Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

Après la prise de Malacca par les Portugais (1511) et la désagrégation de son empire, la gloire passe à Aceh, où le malais reste langue de cour et où les rois mécènes s’entourent de poètes et de savants religieux. Le règne d’Iskandar Muda est décrit dans Hikayat Aceh, et un étranger, Nur ud-Din ar-Raniri du Gujerat, compose le Bustan us-Salatin, recueil de dissertations qui débute par la création du monde et consacre deux volumes à l’histoire des pays malais et d’Aceh.

La chronique de Kedah, Hikayat Marong Mahawangsa (ou Sejarah Negeri Kedah), de date incertaine, est intéressante pour la connaissance des relations avec le Siam et la Birmanie. Les nombreuses chroniques des royaumes côtiers de Bornéo, hormis celle de Brunei, intéressent également les relations avec Java : Salasilah Kutai (xvie et xviie s.), Hikayat Banjarmasin dan Kota Waringin (xviiie s.). Java même donnera en malais Hikayat Hasan ud-Din, où l’on raconte la pénétration de l’islām dans les royaumes côtiers de Java et sa progression vers l’ouest. Mais, depuis le xviie s., la Hollande élargit ses conquêtes : elle s’empare de Macassar (Makasar), nouvellement converti à l’islām, et déclenche un mouvement de populations de Célèbes vers l’ouest. Les fuyards se réfugient à Bornéo, où ils implantent de petites principautés côtières et finiront par aboutir à l’archipel des Riau et à la péninsule malaise (xviiie s.). Au xixe s., leur illustre descendant, le raja Ali Hayi bin Ahmad, établi à Penyengat dans les Riau, utilisera leurs chroniques pour son Histoire de l’implantation du pouvoir bugi dans la région. Dans Tuhfat an-Nafis (1865), il traitera également de Johore, il sera le premier à s’intéresser au déroulement de l’histoire, et il est pour les Malais le précurseur de la méthode historique.


L’islām

On sait le rôle important joué par l’Inde dans la conversion de l’Indonésie à l’islām ; toujours présente, importatrice de philosophie et de religions, c’est de ses côtes du Gujerat, de Coromandel et de Malabar que partiront les Makhdum, prédicateurs, pour porter la nouvelle foi qu’ils reçurent de la Perse, vers l’Indonésie. Dès le xiiie s., l’école chaféite a fait ses adeptes à Sumatra, et c’est à ce rite qu’appartient officiellement l’Indonésie d’aujourd’hui. Dès cette époque naissait toute une littérature savante de traductions d’ouvrages juridiques et dogmatiques précédant les ouvrages originaux composés sur place, ou par les pèlerins à La Mecque. Les pèlerinages et les voyages, en quête de connaissances religieuses, suivaient une tradition séculaire, en dehors des recommandations des ḥadīths. Ils dataient de l’hindouisme. Quand, en plus des Chaféites, les « dissidents » vinrent visiter ces îles, les soufis (xve-xvie s.) s’implantèrent sur la côte nord de Java. En chemin, ils s’arrêtèrent sur la pointe nord de Sumatra, laissant une profonde empreinte sur la pensée religieuse d’Aceh, où le soufisme atteignit son apogée aux xvie-xviie s. De très nombreux pamphlets anonymes y furent découverts ; c’est à cette époque que se trouvaient, à Aceh, Hamzah Fansuri et Syamsuddin de Pasai, son disciple. Poète itinérant, Hamzah a parcouru de nombreux pays en quête de Dieu (Ayuthia, Pahang, Kudus, Banten, La Mecque et Médine), pour ne le trouver qu’en rentrant chez soi à Barus. Il exposa sa doctrine panthéiste dans trois ouvrages en prose : le Secret des gnostiques, le Vin des assoiffés d’amour et l’Ornement de ceux qui unifient.

