Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ingres (Jean Auguste Dominique) (suite)

Il passe quatre ans en Toscane, très occupé par la conception et la réalisation du Vœu de Louis XIII, commandé pour la cathédrale de Montauban grâce à l’intervention de son ami Jean-François Gilibert. Il rentre en France pour présenter au Salon de 1824 cette œuvre assez magistrale malgré la disparité des sources (Raphaël et Champaigne). Le succès fut général et l’approbation unanime, même de la part du jeune Delacroix*, qui expose les Massacres de Scio. De 1824 à 1835, une pluie d’honneurs s’abat sur l’artiste : Légion d’honneur, fauteuil à l’Institut, professorat à l’Ecole nationale des beaux-arts, dont il devient président en 1834. Simultanément, ses amis commencent à l’imposer comme le champion du classicisme face au romantisme, et lui-même adopte cette attitude intransigeante. Avec austérité, il enseigne aux élèves de son atelier (créé en 1825) une stylisation, une simplification inspirées de Raphaël et de Poussin, qu’illustrent le schéma pyramidal et les attitudes figées de l’Apothéose d’Homère (1827, Louvre) et du Martyre de saint Symphorien (cathédrale d’Autun). Le portrait de Monsieur Bertin (1832, Louvre), symbole de la bourgeoisie triomphante, échappe à cette doctrine par son caractère sociologique, comme lui échappe en un autre sens la mise en page décentrée de l’Intérieur de harem (1828, Louvre). Au Salon de 1834, l’échec du Saint Symphorien écœure Ingres. Il retourne à Rome comme directeur de la Villa Médicis. Excellent administrateur, professeur adoré de ses élèves, dont beaucoup l’ont suivi, il exerce son directorat au milieu de l’estime et de l’admiration générales, accueille de nombreux visiteurs — Thiers, Liszt, Marie d’Agoult, Viollet-le-Duc — el rentre en 1841 en France, où la Stratonice (1840, Chantilly), dont Baudelaire dira qu’« elle eût étonné Poussin », remporte un immense succès. Le prestige d’Ingres s’impose de façon définitive sous les Orléans (cartons des vitraux de la chapelle Saint-Ferdinand à Paris) comme sous le second Empire (composition pour l’Hôtel de Ville). Il fait figure de peintre officiel. À l’Exposition universelle de 1855, une salle entière est consacrée à ses œuvres et marque l’apogée de sa gloire. Les somptueux portraits de cette époque, la Baronne de Rothschild (1848, collection particulière). Madame Moitessier (1856, National Gallery, Londres), ont une richesse un peu lourde, une incroyable perfection technique, mais reflètent l’ennui qu’éprouve le peintre à ces travaux. Son unique apport dans le domaine de la décoration murale, l’Âge d’or, commandé par le duc de Luynes pour Dampierre, est resté inachevé, mais témoigne de ce goût exclusif pour les « formes pures du bel âge », dont la Source (1856, Louvre) fut en son temps l’exemple le plus apprécié. Les artistes des générations suivantes, Degas, Seurat, Matisse, indifférents à la grande querelle du romantisme et du classicisme, apprécieront chez Ingres non pas les compositions historiques et religieuses, Jeanne d’Arc, Vierge à l’hostie tant admirées par les contemporains, mais la géométrie de Virgile lisant l’Énéide (fragment ? 1819, musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles), la musicalité de l’Odalisque à l’esclave (1839, Fogg Museum, Cambridge, États-Unis), l’érotisme intellectuel du Bain turc (1863, Louvre), testament esthétique où s’affirment l’amour de l’arabesque et la recherche de l’abstraction.


L’ingrisme

L’art d’Ingres a doublement influencé la peinture en agissant d’une part, à court terme, sur les élèves de son atelier (le plus important du siècle après celui de David) et sur des imitateurs médiocres, d’autre part, à plus longue échéance, sur tous ceux qui rêvent d’ascèse et de style.

L’autorité de son enseignement (« le dessin est la probité de l’art », « il faut vivre des antiques ») aboutit à un système où la doctrine ingriste impose sa froideur, mais non cette étrangeté qui faisait son génie et dont seul Chassériau*, disciple infidèle bientôt attiré par Delacroix, utilisera les charmes ambigus. La plupart des élèves d’Ingres (Victor Mottez, 1809-1897 ; Hippolyte Flandrin, 1809-1864 ; Jean-Louis Janmot, 1814-1892) seront des portraitistes appréciés, mais participeront surtout à un renouveau de la peinture murale religieuse, encouragé par la présence à l’Inspection des beaux-arts de l’architecte Victor Baltard, leur condisciple à la Villa Médicis. Parallèlement à cette peinture à tendance idéaliste se développe un courant néo-grec représenté par des artistes tels que Léon Gérome (1824-1904) et Charles Gleyre (1806-1874), avec lesquels s’édulcorent les grands principes ingristes.

Mais la véritable filiation d’Ingres se trouve chez ceux qui surent assimiler son obsession de la ligne, comme Puvis* de Chavannes et Degas*, sa volonté de synthèse, comme Gauguin* et Maurice Denis, sa méthode intellectuelle, comme les peintres cubistes, qui, de Picasso à La Fresnaye et Lhote, ont toujours admiré la rigueur de son vocabulaire plastique.

S. M.

 E. Amaury-Duval, l’Atelier d’Ingres (Charpentier, 1878). / L. Hourticq, Ingres (Hachette, 1929). / J. Cassou, Ingres (Éd. de la Connaissance, Bruxelles, 1947). / J. Alazard, Ingres et l’ingrisme (A. Michel, 1950). / G. Wildenstein, Ingres. Catalogue complet des peintures (Londres, 1954). / N. Schlenoff, les Sources littéraires de Jean-Auguste-Dominique Ingres (P. U. F., 1957) ; les Cahiers littéraires inédits de J. A. D. Ingres (P. U. F., 1957). / D. Ternois, les Dessins d’Ingres au musée de Montauban. Les portraits (Quatre-Chemins-Editart, 1959). / G. Picon, Ingres (Skira, Genève, 1967). / P. Augrand, M. Ingres et son époque (Bibliothèque des arts, 1968). / R. Rosenblum, Jean Auguste Dominique Ingres (Cercle d’art, 1969). / Ingres (Flammarion, 1971).
CATALOGUE D’EXPOSITION : Ingres (Petit Palais, Paris, 1967).

initiation

Admission à la connaissance de choses cachées, à la participation de pratiques secrètes.


Dans toutes les civilisations, l’initiation a été considérée comme une nouvelle naissance, le « commencement » d’une autre vie.