Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intégration culturelle et sociale (suite)

Si l’intégration définie comme l’interdépendance étroite entre les éléments fonctionnels d’un système est le but suprême de la politique, les moyens de la réaliser dépassent de beaucoup la sphère politique. Ceux dont dispose l’État se réduisent à quatre formules principales : 1o l’établissement des règles et des procédures plus ou moins formelles permettant de limiter les conflits et de faciliter les compromis ; 2o l’organisation des services collectifs (voies de communication, postes, santé, monnaie...) et la gestion d’ensemble de la société par une planification coordinatrice des activités ; 3o l’éducation des générations successives par une formation générale, technique et professionnelle, par l’alphabétisation et la propagande agissant sur les représentations collectives ; 4o le recours à la contrainte sociale par la simple présence ou par l’action directe d’organes tels que la gendarmerie, la police, l’armée, la justice.

L’inventaire de ces différentes fonctions et de ces moyens d’intégration, s’il éclaire la dynamique d’un système global, ne nous renseigne pas sur la finalité profonde de ces processus d’harmonisation sociale. Ceux-ci n’agissent-ils que pour camoufler l’accaparement du pouvoir par une classe, ou bien servent-ils l’intérêt général ? Sur ce point, les réponses diffèrent, autant d’ailleurs que les situations et les formes d’État. En détruisant les bases des antagonismes qui engendrent les luttes de classes, l’État prolétarien, selon le marxisme, agit dans l’intérêt général de tous les hommes, car il supprime toute domination oppressive. L’œuvre d’intégration authentique ne s’accomplit donc que par la dictature du prolétariat, seule apte à édifier une communauté humaine fondée sur la justice et la coopération. Les Occidentaux contestent ce schéma d’une intégration totale et sans camouflage qu’opérerait la classe ouvrière en supprimant toute forme d’exploitation. Ils proposent un autre mécanisme de développement de l’intégration par le progrès technique et économique qui, en supprimant la pénurie et en établissant l’abondance, ferait cesser les inégalités. Cette vision paraît assurément aussi utopique que la précédente. Toutes les deux néanmoins prouvent combien est fondamentale pour l’homme l’aspiration au bien-être procuré par la cohésion sociale. Mais, en situant dans le futur le modèle idéal de l’intégration, elles avouent, pour l’heure, les difficultés de sa réalisation.


Limites de l’intégration

En définitive, l’obstacle majeur à une intégration totale réside dans l’existence même des classes, parce que celles-ci constituent les pôles principaux de division de la société globale, et parce que l’intégration qu’elles opèrent à leur niveau, à celui de l’ingroup, se pose en s’opposant à celui de l’outgroup. À la différence des consciences de rang, d’ordre ou de strate, qui sont des consciences d’adaptation dans la mesure où, pour tout ce qui ne concerne pas leur but direct et leurs valeurs propres, elles admettent les modèles, évaluations et symboles de la société globale, la conscience de classe, elle, est une conscience séparée.

Afin de savoir comment joue exactement le processus intégratif de la société globale par rapport aux processus intégratifs de chaque partie de la société, il convient cependant de quitter le niveau théorique et de cerner dans des situations concrètes les niveaux d’antagonismes et leur généralité, car il se pourrait que l’opposition entre certaines classes ne nuise pas radicalement au système instauré si une grande partie de la population en marge du prolétariat par exemple ou de la bourgeoisie et constituant ce qu’on a pu appeler les classes moyennes, en évoquant davantage une catégorie qu’une classe, est pratiquement unanime à respecter et à vivre les valeurs de la société globale. En bref, un haut niveau d’intégration globale n’est impossible que si des allégeances de classe s’expriment dans une forte proportion de la population.

Au vrai, du plus petit groupe jusqu’à la société globale, l’intégration demeure problématique et précaire. De plus, si, analytiquement chaque niveau peut être traité séparément, en pratique l’intégration d’un même groupe intéresse plusieurs niveaux. Ainsi, une communauté rurale ou urbaine a ses propres problèmes d’intégration, lesquels constituent des éléments de l’intégration de la société globale. Il convient donc d’analyser dans chaque cas précis : le degré d’intégration interne d’un sous-groupe, son degré d’interconnexion avec les autres sous-groupes, son degré d’intégration dans la société ou le contexte culturel global.

Il ressort de ces réflexions sur les niveaux d’intégration que les principaux indices d’une faible intégration sont le degré d’autonomie des éléments d’un système, le développement des conflits entre ces éléments, et un bas niveau d’institutionnalisation. La déviance, entendue comme transgression des normes de pensée ou de comportement d’un groupe, peut apparaître aussi bien comme résultat d’une intégration non réussie par suite de frustrations dans l’enfance ou l’âge adulte, comme combinaison d’aspirations élevées et de chances relativement limitées, comme conformité à la norme idéale adoptée par une société mais dont la norme sociale et vécue s’éloigne, que comme le signe de la réadaptation nécessaire des normes d’un groupe lorsque les institutions de celui-ci ne répondent plus aux besoins de ses membres. De la sorte, ce qui est observé comme dysfonctionnel ou comme une déviance récurrente peut introduire une phase de réajustement dans un processus de réintégration socioculturelle.

On admet habituellement que l’intégration — soit culturelle, soit sociale — n’est ni totalement absente ni totalement parfaite, aussi bien par rapport à l’institutionnalisation du système que par rapport à son intériorisation dans la personnalité. Contre la possibilité d’une parfaite intégration, on fait valoir le mouvement incessant des changements sociaux dus à l’invention, à la diffusion de traits culturels, à l’altération par l’environnement. Le problème capital est donc de savoir dans quelle mesure une société et une culture sont intégrées. Bien qu’un optimum d’intégration soit recherché par toute société, un degré trop élevé d’intégration présenterait éventuellement quelques inconvénients en ce qu’il pourrait nuire à des valeurs aussi importantes que la créativité, la nouveauté, le pluralisme culturel, qu’il pourrait être obtenu aux dépens de la personnalité individuelle et qu’il pourrait provoquer des risques de rupture violente du système.