Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Akbar poussa même ses investigations militaires jusqu’au Deccan, obtenant la soumission, au moins théorique, des États d’Ahmadnagar, de Bijāpur, de Golconde (ou Golkondā) et de Khāndesh. Cette extension de sa suzeraineté présentait un autre avantage : contrecarrer l’influence croissanté des Portugais en Inde. Akbar eut-il une sorte de prescience du danger européen pour l’Inde ou voulut-il seulement limiter le drainage de richesses qu’effectuaient les Portugais ?

Son fils Salīm devait lui succéder sous le nom de Djahāngīr (1605-1627). Homme affable, mais de caractère faible, Djahāngīr, malgré des guerres aussi coûteuses que nombreuses, ne parvint pas à étendre de façon notable l’empire que lui avait légué son père.

À sa mort en octobre 1627, l’un de ses fils, Khurram, lui succéda sous le nom de Chāh Djahān (1628-1658). Son règne se place sous le signe de la poursuite d’une double chimère : vouloir, comme son ancêtre Bābur, soumettre les turbulents Ouzbeks ; tenter, comme le fera un de ses fils, Awrangzīb (Aurangzeb), de soumettre réellement le Deccan. Détrôné justement par ce dernier en 1658, il finit sa vie en 1666 en prison.

Avec Awrangzīb (1658-1707), l’Empire moghol atteint un véritable point d’inflexion.

Territorialement, l’extension maximale est atteinte en 1691. Mais à quel prix ! Des campagnes militaires constantes, mais onéreuses et jamais décisives contre les Rājpūts, les Marathes et quelques États musulmans du Deccan (Bijāpur, Golkondā) ont épuisé l’Empire pour des résultats dérisoires.

Politiquement, celui que son fanatisme religieux a fait surnommer l’« empereur derviche » détruit rapidement la cohésion entre les communautés religieuses diverses qu’Akbar a établie et que ses successeurs hésiteront à défaire totalement.

À partir de 1707, l’Empire moghol ne cesse de décliner.


La politique économique, sociale, religieuse, culturelle des Moghols

Dirigé par l’empereur, assisté d’un conseil ministériel, le Divan, le pays semble convenablement administré. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’impulsion donnée par Akbar sera décisive. Le domaine fiscal permet de bien cerner les buts et les moyens de sa politique.

Pour soulager les paysans, il fut décidé que l’impôt serait levé par des fonctionnaires rétribués et non plus par des zamīndār (sortes de percepteurs achetant à l’État le droit, ou plutôt le privilège, de lever l’impôt foncier). Dans ces conditions, la ponction fiscale ne dépassa guère 35 p. 100 du produit des récoltes.

Pour garantir l’autorité du pouvoir central, Akbar mit en veilleuse le système des djāgīr. Jusqu’alors, ce système avait été un moyen de récompenser des fidèles par l’octroi d’une dotation foncière (djāgīr) dont les revenus constituaient une sorte de salaire. Le danger était grand, en effet, et cela se vérifia par la suite, que le détenteur d’un djāgīr, ou djāgīr-dār, en vînt à se considérer comme une sorte de petit seigneur indépendant. Si Akbar réforma le mode de perception de l’impôt, il alla plus loin, en en rendant le montant proportionnel non seulement à la valeur des produits cultivés, mais aussi à l’abondance des récoltes, ce qui, dans un pays soumis au caprice de la mousson, représentait une réforme tout à fait positive.

Répondant à un double souci — tolérance religieuse et atténuation de certains antagonismes sociaux —, il supprima la djizya (taxe perçue par les souverains musulmans sur leurs sujets hindous). Toujours dans ce domaine, le grand réformateur moghol, préfigurant en cela l’œuvre des Britanniques, s’attaqua à certaines tares de la société indienne : les mariages d’enfants (encore qu’il soit bien difficile d’apprécier l’efficacité des mesures prises), la satī, c’est-à-dire la quasi-obligation pour les veuves de certaines castes de s’immoler par le feu après le décès de leur mari.

Malheureusement, toutes ces réformes reposaient seulement sur la personnalité d’Akbar. On touche ici du doigt une vérité profonde de l’Empire mogliol ; la personnalité du souverain reste encore capitale pour l’évolution de l’Empire ; d’où l’aspect sinusoïdal qu’elle revêt souvent.

La politique religieuse en fournit un excellent exemple. Avec Akbar, la tolérance fut de règle. L’empereur rêvait d’aboutir à un véritable syncrétisme religieux. Dans cette optique, il se fit, en 1579, proclamer arbitre suprême en matière de foi. Pour concrétiser ces tentatives, il alla même jusqu’à créer une Église nouvelle : la Dīn-i ilāhī (la foi divine). Il fallait son autorité personnelle pour oser ce qui, aux yeux des musulmans orthodoxes, était une véritable hérésie. Quoi qu’il en soit, si le syncrétisme religieux d’Akbar fit long feu, sa tolérance lui assura une grande popularité.

Ses successeurs rompirent plus ou moins brutalement avec cette politique. Djahāngīr et Chāh Djahān s’efforcèrent plutôt de donner des gages aux intégristes musulmans, que le libéralisme d’Akbar avait effrayés. Sans passer à la persécution directe des hindous, on réintroduisit à leurs dépens la discrimination dans l’accès aux plus hauts postes de l’État, on leur interdit la construction de nouveaux temples, etc. Mais c’est avec Awrangzīb que la politique anti-hindoue atteignit son paroxysme : destruction de temples, brimades diverses, rétablissement de la djizya, tout y passa. Considéré comme un saint par ses coreligionnaires, l’empereur derviche n’en déchaîna pas moins les passions communalistes, assoupies depuis Akbar. Sikhs, Rājpūts et Marathes alimentèrent leur nationalisme du sectarisme impérial. Une telle attitude est d’autant plus regrettable que l’évolution culturelle promettait beaucoup. Les xvie et xviie s. furent, culturellement parlant, prospères. C’est par ailleurs l’époque où, pour reprendre l’expression de J. Dupuis, « plusieurs faits montrent qu’il existe alors dans le pays une tendance à la synthèse : au-dessus de la diversité religieuse commence à s’élaborer une culture nationale ». Le sikhisme est dans le domaine religieux un signe de cette tendance à la synthèse. Le domaine proprement culturel en fournit de nombreux autres exemples : ainsi la diffusion de l’urdu, langue utilisant des caractères persans, mais pouvant aisément être comprise des gens parlant hindī. (Pour les autres exemples, voir ci-après les chapitres littérature et art.)