Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

• Cependant, c’est en hindī-urdū que le roman social trouve son meilleur interprète en la personne de Nawāb Rāy, connu sous le nom de Prem Cand (1880-1936). Celui-ci excelle dans la peinture réaliste de la condition misérable des paysans. De plus, il sait rendre sensible le contraste entre cette misère matérielle et la profonde sensibilité, la noblesse d’âme, l’humanité authentique et presque l’humanisme des villageois indiens. Il est très favorable aux idées réformistes de l’Āryā Samāj, qui recommande un retour aux Veda, et combat le système des castes, adaptant à l’hindouisme certains concepts empruntés à l’islām et au christianisme. Il soutient en particulier la lutte pour l’éducation des femmes, le remariage des veuves, les mariages libres (lui-même a souffert d’un mariage malheureux). Profondément engagé dans le mouvement nationaliste, il fait de ses livres des documents sur le comportement et l’action politique et sociale de la petite classe moyenne dans la lutte pour l’indépendance. Ses premiers romans attestent l’influence de romanciers anglais tels que Dickens, Thackeray et John Galsworthy, puis il prend contact avec les romanciers russes (Tolstoï, Tourgueniev, Pouchkine, Gorki, Kouprine) et se sent avec eux des affinités profondes. La condition de la société russe telle qu’elle apparaît dans ces œuvres n’est pas sans analogie avec celle de l’Inde, et le caractère russe non sans ressemblance avec celui des Indiens. Cette fascination s’affirmera peu à peu parmi les intellectuels après 1930. Prem Cand est également critique d’art.

L’exemple de Prem Cand sera largement suivi durant la période d’après guerre. L’un des premiers à s’en être inspiré est un romancier bien connu en Europe, car il écrit en anglais : Mulk Rāj Anand, né au Pendjab en 1905. Ses romans les plus connus, Cooli, Untouchable, Private Life of an Indian Prince, expliquent au public occidental certains problèmes sociaux spécifiquement indiens. D’autres sont plutôt autobiographiques (Morning Face) et reconstituent assez bien l’atmosphère des relations anglo-indiennes en Inde.

• En marāṭhī, les romans bengalis avaient été largement traduits, en particulier par Bhārgavarām Viṭṭhala Varerkar (né en 1883), lui-même auteur d’un roman sur le droit des femmes, Hindolyāvar. Marna Varerkar est l’auteur de nombreux romans policiers, et la romancière Santabāi Nāsikakar traite également de la condition féminine (le Roman des mariages).

• En gujarātī, les écrivains, tout en s’intéressant aux problèmes sociaux, montrent une plus grande inclination pour la nature, la psychologie individuelle et les mœurs domestiques. Le conteur Gulabdās H. Broker (né en 1909) peint le drame de la vie quotidienne et met en lumière le côté noble de la vie humaine. Manubhāī Pancolī, Darśak de son nom de plume (1913), romancier de mœurs, explique à travers ses personnages sa philosophie de la vie. Le poète Prahlād Parekh (1911-1961) se réclame de trois grandes personnalités — Nanabhatta, Gāndhī et Tagore — et de la tradition folklorique. Umāśankar J. Jośi (1911) célèbre la nature dans une langue extrêmement musicale. Il publie plusieurs recueils de poèmes et écrit quelques pièces de théâtre sur l’ambiance sociale des villages.

• La littérature kāśmīrī moderne compte en la personne d’Abdul Ahad Azad († 1948) un poète exceptionnel par sa largeur d’esprit et ses idées d’avant-garde. S’élevant contre le fanatisme religieux et les préjugés communaux, ce poète appelle à l’unité et à la justice sociale sans discrimination de classes.

• En sindhī, Tīrath Basant (1909-1939), essayiste, biographe, dramaturge, conteur, se fait aussi l’avocat de l’unité hindou-musulmane et périt assassiné.

• L’oriyā prend au début de ce siècle un essor nouveau avec Lakśmīkānta Mahāpātra († 1953), poète et romancier. Celui-ci manie la satire avec aisance et, fin psychologue, tire le meilleur parti de ses analyses de caractère pour réclamer des réformes sociales. Il est secondé par le romancier Kālindīcaran Pānigrāhī (né en 1901), disciple de Tagore et auteur d’un excellent roman social, Mātir Maniṣā.

• La littérature tamoul semble la plus conservatrice des littératures dravidiennes. Kriṣṇamurti « Kalki » (1899-1955), traducteur de l’autobiographie de Gāndhī, écrit des romans historiques, tandis que K. Candrasekharan (1904), principalement conteur, s’inspire de personnages classiques et historiques.

• En telugu, Viśvānadha Satyanārayaṇa (1895), poète, dramaturge et romancier, peint la société indienne en pleine évolution et compose des poèmes s’inspirant des épopées classiques. Kāmeśwar Rāo (1897-1958), essayiste et dramaturge, est influencé par Molière, et T. Gopīcand par le rationalisme. Bon romancier, ce dernier consacre son principal roman au problème du mariage entre castes différentes.

• En kannara, les auteurs sont assez nombreux. « Masi » Venkatosa Iyengar (1891), poète, dramaturge et biographe, est surtout un conteur remarquable. Betagiri Kriṣṇa Śarma (1900) est poète et auteur de romans historiques. La cause féminine a aussi son défenseur en la personne de K. Venkaṭṭapa G. Puṭṭapa (1904), disciple d’Aurobindo. A. N. Kriśan Rāo (1908) traite dans ses romans de divers problèmes sociaux, comme la prohibition, la vie en prison, la vie des artistes, le problème du divorce, la prostitution. Il penche vers le naturalisme de D. H. Lawrence et traduit en kannara Lady Chatterley’s Lover. Rājā Rāo, né à Mysore en 1909, donc de langue maternelle kannara, s’exprime en anglais. Son roman le plus connu, The Serpent and the Rope, se situe dans le sud de la France, où il est installé. Dans un style plutôt lyrique, Rājā Rāo essaie d’atteindre à une synthèse spirituelle entre l’Inde et l’Occident. Il écrira en outre plusieurs contes, réunis en un volume sous le titre de Cow of the Barricades, et un autre roman, Kānthāpura.