Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

imagerie (suite)

On appelle souvent images d’Épinal toutes celles que l’on voit présenter un caractère populaire. C’est une erreur qui vient de ce qu’Épinal a tenu la première place dans la production française du xixe s. La xylographie s’est développée en Occident au xive s. ; mais les Chinois, dès le ier s. de notre ère, avaient su fabriquer du papier, et, au viie s., imprimer sur celui-ci des images gravées sur bois.

Jusqu’au xviie s., en France, toute représentation du réel ou de l’imaginaire fut qualifiée d’image, qu’elle soit dessinée ou gravée, peinte ou sculptée. Ses auteurs étaient des imagiers. Lorsque, après la fondation de l’Académie, la notion d’artiste fut devenue distincte de celle d’artisan, la gravure d’art prit le nom d’estampe, et les graveurs populaires, héritiers des « cartiers » et des « dominotiers », furent dénommés graveurs imagistes. S’il y eut des artistes qui, par nécessité ou par goût, travaillèrent dans le genre populaire, on peut estimer que, le plus souvent, l’imagerie populaire était due à des artisans autodidactes, travaillant en marge du « grand art » et qui ont fait se survivre à travers toute l’Europe, malgré l’évolution des styles, des formes médiévales, un coloris sans nuances et un esprit apparenté à celui des fabliaux. Nonobstant quelques exceptions, l’imagerie véritablement populaire est celle d’hommes du peuple non dégagés de leur milieu et voués à épouser les croyances, les curiosités, le goût des gens de ce milieu. Même lorsqu’il s’inspire, à l’église ou au musée, de chefs-d’œuvre savants, l’imagier populaire les transpose à sa manière naïve.

Selon les historiens de l’image pieuse, les xylographes français auraient eu pour premier soutien Clément VI, pape d’Avignon de 1342 à 1352. Cette image pieuse, de petit format et par conséquent facile à coudre sur la robe du pénitent, était vendue à plus ou moins bas prix et considérée comme un moyen sûr d’obtenir une réduction des peines éternelles. On sait, en tout cas, qu’il exista dans les divers monastères un assez grand nombre d’ateliers d’imagerie. Quant à la production des autres imagiers, aussi bien sacrée que profane, ce furent des colporteurs qui, de villes en villages, ainsi que sur les champs de foire, en assurèrent principalement la vente, et ce jusque vers le milieu du xixe s. ; quelques-uns d’entre eux confectionnaient eux-mêmes ces feuilles volantes, qui, exposées directement sur les murs, sans cadre ni verre protecteur, sont devenues, pour la plupart, très rares (voir en France les collections de la Bibliothèque nationale, du musée des Arts et Traditions populaires, du musée d’Épinal).

Les imagiers populaires ont représenté Dieu et les saints, les énigmes de la Création et de la Destinée, les travers individuels et les incommodités sociales, l’événement politique et le crime sensationnel, le soldat et la guerre, les peines et les joies des contemporains. Et tout cela dans un style simple et direct, exprimant les sentiments les plus divers, de la joie à l’horreur, de la tendresse à la verve comique ou cruelle. Une de leurs compositions la plus répandue à travers l’Europe fut celle, ingénument philosophique, du Degré des âges. On y voit, en bas et à gauche, un bébé au berceau, en bas et à droite, une tombe ; au fond, un escalier formant triangle ; du côté de la montée se succèdent un bel enfant, un adolescent superbe, un adulte dans sa puissance ; du côté de la descente, se tient un vieillard de plus en plus infirme.

En France, à côté des images de dévotion, les titres les plus demandés — souvent répétés de siècle en siècle, du xvie au xixe — ont été le Chariot d’argent, Crédit est mort (image de cabaret), Chasse à mon oie (astucieux jeu de mots), Dispute pour la culotte (entre époux mal assortis), Brise-ménage, Bontemps, père de la joie, l’Arbre d’amour (sur les branches duquel sont juchés de coquets célibataires que d’espiègles demoiselles, en quête de fiancés, s’efforcent, en secouant ledit arbre, de faire tomber entre leurs bras), le Départ pour le bal et Promenade sur l’eau (élégances), le Coucher de la mariée et le Lever de la mariée (grivoiseries), le Convoi du riche, le Convoi du pauvre (seul un chien fidèle suit le corbillard), les Cris de Paris (du marchand de pâtés chauds au décrotteur de souliers), l’Arracheur de dents, les Mystères de Paris (d’après Eugène Sue), le Juif errant, le Monde renversé (où des animaux, par exemple, domestiquent les hommes), la Galerie théâtrale et les Modes ridicules. Il faut encore citer, pour les enfants, Cendrillon, Barbe-Bleue, Robinson dans son île ; pour les grandes personnes, des planches de satire politique — pourchassées par la censure —, toutes les images de l’épopée napoléonienne, ainsi que des faits divers choisis entre les plus sanglants.

L’examen du papier peut aider à déterminer le degré d’ancienneté d’une image. En Europe, on commença par utiliser pour sa fabrication la fibre de bois ; l’emploi généralisé du papier de chiffon date du xve s. On le travaillait à la main. En 1798, la machine à papier, inventée par Louis Robert, allait, au détriment de la qualité, stimuler, en particulier à Épinal, l’industrialisation d’un métier jusqu’alors artisanal.

Les premiers « graveurs imagistes » pratiquèrent, du xive au xvie s., la gravure sur bois de fil. Leur outillage se réduisait à un couteau, une pointe de métal fichée dans un manche de bois, un racloir et une gouge. Comme leurs successeurs, ils traduisaient un dessin qui, en général, n’était pas de leur main. Au xviie s., on eut recours à des procédés plus rapides (taille-douce, eau-forte) ; la gravure sur bois connut un regain de faveur au xviiie s., mais la lithographie, à son tour, la supplanta dans le courant du xixe s. Même évolution en ce qui concerne le tirage, primitivement effectué au frotton (coussinet de crin mélangé de colle forte) ; vint ensuite la presse à bras, puis, au xixe s., la presse mécanique. Le progrès matériel engendra la décadence.