Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

À cette époque, trois puissances pouvaient représenter un danger pour les Britanniques : le niẓām d’Hyderābād, le sultan de Maisūr (Mysorel, la confédération marathe. Par ailleurs, la guerre de l’Indépendance américaine devait réactiver l’hostilité franco-anglaise. C’est donc dans un contexte politique difficile que Hastings dut situer son action. Pour l’essentiel, il ne put que maintenir l’héritage de Clive. Il vainquit difficilement Ḥaydar ‘Alī, usurpateur du trône du Maisūr ; la situation des Britanniques s’aggrava à partir de 1780, quand le fils de Ḥaydar ‘Alī, Tīpū Sāhib, reprit la lutte de plus belle. De plus, la flotte française, en contrôlant les abords de l’Inde, pouvait lui prêter main-forte. En 1783, le traité de Versailles vint à point pour tirer les Britanniques d’un bien mauvais pas.

Warren Hastings eut, lui aussi, des ennuis à son retour en Grande-Bretagne (1785). Un procès lui fut intenté en raison des nombreuses exactions auxquelles il avait eu recours ou qu’il avait couvertes dans la perception de l’impôt. Toutefois, il faut mettre à son actif un remarquable essai d’ouverture culturelle : souci absolu de non-ingérence dans les us et coutumes hindous, contribution active à la création, par sir William Jones (1746-1794), de la Société asiatique du Bengale, première association culturelle de ce genre, encouragement précieux à la traduction des lois de Manu en persan... sont autant d’exemples qui montrent son souci d’étudier et de respecter la réalité sociologique et culturelle de l’Inde.


La mainmise britannique sur l’Inde (1786-1857)

Il y a une dynamique certaine de la colonisation. Bien que pacifique par conviction et par devoir politique, lord Cornwallis (1738-1805), gouverneur de 1786 à 1793, dut, ne serait-ce que pour assurer la protection des possessions britanniques, pratiquer une politique belliqueuse. Ayant constitué contre lui une sainte alliance des souverains indiens, il réussit à battre Tīpū Sāhib et à s’emparer d’une partie de ses territoires. Mais ce succès n’avait pas grande signification. Le soutien français, les répercussions de la révolution de 1789, les déboires britanniques en Europe le rendaient bien fragile. L’« épopée » de Bonaparte en Égypte, en précisant et en rendant plus crédible le danger français, amena lord Wellesley (1798-1805) à se lancer dans une entreprise de conquête systématique. Celui-ci le fit d’autant plus vite qu’il craignait l’influence modératrice de la Compagnie. Conquête du sud du Deccan, d’une partie de la plaine gangétique, victoire décisive sur Tīpū, tué lors de la prise de Seringapatam (mai 1799), dont le royaume fut donné à un rājā protégé des Anglais, annexion en 1801 du Carnatic, du Rohilkhand et du Doāb inférieur, tout était en place pour l’explication décisive avec la seule grande puissance indienne depuis la décadence moghole : la confédération marathe. Dynamiques et bons combattants, les Marathes manquaient d’une organisation politique stable. Ce fut la brèche dans laquelle s’engouffra Richard Coley Wellesley (1760-1842). Soutenant avec énergie un chef marathe déchu, le Peśvā Bāji Rāo II, il obtint de celui-ci par le traité de Bassein (1802) la mise sous un quasi-protectorat britannique de la Confédération marathe. L’année suivante, le frère de Wellesley, le futur Wellington, matérialisait le traité en réinstallant Bāji Rāo à Poona. L’ampleur même du succès britannique entraîna un véritable sursaut national chez les Marathes, qui reprirent les armes en 1803. Vaincus, ils durent, en décembre 1803, céder à la Compagnie de nouveaux territoires (comme le Doāb supérieur) par les traités de Deogāon et d’Arjangāon. C’en était fait de la puissance marathe. La guérilla de Jaswant Rāo Holkar, souverain marathe d’Indore, ne modifiait en rien cette constatation. Paradoxalement, l’importance même de ses succès causa la perte de lord Wellesley. Effrayés par les dettes croissantes de la Compagnie, les directeurs de celle-ci choisirent le prétexte d’un échec militaire sans signification pour le rappeler. On ne lui pardonnait pas d’avoir donné à la Compagnie un empire « too large for a profitable management » (trop grand pour une gestion rentable). Toutefois, on ne pouvait refuser le somptueux cadeau que Wellesley, par sa décision et sa rapidité foudroyantes, venait d’offrir. Si l’on ajoute en 1816, après une guerre contre les Gurkhās, un traité avec le Népal on constate qu’en 1819, directement ou indirectement, les Britanniques contrôlaient toute l’Inde, à l’exception du Cachemire, du Pendjab et du Sind.

Seule la puissance de l’État sikh pouvait encore limiter la prépondérance britannique. Cette puissance était l’œuvre d’un souverain d’une rare compétence, Ranjīt Singh (1792-1839). Excellent organisateur, celui-ci sut doter son pays d’une armée de 50 000 hommes, équipée et entraînée de façon très moderne. Il développa le commerce et l’industrie, faisant du Pendjab, auquel il avait annexé le Cachemire en 1819, un ensemble avec lequel les Anglais durent compter. Prudemment, ceux-ci attendirent sa mort en 1839 pour entreprendre de régler le problème sikh, et ce bien qu’en 1809 ils aient signé un traité d’amitié perpétuelle avec Ranjīt Singh. Une première guerre (1845-46) vit un pénible succès anglais, qui, au traité de Lahore, aboutit à l’annexion des territoires à l’est de la Sutlej (Satlej) au paiement par les Sikhs d’une lourde indemnité de guerre et à la limitation de leur armée.

Des troubles à Multān en 1848 entraînèrent la deuxième guerre sikh, au terme de laquelle lord Dalhousie (1812-1860) annexa le Pendjab (1849). Six ans plus tôt, sir Charles Napier (1782-1853) avait conquis le Sind. La construction territoriale de l’Empire britannique en Inde était terminée. Les conflits ultérieurs se situèrent tous aux frontières de l’Inde, n’ayant pour objet que la protection du pays contre l’influence russe au nord et l’influence française à l’est.