Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Mirza Muhammad Rafī dit Saudā (1713-1780) sera l’un des premiers poètes à émigrer vers l’est et à s’installer à Lakhnau (Lucknow), à la suite de la mise à sac de Delhi par Nādir Chāh (1739). Cette ville deviendra le centre de la nouvelle poésie urdū. Saudā, par son talent, fait véritablement de l’urdū une langue littéraire souple et poétique propre à exprimer avec raffinement tous les sentiments dans tous les genres poétiques utilisés en persan, et il réussit à égaler et même, dit-on, à surpasser ses maîtres.

Muḥammad Taqi Mīr (1722-1810), né à Allahābād, vint aussi à Lakhnau. Il eut une vie assez difficile, ce qui explique peut-être la tristesse et le pathétique de ses œuvres. Il écrivit dans un style simple et dépouillé. On lui doit une poignante description de Delhi après le raid de Nādir Chāh.

Les littératures dravidiennes produisent peu d’œuvres originales durant cette période. Elles restent pour la plupart dans le courant religieux traditionnel. En kannara, on peut citer une grammaire rédigée en sanskrit, Karṇātaka Śabdānuśāna, le Rājāśekhara de Saḍakṣava Deva (xviie s.), le Jaimini Bhārata ainsi que quelques écrits jaina et de philosophie advaïta. En telugu, après la désintégration du royaume de Vijayanagar, la littérature connaît une période creuse. Elle ne fait que reprendre les thèmes puraniques et les kāvya. En tamoul, on peut signaler quelques adaptations dues aux missionnaires jésuites.


l’Inde moderne


Le xixe siècle, période de transition

C’est en réalité à la fin du xviiie s. qu’apparaît le courant moderne, qui va peu à peu s’amplifier, puis s’organiser au xixe s. Trois faits importants marquent son développement : l’introduction de l’imprimerie, la formation de la prose, la mise en place d’un système d’enseignement de type anglais. Le Bengale, siège principal de la présence anglaise et missionnaire en Inde, prend nettement la tête du mouvement.

L’imprimerie avait été introduite pour la première fois à Goa par les Portugais en 1556, et la Doctrina christa imprimée en tamoul (1577). Mais la tentative connut de grandes difficultés de tous ordres et ne fut pas poursuivie de façon systématique. Au début du xviiie s., les missions de Bombay et de Madras firent encore quelques essais, puis l’initiative passa à Calcutta, où les presses avaient pu être installées en assez grand nombre pour devenir efficaces. Charles Wilkins, employé à la Compagnie des Indes, réussissait à fondre des caractères bengalis et, en 1778, imprimait à Hūglī (Hoogly) la grammaire bengali de Halhed. En 1784, le savant anglais William Jones (1746-1794) fondait la Société asiatique du Bengale, et, en 1800, lord Mornington, marquis de Wellesley (1760-1842), établissait le Fort William Collège, destiné à instruire dans la civilisation et les langues indiennes les jeunes fonctionnaires anglais. Simultanément, William Carey installait la mission de Śrīrāmpur (Serampur) avec sa propre presse et s’employait à traduire la Bible (Nouveau et Ancien Testament), tout d’abord en bengali, puis en hindī et enfin dans les autres langues indiennes. La Compagnie, qui craignait des difficultés avec la population, n’encourageait guère les missionnaires. La prose, cependant, reçut une impulsion décisive grâce à leurs efforts communs d’organisation, qui surent tirer le meilleur parti des travaux confiés à des lettrés indiens. Les œuvres en prose existaient déjà dans plusieurs langues indiennes, mais elles étaient (et sont encore) mal connues. Le plus souvent, cette forme était réservée soit à des commentaires de textes, soit à des biographies, soit mêlée de vers à la littérature de type « campū », imitée du sanskrit. Toutefois, cette prose restait loin de la langue parlée. La nouvelle prose, au contraire, naîtra de l’effort accompli pour adapter la langue familière utilisée par l’élite à l’expression littéraire et aux besoins des Anglais, d’une part, et pour permettre d’exprimer les idées nouvelles, d’autre part. Ce fut le rôle des auteurs patronnés par le Fort William College. Selon le procédé habituel, ils commencent par transposer des textes sanskrits connus soit à partir de l’original, soit à partir de leur interprétation en langue vernaculaire médiévale. Rām Rām Basu redit en bengali les hauts faits du roi Pratāpāditya (1801) ; Lallūjī Lāl raconte en hindī et en braj l’histoire de Kriṣṇa selon le livre X du Bhāgavata-Purāna, Prem Sāgar (1803-1810), rapporte des histoires tirées du Pañcatantra et de l’Hitopadesa ; Sadal Miśra retrace les aventures de Nāsiket, directement empruntées à la littérature sanskrite ; Mīr Amman recrée en langue courante, sous le titre de Bāgh-o-Bahār, une œuvre urdū de style conventionnel. Sur son initiative privée, semble-t-il, Inśa Allāh Khān consigne par écrit un conte hindī populaire, l’Histoire de la reine Ketaki (Rānī Ketakī kī Khānī). Dans un souci de fixer la langue littéraire d’après des normes clairement établies, des grammaires apparaissent dans toutes les langues principales.


L’enseignement

La société bengali riche est la première à bénéficier du système d’enseignement mis en place avec l’aide des Britanniques. En 1817, la fondation du Hindu College permet à cette élite sociale de se familiariser avec la langue anglaise et les idées occidentales. Un peu partout, en commençant par le Bengale, s’implantent des School Book Societies, qui font traduire et publient dans les diverses langues indiennes des œuvres littéraires et des livres scolaires. À partir de 1835, après le rapport de Macaulay préconisant la diffusion de l’enseignement en anglais, les écoles se multiplient et les classes moyennes y affluent. En 1857 apparaissent les premières universités, tandis que les meilleurs sujets vont commencer, dès le début du siècle suivant, à se rendre dans les grandes universités anglaises.


Les idées nouvelles

Elles sont essentiellement d’ordre moral et social et se caractérisent par le réalisme. Des Indiens commencent à s’intéresser à la condition humaine sur terre, telle qu’ils peuvent l’observer autour d’eux, et à prendre conscience des injustices engendrées par une certaine application du système traditionnel. C’est un souci de conserver l’essentiel de l’esprit hindouiste, tout en le débarrassant de ses scories parfois cruelles, qui stimule les premiers réformateurs et aboutit en 1828 à la fondation du Brahmo Samāj. Ce mouvement se heurtera naturellement à une opposition orthodoxe. Les littératures reflètent ces luttes par le choix des sujets et les efforts d’ajustement des langues. Les idées nouvelles seront largement propagées par la presse, qui devient abondante, d’abord en bengali, puis dans toutes les autres langues.