Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anatomie (suite)

Jusqu’à Harvey (xviie s.)

L’appui conjugué que Galien trouva tant auprès de l’Empire romain que de l’Église fit considérer rapidement son œuvre comme parfaite et définitive, et « gela » pendant près de dix siècles toute recherche anatomique. Les travaux des médecins consisteront longtemps non plus à faire des autopsies ou des dissections de cadavres, mais à commenter un des textes de Galien. C’est à Alexandrie que l’enseignement de Galien se maintint le plus longtemps, et c’est en 640, auprès de Paul d’Égine, que les médecins arabes puisèrent leur science, après avoir traduit Galien et Aristote. ‘Alī ibn al‘Abbās, qui vécut à Chīrāz au xe s., écrivit le Kāmil al-ṣinā‘a, qui servit longtemps de manuel aux étudiants. Avicenne* publia vers l’an mille le Canon de la médecine, ouvrage de pure compilation, qui atteignit l’Europe occidentale via l’Espagne. La transmission de ces textes anciens par l’intermédiaire d’une traduction arabe nous a laissé quelques termes arabes, comme nuque, saphène, céphalique, basilique, pie-mère et dure-mère.

La renaissance de l’anatomie eut lieu au xve s. ; ce furent surtout les dessinateurs, tels Léonard de Vinci*, Albrecht Dürer*, Michel-Ange* ou Raphaël*, qui refirent des dissections. Vinci, notamment, disséqua trente cadavres avant de se voir rappelé à l’ordre par le pape Léon X. Il fit des mesures de proportions et étudia les muscles, le cœur, le cerveau, les viscères, le fœtus. On lui doit plus de sept cent cinquante dessins et plus de cent vingt notes anatomiques. Nombre de ses découvertes furent ignorées et perdues pour ses contemporains, mais Vinci prépara l’arrivée de Vésale, qui naquit quelques années avant sa mort.

Andreas Witing (1514-1564), Belge né d’une famille de médecins de Wesel (d’où son nom latin de Vesalius, francisé en Vésale), vint à Paris en 1533 étudier la médecine avec Sylvius (Jacques Dubois d’Amiens), qui connaissait bien mieux les textes de Galien que l’anatomie elle-même. Avec un de ses condisciples, Michel Servet, il voulut vérifier le bien-fondé des cours et se mit à disséquer des cadavres. Il poursuivit ses études à Venise, soutint sa thèse à Padoue à l’âge de vingt-deux ans et devint, l’année suivante, professeur de chirurgie et d’anatomie. Plus courageux que ses collègues, surtout à une époque où il n’était pas rare de mourir de septicémie après avoir travaillé sur des cadavres non aseptisés ou mal conservés, il disséquait lui-même et notait les erreurs de Galien. Il compara en 1540 l’anatomie humaine à celle du Singe et comprit l’origine de certaines des erreurs de Galien, qui n’avait pu travailler sur l’Homme. Après trois années de travaux, il publia à Bâle, en 1543, De corporis humani fabrica, livre fait uniquement de ses propres dissections et illustré par les dessins de Jean de Calcar, élève de Titien. Ce livre, qui apportait la révolution dans le monde de l’anatomie, reçut plus de critiques que d’éloges.

L’impulsion, toutefois, était donnée, et le siècle qui suivit vit une floraison de grands anatomistes, comme Fallope (1523-1562), Bartolomeo Eustachi (1524 - v. 1574), Fabrici d’Acquapendente (1533-1619), médecin de Galilée, ou Adriaan Van der Spieghel (1578-1625), qui ont tous attaché leur nom à quelque structure anatomique. De cette école italienne datent des termes comme alvéole, choane, synovie, corps calleux, amygdale, hippocampe. Le Suisse Michel Servet (1511-1553), condisciple de Vésale, découvrit la circulation pulmonaire. William Harvey (1578-1657), qui fut l’élève de Fabrici, publia en 1628 l’Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus. Dans ce livre, avec lequel il est classique de faire débuter la physiologie, Harvey « suppose » l’existence de capillaires entre les troncs artériels et veineux, seule hypothèse raisonnable expliquant la circulation du sang. Ces capillaires, qu’il a cherchés toute sa vie sans les voir, c’est un Italien, Marcello Malpighi (1628-1694), qui les verra le premier sur une préparation de poumon de Grenouille, observée à la loupe.


L’époque moderne

C’est de la fin du xvie s. que date le microscope et c’est alors qu’ont pu commencer les études d’anatomie microscopique et d’embryologie, mais il faudra attendre deux siècles pour que le microscope, perfectionné, soit devenu un instrument vraiment utile. Pendant ces deux siècles, l’anatomie macroscopique traditionnelle se maintint et fut même à l’origine de nombreuses sociétés scientifiques ou philosophiques. Les travaux des anatomistes conduisirent à la publication de nombreuses monographies et, à partir de ces dernières, de traités d’ensemble. Signalons en particulier la dynastie des Alexander Monro, professeurs titulaires à Édimbourg de père en fils, de 1720 à 1846.

Dès le début du xixe s., toutefois, l’anatomie changea profondément, sinon brusquement. Les travaux d’anatomie microscopique et d’embryologie, l’essor donné à l’anatomie comparée par Cuvier, l’apport considérable fourni par la paléontologie (anatomie des êtres vivants d’autrefois), tout cela concourut à ajouter peu à peu à l’étude de l’Homme, sur lequel on avait accumulé tant de documents, celle des animaux. En 1859, Darwin*, en publiant son livre sur l’origine des espèces, ne fit que renforcer cette tendance, qui s’épanouira vraiment avec notre siècle. Dès lors, l’anatomie macroscopique traditionnelle devient l’anthropologie, et son enseignement se confine peu à peu aux seules facultés de médecine. L’anatomie humaine n’en progresse pas moins ; l’antisepsie de Lister, l’asepsie de Pasteur rendent dissections et interventions chirurgicales moins aléatoires. La biométrie et l’étude des variations font leur apparition. Les techniques microscopiques permettent d’aller de l’organologie à l’histologie et de mieux définir les altérations pathologiques. Les divers viscères, en particulier les glandes endocrines, longtemps méconnues, voient peu à peu leurs fonctions précisées. Les expériences sur le vivant, rendues possibles par l’anesthésie, autorisent le grand bond en avant de la physiologie. Les améliorations techniques, tant biophysiques que biochimiques, sont autant d’outils nouveaux aux mains des médecins.