Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

instruments de musique (suite)

Préhistoire et histoire

Nous n’avons, comme témoins de la préhistoire, que des instruments ethniques : cliquettes, flûtes en os, hochets et sonnailles, racleurs, conques, rhombes, tambours, etc., tandis que les civilisations de l’Antiquité nous révèlent l’existence d’instruments savants. L’origine de la plupart de ceux qui sont en usage aujourd’hui remonte aux civilisations mésopotamienne, égyptienne et grecque. Par Mésopotamie, nous entendons Sumer et Elam, puis Babylone et le monde hébraïque, Assour et la Perse ; toutes ces cultures ont utilisé une très grande variété d’instruments : lyres, harpes, luths, cliquettes, sistres, cloches, cymbales, flûtes et flûtes de Pan, instruments à anche, trompettes et divers tambours ; de tous, des spécimens sont conservés dans les musées. En outre, nous les connaissons, comme nous connaissons le luth, par des statuettes, des sceaux et des rouleaux ; nous pouvons ajouter à ces documents ceux qui proviennent de textes cunéiformes. Il est évident que les instruments qui ont survécu, comme les lyres d’Our, sont un apport précieux pour la recherche des origines ; cependant, les représentations figurées et les textes nous permettent d’étendre nos connaissances en nous indiquant comment et en quelles circonstances ces instruments étaient joués et de quelle manière ils étaient groupés en ensemble. Il y a cinq mille ans existaient deux types de lyres : l’un léger, au corps arrondi, facile à porter, l’autre plus lourd, au corps rectangulaire, en général recouvert d’une riche décoration. Nous retrouvons ces mêmes modèles en Égypte, dans le monde hébraïque, en Grèce, en Étrurie et à Rome ; l’un et l’autre sont encore en usage en Éthiopie aujourd’hui. Quant au type léger au corps arrondi, il est joué au Soudan, en Ouganda, en Tanzanie, au Kenya et au Congo. Les lyres ont une descendance au Moyen Âge dans le crwth (ou crowd) gallois et dans le cruit irlandais, dont les cordes étaient soit pincées, soit frottées. Jusqu’à ces dernières années, on jouait des lyres populaires finnoises et estoniennes (toutefois avec un archet), dernière survivance de ces instruments qui nous viennent de l’Antiquité.

Des harpes, arquées et angulaires, se trouvent à côté des lyres dans les mêmes régions et à la même époque : les unes et les autres ont remonté la vallée du Nil et sont jouées en Afrique dans les pays que nous avons cités plus haut. Les harpes parviennent également en Orient (il est probable que la vīnā, citée dans le Mahābhārata et par le théoricien de la musique Bharata au début de notre ère, est l’équivalent de la harpe). L’instrument est représenté sur des bas-reliefs de temples au viiie s. De l’Iran — où l’usage de la harpe s’est maintenu jusqu’à une époque relativement récente — et du Turkestan chinois, la harpe gagne la Chine vers les ive et ve s., mais ne s’y implante pas.

Il paraît impossible de rattacher avec quelque certitude la harpe* européenne à un modèle de harpe du Proche-Orient, quoique celle-ci présente des ressemblances avec certaines harpes angulaires. Il se peut que l’instrument connu sous le nom de rotte en Angleterre et en Irlande au viiie s. apr. J.-C. ait été une harpe. Au Moyen Âge, nous trouvons de nombreuses représentations de la harpe, tant sur les miniatures que sur les sculptures. Parfois, les cordes étaient de métal, parfois de boyaux ; elles variaient en nombre de sept à vingt-cinq ; certains modèles étaient fort petits, et d’autres très importants ; la harpe, instrument d’intimité, dont jouaient ménestrels et grands seigneurs, a subi des transformations : son corps s’est affiné au cours de trois siècles (du xive au xvie).

Les luths*, c’est-à-dire les instruments qu’en opposition à la définition du luth européen les ethnomusicologues désignent par ce terme, sont constitués par une caisse de résonance et un manche. Celui-ci peut n’être que le prolongement du corps. On trouve des représentations figurées du luth environ deux mille ans avant J.-C. Plus que tout autre instrument peut-être, le luth a varié de forme (manche long ou court avec ou sans frettes, chevillier droit, coudé ou recourbé), de nombre de cordes et de méthode de jeu (avec ou sans plectre, parfois avec un archet). Le luth d’il y a quatre mille ans est, en effet, l’ancêtre du luth européen et de la guitare*.

Les autres instruments formés d’une caisse de résonance et d’un manche, les vièles, sont joués avec un archet. Ce groupe-ci comprend les vièles populaires européennes, lyra, gadoulka, gusla, etc., aussi bien que les rebecs et les vièles du Moyen Âge, la famille des violons* et celle des violes*. Il existe aussi des formes complexes comme la vielle (appelée au Moyen Âge chifonie ou organistrum), qui emploie en guise d’archet une roue enduite de résine et qui frappe les cordes par l’intermédiaire d’un clavier au lieu de les presser avec les doigts.

Les cithares, instruments dont les cordes, passant sur des chevalets, sont tendues parallèlement à l’instrument sur sa surface entière, se trouvent rarement dans le monde antique. Les Phéniciens employaient un petit modèle carré. En Chine, cependant, il y a trois mille ans, existaient des longues cithares incurvées. Mais ce n’est qu’au xe s. de notre ère que l’on voit apparaître au Proche-Orient la forme trapézoïdale : le qānūn. Par l’Espagne, grâce aux Maures, l’instrument parvient en France, en Angleterre, en Allemagne, prenant la forme du psaltérion et du micanon (v. clavecin et virginal). La doulcemelle, frappée avec des baguettes, est d’Afrique du Nord ; introduite en Espagne, elle connaît une grande vogue au Moyen Âge et sera l’origine des instruments à clavier à cordes frappées. Le « pantaléon », grand tympanon joué à Paris par l’Allemand Pantaleon Hebenstreit (1667-1750), attire de nouveau, au xviiie s., l’intérêt sur ce type d’instrument où d’aucuns voient, de nos jours, l’origine du pianoforte. À l’heure actuelle, une forme plus ample, le czimbalum, est toujours jouée par les Tziganes, en Hongrie.