Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intégration culturelle et sociale (suite)

Mais, selon Spencer, l’évolution, qu’il oppose à la dissolution, s’oriente aussi et simultanément vers un état d’équilibre final et d’adaptation de la nature humaine à ses conditions d’existence. C’est ainsi que se produit le passage d’un état diffus à un état concentré et organisé. Le terme d’assimilation désigne ce processus de transformation du différent au semblable et suppose donc à la fois une différenciation et une intégration.

La même analogie qui a suggéré à Spencer d’insister sur le phénomène d’intégration a incité toute l’école sociologique française, avant comme après Spencer, à souligner l’importance de l’idée d’accord, de coopération vitale des fonctions de l’organisme social. Auguste Comte*, dans sa 48e leçon du Cours de philosophie positive, conçoit par exemple le consensus social comme la solidarité des phénomènes sociaux, tous « profondément connexes ».

Ce que Durkheim* a nommé la solidarité sociale désigne ce que plus communément nous appelons intégration. Des valeurs et idées communes forment une conscience collective qui conduit les personnes et les groupes à coopérer efficacement, soit en raison de la ressemblance existant entre membres d’une culture peu différenciée (solidarité mécanique), soit en raison de la dissemblance résultant de la division du travail, qui oblige des éléments complémentaires à échanger mutuellement des services et à nouer entre eux d’étroites relations morales (solidarité organique). À mesure qu’avec une division plus marquée du travail les différences individuelles s’accentuent, la structure sociale, qui n’est plus un ensemble d’agrégats semblables entre eux, devient coordination et subordination d’éléments différenciés et hiérarchisés. En bref, les apports de Durkheim ont trait surtout à l’intégration partielle de la conscience collective à la conscience individuelle et au mode d’interdépendance des divers éléments sociaux dans un ensemble organisé.

L’idée d’intégration est à ce point essentielle à la pensée durkheimienne que, dans les Règles de la méthode sociologique, elle paraît sous-jacente aux caractéristiques de normalité et de coercition du fait social ; que, dans le Suicide, elle en explique les taux différentiels (« Le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu ») ; que, dans les Formes élémentaires de la vie religieuse, elle est lisible à la fois dans la cohérence du « système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées » et dans la fonction elle-même de ces croyances et pratiques « qui unissent en une même communauté morale appelée Église tous ceux qui y adhèrent ».

Mais le courant qui a le plus exploité l’idée d’intégration, non sans quelques exagérations, est sans conteste le fonctionnalisme auquel s’attachent, entre autres, les noms de Bronislaw Malinowski* et de Talcott Parsons*. Pour l’anthropologue Malinowski, chaque culture, profondément originale, est faite d’un arrangement particulier entre ses parties ; chaque trait répondant à un besoin n’acquiert son sens que par son lien à l’ensemble et représente une partie indispensable de la totalité organique de la culture. Que tout élément remplisse une fonction, que chacun soit indispensable et fonctionnel pour le système culturel tout entier relève d’un déterminisme outrancier et d’un esprit de système déformateur du réel. Le postulat de l’unité fonctionnelle de la société par exemple ne vaut que dans le cas de certaines petites sociétés archaïques, hautement intégrées. Dans les sociétés plus différenciées, le degré d’intégration étant moindre, chaque activité sociale, chaque élément culturel n’est pas nécessairement fonctionnel pour le système tout entier.

Du type d’intégration causal-fonctionnel au type logique-significatif, reflet d’un principe central dans chaque élément culturel (la distinction est proposée par Pitrim Alexandrovitch Sorokin), le saut est aisément franchi par T. Parsons, qui place le système social et la sociologie dans leurs dimensions les plus générales, à savoir l’action humaine et l’ensemble des sciences de l’homme. Selon cet auteur, « le concept de système n’est essentiellement rien d’autre que l’application du critère de l’intégration logique de propositions générales ». Entre les quatre sous-systèmes d’action, biologique, psychique, social et culturel, l’une des plus importantes relations se réfère au contrôle cybernétique. Dans chaque système, l’action intégrative s’exerce par des processus d’autocompensation de caractère homéostatique. Dans le cas de la conduite humaine, les besoins physiologiques, les motivations psychiques, les normes régissant l’interaction des acteurs sociaux, les valeurs culturelles constituent autant de mécanismes servant à guider et à contrôler l’action, c’est-à-dire à lui donner une orientation.

Aux problèmes fondamentaux d’ajustement auxquels doit faire face tout système social répondent quatre fonctions : stabilité normative (pattern maintenance), intégration, recherche de buts (goal attainment), adaptation. La fonction d’intégration consiste quant à elle à assurer la coordination entre les unités ou parties d’un système social en ce qui a trait à l’organisation et au fonctionnement de l’ensemble, mais chacune des autres fonctions peut aussi contribuer partiellement à une intégration du système qui lui correspond : la stabilité normative dans le système culturel, la recherche de buts dans le système de la personnalité, l’adaptation dans l’organisme biologique. En tant qu’elle consiste en une coordination entre un nouveau rôle et des rôles anciens, entre une nouvelle collectivité et des collectivités déjà existantes, la fonction d’intégration se lie étroitement à la dynamique évolutive des sociétés complexes, puisque, du succès de cette fonction, dépend largement une évolution jugée harmonieuse.


Formes et indices de l’intégration