Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

Les auteurs américains appellent ces guérisseurs medicine-men (hommes-médecine) pour les différencier des chamans : « Ah ! dit par exemple un Cherokee de l’Alabama, tu t’es précipitée pour m’écouter, loutre rouge ; tu résides au pays du soleil ; maintenant tu es venue te reposer sur l’étoffe blanche et avec elle tu emporteras le mal. » Il dit en un autre cas à l’esprit-serpent : « Ah !viens, viens, viens, viens, toi qui habites là-haut, toi qui as donné les os blancs, tu les as fait descendre ; là où se trouve le corps, tu les as fait s’attacher. Le malade est guéri, rapidement. » À noter que ces deux textes sont empruntés au cahier de recettes d’un medicine-man cherokee qui, fait exceptionnel, inventa une écriture vers 1820.

Font enfin partie de la littérature, puisque obéissant à des prototypes immuables, les harangues prononcées par les chefs, les prêtres, lors des solennités : funérailles, fêtes sociales, etc.

M. B.

 F. Boas et G. Hunt, Kwakiutl Texts (New York, 1902) ; Tsimshian Texts (Washington, 1912). / G. A. Dorsey, The Pawnee Mythology, t. I (Washington, 1906). / J. Mooney et F. M. Olbrechts, The Swimmer Manuscript, Cherokee Sacred Formules and Medicinal Prescriptions (Washington, 1932). / A. Hultkrantz, The North American Orpheus Tradition (Stockholm, 1957). / S. B. Coleman, E. Frogner et E. Eich, Ojibwa Myths and Legends (Minneapolis, 1962). / L. C. Wyman, The Windways of the Navaho (Albuquerque, 1962). / C. Lévi-Strauss, le Cru et le cuit (Plon, 1964) ; Du miel aux cendres (Plon, 1966) ; l’Origine des manières de table (Plon, 1968) ; l’Homme nu (Plon, 1971).


Vie et art des Indiens d’Amérique du Nord

Les diverses provinces en lesquelles l’anthropologie répartit les civilisations indiennes d’Amérique du Nord au xviie s. ont pour frontières des limites provisoires, voire incertaines aussi, à cause de l’insuffisance des critères qui permettent de les tracer. Les incertitudes des historiens ne trouvent à s’apaiser que dans une vue intuitive qui prend en considération principalement le mode de vie et les institutions politiques.

Les influences mexicaines (v. Amérique précolombienne) sont particulièrement sensibles dans la région des Pueblos et dans la région orientale des États-Unis actuels. Mais, dans l’Arizona et le Nouveau-Mexique, si patentes qu’elles demeurent dans les arts, il est difficile de les retrouver aujourd’hui dans les mœurs très démocratiques d’agriculteurs obstinés qui s’acharnent à tirer leur subsistance du désert. Dans le Sud-Est, il en allait tout différemment. Non seulement les hiérarchies sociales étaient nettement marquées, non seulement l’ordre sociétaire reflétait, dans une théocratie partout affirmée, l’ordre suivant lequel le monde était interprété, mais aussi on retrouve dans les arts et dans le graphisme, tels que l’archéologie les a restitués, quelques-unes des données fondamentales de la civilisation mexicaine. Les « constructeurs de remparts à effigie » (mound builders), de même que les Mexicains, ont conçu l’architecture comme un témoignage de l’alliance conclue entre le monde instauré par la présence humaine et le monde naturel. Ces remparts, tel Serpent Mound, dans l’Ohio, inscrivent dans le paysage le témoignage de l’allégeance humaine à la totalité perçue et, à l’inverse, imposent aux choses de la nature une subordination aux idées qui régissent, non pas seulement le monde humain, mais tous les règnes. Le tracé de ces immenses constructions, dont on ne pouvait aucunement prendre une vue d’ensemble, n’en assurait pas moins le sens de la vie pour quiconque avait contribué à leur érection. Les peintures sur sable des Navahos étaient, identiquement, tracées à même le sol et dispersées aussitôt après la cérémonie qui les nécessitait. Dans les remparts, les fouilles des archéologues américains ont mis au jour des sculptures — telle la célèbre pipe de la culture d’Adena — qui évoquent l’art aztèque, mais qui témoignent de plus de retenue dans l’émotion, d’une dignité imperturbable et un peu abrupte.

Dans les tertres de la région du Mississippi, qui simulent les pyramides mexicaines et sont pareillement couronnés d’édifices cérémoniels, il semble que la même conception du monde se soit épanouie au cours de rituels dont tout s’est perdu, si ce n’est d’admirables témoignages graphiques qui rappellent de très près les arts les plus raffinés qu’ait connus l’Amérique centrale ; ainsi, sur la côte du Golfe, les Huaxtèques ont renouvelé la portée du graphisme en affectant à l’inscription un sens déterminé par les choses où il est appliqué. On « dignifiait » le support en le transformant, en retrouvant son rôle, en lui marquant sa place dans l’ensemble des mondes. Telle est en effet l’une des directions générales de l’intelligence indienne. Dans le sud-est des actuels États-Unis, des gorgerins datant de la civilisation dite « des rois du Sud », formés d’un disque de nacre gravé et rappelant ceux qu’avaient élaborés les Huaxtèques, montrent plus de liberté dans l’exécution (le graphisme s’applique aussi parfois sur des coquillages spiralés). Toutefois, une même hauteur de ton ordonne les postures des personnages, qui sont représentés immobiles, comme au centre d’un cercle sacré qui les isole de tout ce qu’il y a de trivial ou de futile dans la vie. Ces rois du Sud, dont les Natchez décrits par Chateaubriand sont assurément les descendants, ont peut-être élaboré la civilisation la plus aristocratique qui ait jamais été. Le sublime dans l’ordre du raffinement, l’extrême tendresse pour tout ce qui vit jointe à une sorte de fureur contre soi, l’exaltation du sacrifice personnel et du risque, le goût de la rigueur porté au niveau de la morale quotidienne et réglant tous les actes de la vie, jusqu’aux plus mineurs, voici quelques caractères de cette théocratie qui avait installé la mort au centre de ses préoccupations et en avait intériorisé les prestiges redoutables pour les faire servir à la splendeur de la vie. Ainsi, le roi de ce peuple, reflet organique du Soleil, était astreint à des règles de vie particulièrement sévères : il lui était interdit de toucher du pied le sol. Toute l’organisation sociétaire illustrait les incompatibilités essentielles et les épousailles nécessaires qu’une mythologie complexe justifiait et expliquait.