Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Illyés (Gyula)

Écrivain hongrois (Rácegres 1902).


Hors de son pays, Illyés est surtout connu pour des œuvres en prose, dont la plus célèbre est sans doute Ceux des pusztas (1936), « sociographie » aujourd’hui classique de la campagne hongroise. Son amitié pour les surréalistes, dont il subit passagèrement l’influence au cours des années qu’il passe dans l’émigration à Paris (1921-1926) après la « révolution des chrysanthèmes », ne l’empêche pas, dès le début des années 30, de devenir, conformément à ses dons, à ses origines et à son tempérament, l’un des représentants les plus éminents du mouvement « populiste » hongrois. Réaliste, profondément enraciné dans le terroir de son enfance, dont il fait dans son œuvre le symbole de sa patrie tout entière, il est la vivante incarnation d’une certaine idée de la Hongrie — nation paysanne, mais gardant la nostalgie du nomadisme ancestral, îlot finno-ougrien battu par le flot de nations indo-européennes toujours prêtes à l’engloutir.

Comme S. Petőfi, auquel il devait consacrer une importante biographie (1936), c’est sous le signe d’une révolution vouée à l’échec, la Commune de Budapest, à laquelle il participe activement, qu’Illyés, âgé de seize ans, fait son entrée dans les lettres hongroises. Mais c’est seulement en 1928, deux ans après son retour en Hongrie, que paraît son premier recueil de poèmes, le Poids de la terre, qui marque le véritable début de sa carrière littéraire, Illyés est remarqué par le grand poète et romancier M. Babits, corédacteur en chef de la revue Nyugat (Occident), à laquelle il collabore bientôt régulièrement. Il en deviendra l’un des rédacteurs et, après la mort de Babits en 1941, en assumera seul la direction ; sous le nom de Magyar Csillag (l’Étoile hongroise), la revue parviendra à paraître jusqu’en avril 1944. Entre-temps, Illyés, qui, avec son ami Attila József*, est devenu l’un des chefs de file de sa génération, s’est rallié, dès sa fondation, au mouvement des écrivains populistes, tendance, en Hongrie, moins ouvriériste que paysanne. L’organe de ce mouvement est la revue Válasz (Réponse), dont Illyés devient tout naturellement l’un des principaux collaborateurs, puis, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le rédacteur en chef. Illyés est aussi pendant quelque temps député du parti agrarien, qui disparaît en 1948. En 1948 et en 1953, il obtient le prix Kossuth, mais, entre ces deux dates, qui marquent en Hongrie la fin du début et le début de la fin de l’ère stalinienne, il est tenu et se tient à l’écart de toute activité politique directe. Des poèmes, qui circulent sous le manteau et dont certains comptent sans aucun doute parmi ses chefs-d’œuvre, disent pourtant sa colère et son opposition (Quelques mots sur la tyrannie, Bartók).

Comme toute poésie, la poésie d’Illyés ne se raconte pas : elle se goûte. Non qu’elle recule devant l’anecdote : elle a trop de santé et de tempérament pour cela, et le souffle de l’épopée — du didactisme parfois — passe sur plus d’un poème. Mais cette poésie puise sa sève dans la terre, dans l’histoire, dans la langue hongroises. Si Illyés y évoque çà et là le Paris de ses premières amours, la toile de fond en est surtout constituée par les vignobles du lac Balaton (parmi lesquels le poète vit aujourd’hui retiré une grande partie de l’année), par la Grande Plaine, couverte de neige en hiver, de boue au printemps et de poussière en été, et plus encore par la puszta de son enfance, dont il connaît les paysans et les bergers, pauvres, fiers, laborieux, exploités par le hobereau du lieu, mais proches encore de leurs aïeux, les hors-la-loi romantiques, naguère encore seuls dépositaires de l’authenticité et de l’honneur national (Trois Vieillards, 1932 ; Je parle de héros, 1933 ; Deux Mains, 1950 ; Jeunesse, 1951).

Aussi Illyés est-il moins le poète de la révolution que celui de la jacquerie. Son héros d’élection (c’était aussi celui de E. Ady) est György Dózsa, qui, au xvie s., dirigea contre les seigneurs la « croisade » des paysans révoltés et qui, vaincu après d’éphémères victoires, fut rôti en place publique sur un trône dérisoire et donné à manger à ses compagnons sans avoir, comme Jeanne d’Arc, la satisfaction posthume de voir du haut des cieux triompher sa juste cause, Illyés lui consacre plusieurs poèmes — dont le fameux Discours de Dózsa sur la place de Cegléd — ainsi qu’une pièce de théâtre. Jamais le poète ne se départit entièrement de l’inquiétude et du sentiment de responsabilité qu’il éprouve envers sa nation : s’il compose un long poème, Au monument genevois de la Réformation, c’est, pour une large part, parce qu’à côté de Coligny et de Cromwell il y retrouve aussi la statue de Bocskai ; si l’« engloutissement » du peuple basque le fascine, c’est qu’il craint d’y lire l’avenir de son peuple. Et qui donc, à quelques pages de là, a conseillé à Illyés de remplacer par le « Partium » cette Transylvanie vers laquelle, dans une première version, Ady agonisant tournait son dernier regard (le Soir de Ady) ?

Mais la nation, c’est la langue. Rencontrant dans un train une jeune femme enceinte, Illyés ne peut s’empêcher de penser : « Peut-être Babits a-t-il ainsi autrefois vu ma mère. Il pensait qu’en elle vivait quelqu’un qui le porterait dans sa tête » (Vers Szekszárd). Cette langue, il en connaît, comme Arany, toutes les ressources et ne joue pas moins des néologismes que des vieux mots de terroir. Son vers, souvent véhément jusqu’à la discordance, n’est jamais aussi libre qu’il voudrait parfois nous le faire croire. « Cacophonie ? », dit-il de la musique de Bartók, interdite alors en Hongrie. « Va pour cacophonie, si c’est ainsi qu’ils appellent ce qui nous, nous console ! »

Tempérant, sans l’éteindre, le feu de sa jeunesse, la sérénité de l’âge confère aux plus récents écrits de cet agnostique admirateur des cathares une gravité intimiste et une dimension métaphysique inattendues.