Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

L’architecture

Si les plus anciens vestiges connus d’une architecture construite (sites appartenant à la civilisation de l’Indus*) semblent témoigner de préoccupations plus urbanistes et pratiques que religieuses, l’architecture indienne participera, à l’époque védique, du ritualisme général, la construction de l’autel du feu exprimant un symbolisme cosmologique. L’évolution des spéculations respectera toujours le substrat védique : adaptée aux impératifs des diverses religions ou pliée aux nécessités sociales, l’architecture demeurera dans la dépendance des textes religieux. L’édification d’un temple, du choix de son emplacement à la consécration finale, obéit à des prescriptions qui dérivent des données védiques concernant la préparation de l’aire du sacrifice et la construction de l’autel du feu. À la signification cosmogonique de ce dernier répond le symbolisme architectural du stūpa bouddhique ou du temple brahmanique, symbolisme affirmant les correspondances entre le macrocosme et sa projection microcosmique, entre le monde des dieux et la terre des hommes, entre la divinité et son sanctuaire... Le temple, d’abord demeure, « point d’attache » d’un dieu, deviendra tout ensemble ce dieu lui-même et la contrepartie de sa demeure céleste. Au cours de la période « classique », les développements du symbolisme amèneront une évolution, une extension du sanctuaire, qui tendra à « reproduire » les particularités idéales des monts inaccessibles où séjournent les dieux. La multiplication des enceintes et les superstructures étagées, si caractéristiques des temples de l’Inde, expriment cette idée. Pour la même raison, les temples brahmaniques, différenciés par leurs dimensions, leurs plans, leurs élévations, ne seront jamais, même sur les lieux de pèlerinage les plus célèbres et les plus fréquentés, des lieux de rassemblement pour les fidèles. Seuls les prêtres du temple, responsables des rites d’hommage (pūjā) qui répondent au sacrifice védique, ont accès à la cella (garbhagriha), où est installée l’image de la divinité. Dans le bouddhisme*, surtout theravādin (conservé à Ceylan* et dans l’Asie du Sud-Est), les pratiques, beaucoup plus simples, autorisent la vénération des reliques et des images par les fidèles ; elles ont conduit à l’élaboration de salles de culte, qui sont d’authentiques lieux de réunion, tandis que la vie communautaire donnait naissance à une véritable architecture monastique.

Quelle que soit sa destination, l’architecture indienne obéit à un ensemble de principes généraux qui ont régi la construction au cours des siècles, assurant la permanence de nombreuses dispositions et de la plupart des techniques. Au témoignage des textes et des bas-reliefs narratifs, l’Inde a toujours accordé une grande importance à la construction en bois et à la charpenterie, qui ont exercé une influence déterminante sur la conception et la réalisation des premiers sanctuaires en matériaux durables et spécialement des premières fondations rupestres (Lomaśa Riṣi, Bhājā, Kondāne...). La brique, d’abord crue, puis cuite et liaisonnée à l’argile crue, apparaît très tôt (civilisation de l’Indus) et demeurera longtemps le matériau essentiel des constructions de caractère utilitaire ou défensif (enceintes de villes). Utilisée aussi pour la maçonnerie intérieure des stūpa, elle n’a servi que plus rarement à la construction de sanctuaires et de monastères dans la période classique, sauf dans les régions naturellement pauvres en pierre de bonne qualité. Au cours de la période « moderne », Maisonnée au mortier, elle a retrouvé une réelle importance dans les grands temples du sud de l’Inde.

La pierre, généralement utilisée en blocs et en dalles de très grandes dimensions (survivance de traditions mégalithiques ?), est le matériau de choix pour les édifices religieux. Assemblée à joints vifs, sans mortier, et posée par assises bien réglées, elle est toujours mise en œuvre suivant des techniques simples, mais rationnelles. Les plafonds et les couvertures sont réalisés en grandes dalles ou voûtées suivant le principe de l’encorbellement. Lorsque l’espace à couvrir est trop vaste pour recevoir une couverture unique, il est compartimenté au moyen d’architraves supportées par des piliers. L’intrados des voûtes encorbellées et les plafonds sont généralement resculptés et ornés de riches compositions qui font oublier une construction rudimentaire. Jusqu’à l’adoption de traditions islamiques, auxquelles l’architecture des temples restera toujours fermée, la voûte à joints rayonnants n’a jamais été utilisée que pour la couverture d’espaces restreints (couloirs d’accès) fortement contrebutés.

L’architecture rupestre a tenu dans l’Inde une place exceptionnelle. Du règne d’Aśoka au ixe s. approximativement, elle a joué un rôle considérable non seulement pour le bouddhisme (Ajaṇṭā*, Ellorā*...), mais encore pour le jinisme (Udayagiri-Khaṇḍagiri [près Bhubaneswar*], Ellorā...) et les religions brahmaniques (Udaigiri [près Bhilsa], Ellorā, Mahābalipuram*...). Réalisée comme une monumentale sculpture en taille directe ou excavée — les artisans travaillant en taille d’épargne —, cette architecture copie le plus souvent des édifices construits. Elle trouvera sa plus haute expression dans de vastes ensembles tels que le Kailāsa (site n° 16) d’Ellorā, daté environ du troisième quart du viiie s.

Monument par excellence du bouddhisme, le stūpa est un édifice reliquaire massif. Il est vraisemblablement dérivé du tumulus funéraire, mais sa silhouette évoluera avec le temps et le lieu. Pourtant ce sont les ensembles communautaires, des vihāra et des caitya rupestres aux monastères, parfois fort vastes (Nālandā) et élevés au voisinage des hauts lieux (Bodh-Gayā*), qui révèlent le mieux l’architecture bouddhique.

Les plus anciens temples brahmaniques connus ne paraissent pas antérieurs à l’avènement des Gupta. Leur évolution est caractérisée par une extension, une complication et une différenciation progressives. D’abord simples cellules couvertes d’un toit plat et précédées d’un portique, les sanctuaires deviendront de hautes tours à toiture développée (vimāna, śikhara), précédées de salles plus ou moins nombreuses et importantes, accompagnées de constructions annexes à l’intérieur d’enceintes auxquelles on accède par des porches monumentaux (gopura). En même temps que s’opère cette transformation, les types de temples se diversifient en fonction de leur importance et, surtout après la fin de l’Empire gupta, sous l’influence des dynasties locales. L’épanouissement des écoles régionales, auxquelles les traités paraissent faire volontiers allusion, caractérise la période « médiévale ».