 1964). / F. Bon et M. A. Burnier, les Nouveaux Intellectuels (Éd. Cujas, 1966 ; 2e éd., Éd. du Seuil, 1971).

intelligence

L’intelligence a été définie comme une faculté de connaître dont l’instrument est le langage*. C’est l’intelligence discursive spécifique à l’homme.



Introduction

Depuis la découverte chez certaines espèces animales des actes auxquels on ne peut refuser le caractère intelligent et sous l’influence des idées évolutionnistes, la définition de l’intelligence s’est généralisée. Elle est conçue comme une adaptation vitale, dont la connaissance représente la forme la plus évoluée. Elle devient alors une capacité, variable avec les espèces et les individus, de résoudre des problèmes de toutes sortes.

Dans l’étude de la nature de l’intelligence et de sa structure, deux méthodes ont été utilisées : la méthode des tests et la méthode génétique.

Fondée par Alfred Binet*, la méthode des tests vise la mesure de l’intelligence par l’évaluation du degré d’efficience que manifestent les individus dans la résolution des problèmes tests. L’analyse des corrélations entre les résultats de nombreux tests, méthode inventée par C. Spearman, permet de dégager les divers facteurs qui s’y trouvent mis en jeu et qui constituent les composantes de l’intelligence.

On distingue l’intelligence générale et des aptitudes spécialisées. A. Binet définit l’intelligence comme caractérisée par la compréhension, l’invention, la direction et la censure (1909). C. Spearman distingue dans l’intelligence un facteur général, le facteur g, et des facteurs spécifiques. Le facteur g, qui rend compte des corrélations entre les tests, est défini comme une énergie qui anime l’activité intellectuelle et qui consiste en une capacité d’établir des relations et des corrélations, ou relations entre relations (1927). Certains factorialistes nient l’existence de ce facteur général et n’admettent que des facteurs spécifiques, facteurs verbal, numérique, spatial, mécanique, pratique, de raisonnement, etc. L’intelligence n’est que la somme de facteurs ou d’aptitudes indépendantes. Pour d’autres, entre le facteur général et les facteurs spécifiques, existent un certain nombre de facteurs de groupe. Enfin, on a découvert, en plus du facteur g, d’autres facteurs généraux de volonté, d’intérêt, de persévérance, etc., qui ne semblent pas de nature cognitive, mais qui interviennent constamment dans l’activité intellectuelle.

À la différence de l’analyse factorielle, qui est une méthode plutôt statique, l’analyse génétique de l’intelligence vise à découvrir ses origines, ses formes et son évolution à travers les espèces, dans l’histoire et chez l’enfant. Il s’agit de saisir son devenir.

Deux formes d’intelligence ont été distinguées : l’intelligence pratique, qui existe déjà chez les animaux, et l’intelligence discursive, qui est propre à l’homme. La première se manifeste dans les situations où un obstacle se dresse entre l’animal et la proie convoitée. Les singes, par exemple, se montrent alors capables de faire des détours ou d’utiliser des instruments ou des supports pour atteindre la proie. Il s’agit d’un remaniement des mouvements, dans leur direction ou dans leur composition, qui peuvent s’incorporer divers objets se trouvant dans le champ perceptif et susceptibles de compléter la portée de la main ou la puissance du saut de l’animal. Ces remaniements se réalisent par tâtonnements ou d’une façon brusque et immédiate (insight). Dans ce dernier cas, il s’agit d’une restructuration du champ perceptif, et la solution du problème apparaît comme une forme qui se détache du fond ou de la situation. L’intelligence animale apparaît ainsi comme une aptitude de constellation perceptivo-motrice, où besoins, mouvements, objets sont fusionnés dans une unité dynamique se réalisant dans l’espace concret et actuel et s’y épuisant.

L’intelligence discursive chez l’homme apparaît très différente. Au lieu d’une attitude utilitaire immédiate, elle est dominée par l’attitude spéculative ou de connaissance qui suspend l’action immédiate et cherche à représenter le monde, à le penser avant d’agir sur lui. Dans son déroulement, au lieu de fusionner, d’assimiler et de consteller, elle procède par analyse et synthèse, décomposant les situations en termes distincts et les combinant pour obtenir des effets ou pour les mettre en ordre et en relations. Son substrat indispensable est le langage, exprimé ou intérieur. C’est « une intelligence qui opère sur des représentations ou par le moyen de représentations » (H. Wallon, 1942). Par la représentation, elle échappe au concret et à l’actuel, elle peut conserver le passé, prolonger le présent vers l’avenir et concevoir le virtuel et le possible. Son champ opératoire est un espace abstrait ou l’espace mental.

Les différences entre ces deux formes d’intelligence sont évidentes. Dans leur passage, cependant, les opinions divergent. Pour certains auteurs, il y a identité de nature et continuité : la représentation n’est que l’action intériorisée (J. Piaget, 1936). Pour d’autres, une différence de nature sépare les deux formes d’intelligence. Leur passage est l’effet de l’apparition de la fonction symbolique, propre à l’espèce humaine et qui n’est pas impliquée dans l’activité pratique. « La fonction symbolique, écrit Wallon (1942), est le pouvoir de trouver à un objet sa représentation et à sa représentation un signe. » Elle est donc dédoublement et substitution, opérations immédiatement mentales, dont l’orientation s’oppose aux procédés de l’intelligence pratique. C’est cette opposition de nature qui permet de comprendre les difficultés et les conflits qu’on peut observer lors de leur passage chez l’enfant ou dans l’histoire de l’humanité. Dans celle-ci, il a fallu une longue période pour que la pensée surmonte le syncrétisme, se dégage de l’emprise de l’action et de l’affectivité pour atteindre la rationalité scientifique.