Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

improvisation (suite)

Improvisation dans les formes et formes d’improvisation

L’improvisation s’est trouvée naturellement liée à la plupart des formes musicales :

• aux formes vocales d’abord : versets alléluiatiques grégoriens ; organum, déchant et faux-bourdon de la polyphonie primitive médiévale ; formes contrapuntiques de la Renaissance — messes exceptées —, dans lesquelles elle est souvent synonyme d’ornementation et de diminution ; cantates, motets, oratorios et opéras des xviie et xviiie s. ;

• aux formes instrumentales ensuite, libres ou rigoureuses, dont elle participe à l’élaboration : intonations, préludes, fantaisies, toccatas, d’une part ; variations de choral, ricercari et fugues, d’autre part ; ou encore diverses formes rhapsodiques ou symphoniques. Partant de raisons diverses, l’improvisation peut être entièrement libre ou utiliser, dans le cadre d’une forme, un thème, un rythme, une idée poétique.


Instruments

Nous venons de voir que l’improvisation, avant d’être instrumentale, fut d’abord vocale. Mais, au fur et à mesure que les instruments apparaissent, on remarque très vite de la part des musiciens-improvisateurs une préférence très nette pour les instruments polyphoniques, et plus particulièrement pour les instruments à clavier : clavecin, piano, orgue. Ceux-ci n’excluent d’ailleurs nullement le luth, la guitare, les violes ou le violon et bien d’autres instruments monodiques, qui, par une ornementation appropriée, vivifient le thème seulement esquissé de nombreux mouvements lents. Il semble, évidemment, dès lors préférable d’avoir de l’instrument sur lequel on improvise une connaissance très approfondie, pour l’exploiter au mieux et en tirer des effets qui lui sont intrinsèquement liés.


Exigences et limites de l’improvisation

À cette connaissance nécessaire de l’instrument doit s’associer une solide culture musicale, même si, apparemment, certains musiciens folkloriques ou de jazz, incultes musicalement, improvisent néanmoins de façon innée et contredisent ainsi cette affirmation. Cette culture préférable allie l’écriture, dans son sens large, à des connaissances rythmiques, formelles et organologiques dans l’application de certaines règles, qui, loin d’aliéner la pensée du musicien, lui sont un précieux auxiliaire. À cela s’ajoute un des éléments moteurs essentiels de l’improvisation : une solide mécanique des doigts. Celle-ci apparaît fondamentale dès l’un des premiers traités d’improvisation, le Fundamentum organisandi de Conrad Paumann (v. 1410-1473), qu’André Pirro définit comme un « recueil de formules et de cadences, qui prépare à improviser un contrepoint, comme certains manuels enseignent à improviser un sermon ». Ce principe paraît également indispensable dans la réalisation à vue, donc improvisée, de la basse chiffrée, omniprésente dans la musique pendant un siècle et demi, puisque Rameau, entre autres, établit en 1732 une méthode d’accompagnement (comprenons de réalisation) au clavecin ou à l’orgue « sur une mécanique des doigts que fournit la succession fondamentale de l’harmonie ». En vérité, c’est une arme à double tranchant, car c’est là que le bât blesse ! En effet, consciemment ou non, l’improvisateur, s’il n’y prend garde, devient vite tributaire de formules, de clichés mémorisés qu’il adapte à quelque thème, à quelque forme et à quelque style que ce soit : sorte de glossaire qui ressert spontanément lorsqu’une pratique longue et assidue — moins peut-être que le manque d’idées — a ôté quelquefois la conviction indispensable à ce mode d’expression. Le « métier » l’emporte alors sur l’inspiration.


Improvisation publique

Épanchement des mouvements intimes de l’âme, l’improvisation est avant tout privée. Mais elle est aussi un moyen de communication avec l’auditoire par l’impact qu’elle a sur lui. Par la somme de connaissances dont elle témoigne — restant de ce fait l’apanage d’une élite musicale —, mais aussi par la prouesse cérébrale et la domination physique de soi-même qu’elle requiert, elle est depuis plusieurs siècles une forme exigée dans certains concours et attendue principalement dans les récitals d’orgue. Paradoxalement s’est développée à l’encontre de l’improvisation une sorte de suspicion (d’ailleurs justifiée dans le fameux concours qui opposa en 1727, à l’orgue de Saint-Paul à Paris, L.-C. d’Aquin et J.-P. Rameau, ce dernier, au dire de contemporains, ayant eu communication du sujet de la fugue que tous deux devaient improviser) ; ainsi, l’auditoire est encore en partie persuadé que l’œuvre qui se fait devant lui a été précédemment écrite, apprise, puis exécutée de mémoire, ou, tout au moins, longuement préparée. Pour dissiper ce doute, certains organistes, par exemple, n’hésitent pas à demander à l’assistance elle-même un thème composé de notes hasardeuses, jetées par quelques personnes, sur lesquelles ils fixeront un rythme et improviseront immédiatement après. On peut voir aussi en cela le souci d’associer l’auditoire à la création d’une œuvre ; cette participation, certains compositeurs contemporains la réclament intégralement.


Improvisation dans la musique contemporaine

Restée en pratique — sans doute par nécessité, peut-être par besoin — dans le milieu organistique qui fait la charnière entre les xixe et xxe s., dans lequel les Français occupent une place privilégiée, de Franck à Messiaen, en passant par Louis Vierne, Charles Tournemire, Dupré et bien d’autres, l’improvisation rentre en force dans la musique d’aujourd’hui. C’est la musique aléatoire*. En effet, principalement depuis 1951, sous l’influence plus particulière de John Cage, de Karlheinz Stockhausen et de Pierre Boulez*, le compositeur, dans son œuvre, laisse désormais volontairement à l’interprète, dans le choix de structures, de temps, d’intensités ou d’ordres de notes, une part de responsabilité compositionnelle de plus en plus importante. On peut voir la source de tels procédés dans des expériences de musique simultanément spatiale et aléatoire tentées à la fin du siècle passé, lorsque, par exemple, le père de Charles Ives faisait partir de deux points opposés du village deux fanfares qui, s’avançant l’une vers l’autre, se croisaient au son de deux musiques différentes, tandis qu’un troisième groupe de musiciens jouait au sommet du clocher de l’église. Expérience prophétique qui ne sera pas sans lendemain, puisque, dès 1911, Charles Ives, pionnier du langage aléatoire, écrit Hallowe’en, œuvre qui se joue plusieurs fois de suite, mais de manière chaque fois différente. Les grandes étapes de ce mode de création sont ensuite marquées par Imaginary Landscape No. 4 (1951) pour 12 postes de radio de J. Cage, Klavierstück XI de K. Stockhausen et la Troisième Sonate pour piano de Boulez (1956). Hasard ou probabilité, Xenakis, quant à lui, propose à l’ordinateur une part de responsabilité compositionnelle. Un autre parti est exploité par Marius Constant, qui, en 1962, écrit les Chants de Maldoror pour 24 instruments improvisateurs « dirigés par un danseur improvisateur lui-même inspiré par le récitant disant le texte de Lautréamont » (C. Rostand).