Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anarchisme (suite)

L’action syndicale

• En France. Dans la plupart des pays, les anarchistes ont privilégié l’action syndicale. La France en fournit un bon exemple. En effet, après avoir considéré le mouvement syndical avec méfiance, parfois même avec hostilité, les anarchistes y ont déployé une grande activité au lendemain de la flambée terroriste des années 1892-1894, marquée par les attentats de Ravachol, Vaillant, Henry, Caserio. On retiendra tout particulièrement les noms de Fernand Pelloutier, secrétaire de la Fédération des Bourses du travail de 1895 à sa mort (1901), et d’Émile Pouget, secrétaire adjoint de la C. G. T. et responsable de son journal la Voix du peuple de 1900 à 1909.

Cependant ce n’est pas sans inquiétude, parfois, que certains militants et théoriciens libertaires virent les compagnons consacrer toutes leurs forces à un mouvement qui n’était à leurs yeux qu’un moyen, et non une fin. Et c’est ainsi qu’au congrès anarchiste international, tenu à Amsterdam en août 1907, on vit E. Malatesta, s’opposant à Pierre Monatte, fixer avec fermeté les limites qui, selon lui, étaient celles du mouvement syndical :
« [...] Encore une fois, l’organisation ouvrière, la grève, la grève générale, l’action directe, le boycottage, le sabotage et l’insurrection armée elle-même, ce ne sont là que des moyens. L’anarchie est le but. La révolution anarchiste que nous voulons dépasse de beaucoup les intérêts d’une classe : elle se propose la libération complète de l’humanité actuellement asservie, au triple point de vue économique, politique et moral. Gardons-nous donc de tout moyen d’action unilatéral et simpliste. Le syndicalisme, moyen d’action excellent à raison des forces ouvrières qu’il met à notre disposition, ne peut pas être notre unique moyen. Encore moins doit-il nous faire perdre de vue le seul but qui vaille un effort : l’anarchie ! »

• En Italie. L’Italie du début du siècle voit refleurir l’anarchisme à travers le syndicalisme révolutionnaire. Réaction au réformisme en vigueur dans le parti socialiste, influence de Georges Sorel sur Arturo Labriola, Enrico Leone, E. C. Longobardi, apparition surtout de nouvelles couches de travailleurs en sont les principales causes. La grève générale des 16-20 septembre 1904, avec occupations d’usines et création de conseils ouvriers, révèle les vertus de l’action directe. À l’intérieur de la C. G. T., créée en 1906, Alceste De Ambris constitue la fraction « l’Action directe », qui compte 200 000 adhérents (1907). Mais la grève insurrectionnelle de Parme de juin 1908, nullement soutenue par la C. G. T., est écrasée par les forces de l’ordre. Au congrès de Bologne (1910), « l’Action directe » compte encore 150 000 adhérents. Tandis que certains intellectuels comme Arturo Labriola se rallient à la conquête coloniale, « l’Action directe » mène campagne contre la guerre de Libye (1911) et se transforme en 1912 en « Union syndicale italienne » : « Le prolétariat n’obtiendra que ce qu’il saura conquérir », proclame Alceste De Ambris. Au congrès de Milan (1913), où sont représentés 100 000 adhérents, Armando Borghi fait adopter une motion en faveur de la grève générale, qui sera mise en œuvre, dès l’année suivante, à l’occasion de la « semaine rouge » d’Ancône. Mais le mouvement se divise sur la question de la guerre : tandis que les partisans de l’intervention font scission, avec De Ambris, pour fonder l’Union italienne du travail, les internationalistes, groupés autour d’Armando Borghi, feront campagne contre la guerre, souvent au prix de leur liberté.

• En Argentine. Les premières sociétés de résistance font leur apparition en Argentine en 1887. Organisé par Pietro Gori, se tient en mai 1901 le congrès constituant de la F. O. R. A. (Federación Obrera Regional Argentina), dont les socialistes se sépareront en 1902. Tandis qu’il est décidé, en 1904, de créer un « Fonds du soldat », destiné à venir en aide aux déserteurs, le Ve congrès adopte les principes du communisme anarchique : « Nous nous organisons pour que les États politiques et juridiques existant actuellement soient réduits à des fonctions purement économiques et remplacés par une libre Fédération de libres associations de producteurs libres. » Grossie des syndicalistes révolutionnaires en 1907, la F. O. R. A., à son apogée, regroupera 500 000 adhérents. Mais, sous l’effet de la répression et de la concurrence socialiste, le IXe congrès d’avril 1915 renonce aux principes du communisme anarchique. Sous le nom de « F. O. R. A. del V Congreso », une minorité fidèle fait scission, qui sera très agissante pendant la « semaine tragique » de 1919, et la seule organisation à tenter de s’opposer au coup d’État du général F. Uriburu en 1930. En 1935, une Federación Anarco-Comunista Argentina (F. A. C. A.) lui succédera.


Essais de société anarchiste

À trois reprises au moins dans l’histoire, il fut donné aux anarchistes de vivre, à l’échelle d’une société et en une vaste région, l’expérience d’un monde libertaire.

Ce fut le cas lorsque N. I. Makhno (1884-1934), dénonçant l’autorité et en usant à l’occasion, domina l’Ukraine de l’été 1918 à août 1921, à la tête d’une armée paysanne à la fois libertaire et disciplinée. Mais cette histoire — qui reste à écrire — fut avant tout militaire.

Ce fut également le cas en Bavière, mais la République soviétique qu’en avril 1919 dirigèrent les anarchistes Gustav Landauer et Erich Mühsam (1878-1934) ne dura que quelques jours.

En Espagne, par contre, où les forces libertaires mènent depuis longtemps une action importante et de masse — rappelons les noms des militants de premier plan que furent au temps de la Ire Internationale Rafael Farga y Pellicer, Gaspar Sentiñón, Anselmo Lorenzo —, les anarchistes de la C. N. T. - F. A. I. bénéficièrent en juillet 1936, et pendant une année environ, de conditions relativement favorables pour tenter en certaines régions (Catalogne, Andalousie, Levant et surtout Aragon) des essais de vie libertaire. Leur organisation syndicale, la C. N. T., groupait alors 1 200 000 membres, et dépassait ainsi les effectifs de l’U. G. T. socialisante. Ces essais, exaltés par les anarchistes, furent décriés par leurs adversaires marxistes.