Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

impressionnisme (suite)

C’est aussi par l’intermédiaire de Monet, qui lui devra, dira-t-il, « l’éducation définitive de son œil », que l’impressionnisme s’inspirera de la splendide fluidité des aquarelles de Jongkind, où s’expriment librement le dynamisme des villes, la mobilité des ciels normands, les structures géologiques des Alpes. « Une chose me frappe, remarque Edmond de Goncourt dans son Journal en 1882, c’est l’influence de ce Jongkind. Tout le paysage qui a une valeur à l’heure qu’il est descend de ce peintre, lui emprunte ses ciels, ses atmosphères, ses terrains. »

L’Italie participe aussi à ces recherches : à Florence se forme vers 1855 le groupe des « macchiaioli » (macchia signifie « tache »). Ceux-ci se réunissent au café Michelangelo et peignent en plein air dans les jardins de Pergentina avec une prédilection pour les ébauches esquissées sur un couvercle de boîte de cigares. Silvestro Lega (1826-1895), Giovanni Fattori (1825-1908), Telemaco Signorini (1835-1901), Nino Costa (1826-1893) et le critique Diego Martelli (1838-1896) sont les plus connus des défenseurs de ce style vibrant, où la touche, largement étalée, et les violentes oppositions de couleurs introduisent dans l’art du xixe s. un apport tout à fait nouveau, que Degas* n’a pu ignorer lors de son long séjour florentin de 1858.

Les peintres méridionaux sont particulièrement soucieux de traduire les taches dansantes du soleil. Adolphe Monticelli (1824-1886) s’y applique avec des frottis, des glacis, des empâtements qui conservent souvent le sombre chromatisme romantique, mais qui éclatent parfois en valeurs claires frénétiquement papillotantes, dont l’influence sur l’impressionnisme ne sera pas négligeable. Son jeune camarade Paul Guigou (1834-1871) emprunte à leur maître commun, le paysagiste marseillais Émile Loubon (1809-1863), un style un peu sec, mais, alors que celui-ci s’évade difficilement des harmonies grises, Guigou est l’un des premiers à peindre dans tout son éclat la lumière provençale, « géométrisant » largement l’ocre des terres sous l’outremer du ciel. Ces recherches sont proches de celles qui seront poursuivies à Montpellier par Frédéric Bazille (1841-1870), qui prendra une part essentielle à la découverte des théories nouvelles. Ainsi, dans ce prélude à l’impressionnisme, de Boudin à Guigou se manifeste déjà la double orientation vers l’évanescence des formes, d’une part, et leur structuration systématique, d’autre part, dont Monet et Cézanne vont doter l’art du xxe s.


Heurs et malheurs des nouvelles tendances

Les grands créateurs du mouvement impressionniste sont nés entre 1830 et 1841. Ils viennent d’horizons différents : Renoir est le fils d’un tailleur, Monet d’un épicier, les parents de Pissarro et de Sisley sont des négociants, ceux de Manet* et de Berthe Morisot de hauts fonctionnaires, Bazille et Cézanne appartiennent à la bourgeoisie provinciale, et Degas est membre de la gentry internationale. Ils se rencontrent entre 1857 et 1861 soit en étudiant dans l’atelier de Charles Gleyre (1806-1874), professeur à l’École nationale des beaux-arts (Bazille, Monet, Renoir, Sisley), soit en travaillant librement à l’académie Suisse (du nom de son fondateur) [Monet, Pissarro, Cézanne, Guillaumin], soit en copiant au Louvre (Degas, Manet, Berthe Morisot). À l’époque où ces jeunes gens s’initient à la peinture, la querelle entre les partisans d’Ingres* et de Delacroix n’est pas apaisée, l’enseignement de l’École des beaux-arts est soumis à un néoclassicisme abâtardi, et l’avant-garde est le réalisme, que concurrence l’objectivité mécanique de la photographie, à propos de laquelle Baudelaire s’inquiète : « S’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute son œuvre, alors malheur à nous. » L’impressionnisme dans la forme, le symbolisme* dans l’esprit seront la riposte à cette menace.

Pour se faire connaître, les artistes doivent montrer leurs œuvres au Salon, dont les jurys préservent obstinément une hiérarchie des genres, où le paysage occupe la dernière place, s’inquiètent de la portée politique du réalisme, sauf lorsqu’il s’applique aux lourdes reconstitutions de Thomas Couture (1815-1879), et favorisent un éclectisme* où dominent les mièvreries néo-grecques de Léon Gérome (1824-1904), les fades nudités d’Alexandre Cabanel (1823-1889), les pastiches flamands d’Ernest Meissonier (1815-1891). Le public professe d’ailleurs les mêmes goûts et fait un succès de clabauderie au Salon des refusés, instauré en 1863 par un décret de Napoléon III pour répondre à l’intransigeance du jury, qui avait écarté près de quatre mille œuvres. À cette exposition figurent des tableaux de Jongkind, d’Henri Fantin-Latour (1836-1904), d’Alphonse Legros (1837-1911), de Pissarro, de Félix Bracquemond (1833-1914), de Whistler*, et de Manet, dont le Bain, dit plus tard le Déjeuner sur l’herbe, polarise les critiques indignées.

1863 est une année essentielle : Salon des refusés, mais aussi exposition particulière de Manet chez Martinet, décision de Monet de quitter avec ses camarades l’atelier de Gleyre pour aller travailler en forêt de Fontainebleau, définition de la « modernité » par Baudelaire (dans le Figaro à propos de Constantin Guys), mort de Delacroix, à la mémoire duquel Fantin-Latour brosse un tableau où figurent Manet, Whistler, Legros, Baudelaire, le critique Champfleury..., c’est-à-dire les peintres et les écrivains adeptes d’un réalisme moins brutal que celui de Courbet. Le scandale causé par l’Olympia au Salon de 1865 rassemble autour de Manet, considéré comme le chef de file de la « modernité », les jeunes artistes qui cherchent à définir par rapport à celle-ci leur propre style. Ceux-ci ont, jusqu’alors, regardé du côté de Delacroix (Renoir, Cézanne), d’Ingres (Degas), de Corot (Pissarro, Morisot), de Courbet (Bazille, Cézanne, Monet), mais l’immense leçon de ce dernier ne leur suffit plus.