Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

analyse (suite)

En 1861, Riemann signale qu’une fonction continue au sens de Cauchy n’est pas toujours dérivable et, en 1872, Karl Weierstrass (1815-1897) donne un exemple d’une fonction continue qui n’est dérivable en aucun point. Pour les fonctions de la variable complexe, Cauchy astreint ses « fonctions monogènes » à avoir une dérivée bien définie en chaque point non singulier (1846). Ses études sur les « intégrales définies prises entre des limites imaginaires » (1825) lui permettent de développer en série entière toute fonction holomorphe (1831). L’importance de ces travaux théoriques est sentie davantage grâce à l’introduction de nouvelles fonctions, les fonctions elliptiques. À la fondation du calcul infinitésimal, les seules fonctions connues (avant même l’invention du mot) sont les fonctions algébriques, où la variable x et la fonction y sont liées par une équation « algébrique » P(xy) = 0 (P étant un polynôme), les fonctions trigonométriques directes et inverses, les fonctions logarithmique et exponentielle. Les techniques nouvelles amènent l’apparition d’autres fonctions. Nées des travaux de Jacques Bernoulli, de Giulio Cesare Fagnano dei Toschi (1682-1766), d’Euler, de Lagrange, etc., sur la rectification des arcs de coniques ou de lemniscates, les fonctions elliptiques sont étudiées dès 1797 par Carl Friedrich Gauss (1777-1855) ; mais il ne fait rien connaître de ses travaux. Adrien Marie Le Gendre (1752-1833) cultive pendant quarante années cette branche de l’analyse. Il publie l’ensemble de ses travaux entre 1825 et 1832. À la même époque, se plaçant délibérément dans le domaine complexe, les jeunes Niels Abel (1802-1829) et Carl Jacobi (1804-1851) découvrent l’inversion des intégrales elliptiques et la double périodicité des fonctions inverses, celles que l’on appelle depuis les fonctions elliptiques. Leur étude fut approfondie par Joseph Liouville (1809-1882), Arthur Cayley (1821-1895), Karl Weierstrass (1815-1897), Charles Hermite (1822-1901). Elles fournissent à Henri Poincaré (1854-1912) et à Felix Klein (1849-1925) le modèle des fonctions fuchsiennes ou automorphes. À côté des fonctions elliptiques figurent les fonctions abéliennes et les fonctions algébriques dans le domaine complexe, étudiées particulièrement par Victor Puiseux (1820-1883) et par Riemann. La théorie générale des fonctions analytiques de la variable complexe a enfin en Weierstrass son grand théoricien. Quant aux fonctions de la variable réelle, elles trouvent leur fondement dans la théorie des ensembles de Cantor, et sont l’objet de prédilection de l’école française de Camille Jordan (1838-1922), de René Baire (1874-1932), d’Émile Borel (1871-1956) et de Henri Lebesgue (1875-1941). Avec Vito Volterra (1860-1940), on peut dire que le xixe s. est « le siècle de la théorie des fonctions ».


Intégrales définies

Si les géomètres de la première moitié du xviie s. utilisent dans la méthode des indivisibles des sommations d’éléments infiniment petits, Newton et Leibniz s’écartent de ces méthodes, donnent la primauté au calcul différentiel et font du calcul intégral l’inversion de celui-ci. En langage plus actuel, ils recherchent la primitive d’une fonction, ou l’intégrale indéfinie, les deux mots ayant le même sens. Avec Cauchy, on revient, dès 1823, aux conceptions anciennes. Celui-ci définit comme la limite de l’expression
S = (x1 – x0)f(x0) +...+ (X – xn–1)f(xn–1),
la fonction f(x) étant continue — au sens actuel — entre x0 et X,
x0 < x1 < x2 < ... < xn–1 < X,
et les différences x1 – x0, etc., tendant vers zéro. Cette définition de l’intégrale, qui rejoint au fond les conceptions d’Archimède, se révèle particulièrement féconde. Étendue par Cauchy à certains cas de discontinuité, elle l’est plus encore, en 1854, par Riemann. En 1875, Gaston Darboux (1842-1917) donne à la théorie de l’« intégrale de Riemann » son aspect à peu près définitif. Mais Thomas-Jan Stieltjes (1856-1894), en 1894, et Henri Lebesgue, en 1902, donnent deux extensions de la notion d’intégrale définie. L’intégrale de Lebesgue s’appuie sur la mesure des ensembles de points, théorie due à Georg Cantor, Camille Jordan, Émile Borel et Henri Lebesgue.


Les séries

Les mathématiciens du xviiie s. font un grand usage des séries, particulièrement des séries entières, et Lagrange, dans sa Théorie des fonctions analytiques (1797), en fait même le fondement de toute l’analyse. Cependant, on se fie totalement à la puissance de l’algorithme, sans se préoccuper suffisamment des conditions de convergence. Cela ne va pas sans créer des difficultés : Les séries divergentes sont diaboliques, et c’est une honte d’oser bâtir sur elles une démonstration, écrit Abel en 1826. La réaction se manifeste dès 1812 avec Gauss, puis avec Cauchy. Ce dernier définit avec précision la convergence des séries et en établit les critères généraux ainsi que les critères plus restreints dits « de d’Alembert » (utilisés par celui-ci en 1768 dans un cas particulier), et « de Cauchy » (1821). Mais ce sont surtout les « suites de Cauchy » qui seront capitales pour le développement ultérieur des mathématiques. Pour les séries à termes de signes quelconques ou complexes, Cauchy montre que, si la série des modules converge, la série proposée converge aussi. C’est la « convergence absolue ». Dirichlet établit en 1837 que la somme d’une série absolument convergente ne dépend pas de l’ordre des termes, tandis que, en 1866, Riemann prouve que si une série à termes réels converge, sans être absolument convergente, on peut, par la seule modification de l’ordre des termes, faire prendre à sa somme toute valeur arbitrairement choisie. Les recherches de Cauchy sur les séries générales sont une préparation méthodique à l’étude des séries entières. Mais, en ce domaine, son exposé est sujet, en 1821, à quelques faiblesses. Pour y obvier, sir George Gabriel Stokes (1819-1903), Ludwig Philipp von Seidel (1821-1896) et Dirichlet créent vers 1840 la notion de convergence uniforme.