Son disciple, Syamsuddin de Pasai († 1630), était un haut dignitaire : l’« évêque », selon les voyageurs européens, à la cour du sultan Iskandar Muda (1607-1636) d’Aceh. Il composa un commentaire des poèmes de Hamzah et de nombreux ouvrages panthéistes, qui, avec d’autres travaux d’hérétiques, devaient être détruits par le feu sur l’ordre d’Iskandar Thani. Seul son catéchisme, le Miroir des croyants (1601), a été conservé. Le nouveau maître d’Aceh chargea l’auteur du Bustan us-Salatin, le cheikh Nur ud-Din ar-Raniri, de combattre les idées de Hamzah et Syamsuddin par des ouvrages de controverse : Asra al-insan, Tabyan fi ma‘ri fat, etc. Le rite chaféite était rétabli, et des docteurs accourus de divers pays continuèrent à instruire les souverains d’Aceh jusqu’à la fin du xviiie s. L’un des plus importants, Abd ur-Rauf de Singkel († 1661), qui étudia pendant de longues années en Arabie, mérita la réputation de sainteté (Teungku di Kuala) et composa ses œuvres en malais. À la fin du xviie s., la renommée des études religieuses malaises passa à Palembang et dans les Riau.

L’islām avait une littérature beaucoup plus accessible à un large public : hagiographies, vies du Prophète et de ses proches, etc. Ainsi naîtront les hikayat, souvent originaires de Perse, de la Lune fendue sur l’ordre du Prophète, de la Tonsure du Prophète, à côté des histoires tirées de la Bible, comme l’histoire de Joseph et de la femme de Putiphar. Des histoires des rois pieux, dont la légende sera enrichie par des souvenirs bouddhiques, côtoieront de modestes livres de songes. La lecture de nombre de ces hikayat équivalait à l’accomplissement d’œuvres pies et passait même pour capable d’apporter la guérison d’un malade. Les chīʻites importeront de Perse un roman traitant des exploits de l’oncle du Prophète, l’émir Hamzah (Hikayat Amir Hamzah), qui devait connaître une popularité extrêmement durable dans le monde indonésien. L’imagination populaire respectera le saint personnage, mais, habituée au Panji et à ses conquêtes féminines, ajoutera l’épisode de Dewi Rengganis et prêtera au fils de l’émir des préoccupations « profanes ». Ainsi naîtra un nouveau cycle, celui de « Ménak », qui sera porté à la scène, adapté au théâtre de marionnettes et au ballet.


Les mémorialistes

La présence des Européens dans l’archipel augmentait les difficultés de ses habitants, car non seulement ceux-ci devaient faire face à leurs propres conflits, mais ils devaient assister aux rivalités européennes, et en être souvent les victimes. C’est à l’invitation des Anglais, leurs amis du jour, que se révélèrent les deux premiers mémorialistes de langue malaise. L’ouvrage du premier est resté méconnu de ses compatriotes, car, daté du xviiie s., il avait été envoyé en Angleterre et traduit en plusieurs langues européennes, dont le français (en 1868) : Mémoires de Nakhoda mouda de Samangka écrits par lui-même. L’original malais attendit 1961 (et les soins du professeur Drewes) pour voir le jour. C’est une biographie de la famille d’un marchand émigré de Minangkabau et installé avec ses quatre fils au Lampung, où ils s’occupaient du commerce du poivre. Le deuxième mémorialiste a joui d’un plus grand renom : Abdullah bin Abdul Kadir Munsyi (1796-1854) assista à la cession de Malacca aux Anglais, comme à la fondation de Singapour. Il participa à la traduction de la Bible en malais, accomplit une mission à Kelantan, dont il laissa la relation, tout comme du pèlerinage à La Mecque, où il devait mourir. Son œuvre magistrale est son autobiographie, Hikayat Abdullah. Pour ses écrits, il se servait de la langue parlée, et la nouveauté du sujet ainsi que son talent incomparable de narrateur lui ont valu le titre de « père » de la littérature malaise moderne, et au xixe s., le nom de « siècle d’Abdullah ». À ses héritiers immédiats, il laissa l’intérêt pour la structure de la langue malaise.