Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inquisition (suite)

L’Inquisition espagnole

L’Inquisition qui fut implantée en Espagne à partir de 1482 a une tout autre origine que celle de France. Elle naquit de la « Reconquista ». Une situation nouvelle se fit jour lorsque la chrétienté prit la relève de l’islām, et quand apparut dans le peuple chrétien une forte proportion de juifs convertis, ou conversos. Ceux-ci, entreprenants et dynamiques, depuis longtemps installés dans le pays, en général d’une culture supérieure, devinrent l’objet de soupçons de la part des « anciens catholiques », qui cherchaient de plus en plus appui du côté de la chrétienté française.

Le conflit qui fut à la base de l’instauration de l’Inquisition en Espagne ne fut donc pas un conflit entre chrétiens et juifs, mais entre chrétiens d’origine castillane et chrétiens d’origine juive, et il ne naquit pas d’une hérésie, mais de la suspicion. Les « anciens catholiques » accusèrent les « conversos » de garder leur faveur pour leurs anciens coreligionnaires et d’entretenir avec eux certains liens parfois religieux, et ils en vinrent à créer des comités de défense sur la base de la « pureté de sang ». Ils s’adressèrent à la Couronne pour demander la formation d’une Inquisition contre les « conversos », accusés (sous le nom de « marranes ») d’adhérer toujours en secret au judaïsme. Bien que l’autorité épiscopale se soit opposée à ce mouvement, le pape Sixte IV consentit à la requête royale et donna pouvoir aux souverains pour créer dans la province de Séville une Inquisition (1478). En un temps où l’on n’avait pas la moindre idée de séparer la politique de la religion, les Rois Catholiques conçurent leur mission d’unification nationale comme devant reposer sur la base de l’unité religieuse, et l’Inquisition fut le symbole même de leur politique.

Le roi Ferdinand II* fit appel aux Dominicains, et les premiers tribunaux entrèrent en fonction en Andalousie en 1481. Devant leurs excès, le pape, invoqué en appel par les « conversos », se rétracta (bulles de janv. et oct. 1482), réclama l’entrée en fonction d’un contrôle épiscopal sur l’Inquisition royale et ménagea la possibilité d’un recours à Rome pour les inculpés. Mais le roi ne donna pas suite aux réclamations pontificales, et le pape se laissa forcer la main. L’Inquisition d’Espagne fut dès lors une Inquisition royale dans laquelle le Saint-Siège s’efforça, sans grande efficacité, de jouer un rôle modérateur. Sixte IV permit même à Isabelle Ire* de nommer elle-même un inquisiteur général avec juridiction sur toute l’Espagne. Elle choisit le dominicain de triste mémoire Tomás de Torquemada, qui exerça de 1483 à 1498 une dictature rigide sur les services de l’Inquisition. Il recourut de sa propre initiative à la peine capitale, et ses exécutions ont été estimées à 2 000. Non content de poursuivre les « conversos », il obtint de la reine, en 1492, l’expulsion de tous les juifs d’Espagne.

Après 1492, l’Inquisition continua de s’exercer contre les marranes, codifiant les principes racistes sur lesquels elle fondait sa répression et nourrissant la mentalité populaire d’hostilité au judaïsme. Elle s’attaqua également aux musulmans convertis (sous le nom de morisques), devenus également suspects de fidélité à l’islām (procès de 1609-10). Au xviie s., elle poursuivit enfin les alumbrados (illuminés), soupçonnés d’accueillir favorablement les idées protestantes.

La procédure inquisitoriale espagnole fut d’autant plus terrible qu’elle prit un caractère national ; elle fut réclamée par la population, et aucune voix ne s’éleva pour s’opposer à elle. Le caractère particulièrement pervers de l’Inquisition espagnole vient de ce qu’elle a poursuivi son action non plus même pour la défense d’une vérité menacée, comme cela avait été le cas en France au xiiie s., mais pour le maintien de la « pureté de sang » du christianisme espagnol. S’exerçant contre des chrétiens qui étaient juifs d’origine, elle a transformé l’antijudaïsme relativement tolérant des Pères de l’Église en un antijudaïsme racial qui a alimenté l’antisémitisme* des temps modernes. Elle apparaît, aux yeux des historiens chrétiens contemporains, comme l’erreur majeure et la faute lourde de l’histoire du christianisme.


Histoire ultérieure et déclin

Au cours du xvie s., le Saint-Siège prit conscience que, dans les divers pays, l’Inquisition lui échappait en grande partie. Ainsi en avait-il été en France lors du procès des Templiers (1307-1314), conduit par Philippe le Bel, dans celui de Jeanne d’Arc (1431) ainsi que dans les nombreux procès de sorcellerie du xve s. L’Inquisition fut réformée sous l’impulsion du cardinal Gian Pietro Carafa (futur pape Paul IV), par la bulle Licet ab initio (1542) de Paul III, qui en fit un organisme à direction unique et permanente, la congrégation de la Suprême et Universelle Inquisition, ou Saint-Office. Les Dominicains y gardaient une place prépondérante, mais la poursuite de l’hérésie devenait principalement une affaire romaine. La couronne d’Espagne chercha à maintenir son Inquisition, ce qu’elle fit bien voir en 1559 en faisant incarcérer le primat d’Espagne en personne, Bartolomé de Carranza. Mais le Saint-Siège obtint de faire revoir le procès à Rome et eut finalement gain de cause.

L’Inquisition romaine procéda surtout à la mise au pilori d’ouvrages hérétiques et à la censure des écrits juifs. Elle inaugura en Italie, de 1555 à 1572, une répression que le pays n’avait jamais connue jusque-là. En outre, elle fit comparaître Giordano Bruno* (exécuté en 1600) et Galilée (condamné à la détention en 1633). Par la suite, le Saint-Office devint surtout un organisme de surveillance doctrinale. En 1965, Paul VI a transformé la congrégation dite « du Saint-Office » en congrégation pour la Doctrine de la foi.

B.-D. D.

➙ Cathares / Église catholique ou romaine / Reconquista.