Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Ancien Empire (suite)

La capitale est établie à This (près d’Abydos) : c’est là que règnent les deux premières dynasties (cette division en « dynasties », d’origine vraisemblablement égyptienne, nous ayant été transmise notamment par Manéthon [iiie s. av. J.-C.]) ; mais avec, semble-t-il, un sûr instinct politique, Narmer jette déjà les fondations de Memphis, à la pointe du Delta, position charnière entre les deux Égypte, ville très vite appelée à un grand avenir. Sur ces premiers règnes, les sources sont, pour l’historien, relativement humbles ; les nécropoles royales d’Abydos, de Saqqarah, d’Hélouan et les tombes des courtisans apportent certes leur contribution : les objets découverts témoignent d’abord, avec évidence, de l’existence d’un art, aux principes déjà constitués, et de la maîtrise acquise par les artisans (vases magnifiques taillés dans les pierres les plus dures, tablettes et manches de couteaux décorés, en ivoire, bijoux de cuivre, d’or sertis de pierres précieuses) ; la perfection équilibrée atteinte par l’expression graphique est manifeste dans la stèle du roi Djet (musée du Louvre), quatrième roi de la Ire dynastie.

De ce que nous apportent images sculptées, fragments de textes et titulatures, mais surtout (jusqu’à la Ve dynastie) les Annales de la « pierre de Palerme », on peut déduire que, si des révoltes locales eurent lieu, les nouveaux souverains furent assez puissants pour « nouer » solidement et définitivement les deux parts de leur royaume. De ce fait, on peut discerner plusieurs raisons.

Tout d’abord, il semble que la création d’une économie nouvelle, rationnelle, ait été une préoccupation immédiate des premiers monarques (cf. la tête de massue du roi Scorpion [Oxford, Ashmolean Museum]). Conséquence inévitable des événements : l’étroite vallée de Haute-Égypte, qui, jusque-là, se tendait uniquement vers l’Afrique, s’ouvre désormais aussi sur le monde méditerranéen, débouché essentiel. Conséquence intelligente du système monarchique : le roi, qui détient tous les pouvoirs, va, au moyen d’une administration centralisée et coordinatrice, maîtriser la crue annuelle du Nil et recréer un nouveau « paysage » pour les besoins de l’homme ; en un patient labeur, on remblaie la vallée pour éviter l’inondation totale des zones basses et on comble les dépressions ; des milliers d’ouvriers, avec leurs hoyaux et leurs couffins, pour éviter la divagation de l’eau et irriguer utilement le plus de sable possible, creusent des canaux artificiels. L’économie pharaonique est née : issue de la monarchie, elle devient l’un de ses puissants soutiens (aux périodes de trouble, quand la royauté est ébranlée, quand l’administration n’est plus centralisée, c’est la récession économique et la famine).

Les premiers souverains, qui s’affirment ainsi par quelques démonstrations militaires, liées de façon nécessaire à la vie même de leur royaume, établissent aussi, de manière durable, les principes mêmes de la nouvelle monarchie.

Celle-ci est, par essence, divine : le roi est un dieu, un Horus (faucon céleste, patron des princes vainqueurs qui vinrent du sud), comme l’affirment tant les bas-reliefs sculptés sur les palettes votives de schiste que le premier élément des premières « titulatures ». Cela explique l’importance officielle accordée dès l’origine aux fêtes des dieux, qui servaient parfois à désigner l’année même où elles se célébraient. Mais des temples qui s’élevèrent alors, aucun ne nous est parvenu ; nous en connaissons l’existence seulement par des bas-reliefs.

La monarchie est aussi, par ses origines mêmes, un symbole d’union ; sa dualité fondamentale est rappelée notamment par deux autres éléments de la titulature : le souverain d’Égypte demeurera (jusque sous les Césars) nebty, « celui des deux déesses » (à savoir Mekhabit, le vautour, et Ouadjet, le serpent, divinités tutélaires de Haute- et de Basse-Égypte), et ne-sout-bit, « celui du roseau et de l’abeille » (caractéristiques de la flore et de la faune de l’une et l’autre part de son royaume), et cela à partir d’Oudimou (5e roi de la Ire dynastie).

Déjà des rites s’instaurent, qui veulent garantir, par la magie des gestes et des formules, la pérennité du nouveau système politique : c’est la fête Sed, jubilé trentenaire célébré pour la première fois sous Oudimou également.

Enfin, les monarques des deux premières dynasties, qui s’achèvent avec Khasekhemoui (dont la tête en schiste, conservée à l’Ashmolean Museum d’Oxford, est un des premiers chefs-d’œuvre de la statuaire égyptienne classique), semblent avoir établi quelques-uns des éléments de gestion politique essentiels (cela se laisse seulement deviner, actuellement, d’après les sceaux des fonctionnaires, où sont inscrits leurs titres et le nom du souverain). Le roi paraît avoir concentré en ses mains le pouvoir, sans intermédiaire encore avec les différents organes administratifs. L’administration centrale groupait les diverses « maisons » royales, et, dans ce pays essentiellement agricole, elle était alors surtout orientée vers les besoins divers de l’économie des champs et de la consommation. Elle comprenait : la maison des champs, qui veillait sur les domaines et les récoltes ; la maison des eaux, qui coordonnait les différentes observations nilométriques, planifiait l’irrigation et, en cas de crue trop basse, prenait les mesures nécessaires pour éviter la famine ; la maison blanche (administration des finances), qui répartissait les impôts en nature en fonction de l’étiage de la crue du Nil (condition des moissons), emplissant de grain lourd ses vastes greniers ; l’intendance de l’armée. Des archives royales ont déjà dû exister.

L’administration provinciale avait pour cadre, sans doute dès la Haute Époque, une circonscription que les Grecs appelèrent nome (en égyptien : sepet), c’est-à-dire un ensemble de terres artificiellement délimitées en fonction des besoins et des nécessités de l’irrigation et du rendement agricole. À la tête de chacun de ces nomes (trente-huit sous l’Ancien Empire), un fonctionnaire délégué par le pouvoir central (âdj-mer, le monarque), véritable « préfet », était chargé de la surveillance et de l’entretien des canaux ; il avait la responsabilité de la prospérité économique et fiscale de sa province. Autre fonction importante du monarque : le recensement (attesté depuis le règne d’Adjib, 6e souverain de la Ire dynastie), ou « relevé de l’or et des champs », c’est-à-dire des biens immeubles et meubles (ceux-ci, aliénables, pouvant alors être compris comme moyens d’échange), opération assez importante pour servir de point de repère pour la chronologie. Les litiges juridiques étaient réglés dans la capitale de chaque nome par le tribunal (djadjat), mais nous ne connaissons pas avec précision le droit civil du temps.

Il n’y a pas alors de possession ni d’hérédité de fonctions : le roi désigne et dispose souverainement. Ainsi s’annonce déjà, dans sa nature et dans ses composantes essentielles, la future gestion pharaonique. Trois dynasties allaient établir et parfaire l’institution, dont l’essor se poursuivait depuis plus de trois siècles.