Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

iconographie ou iconologie (suite)

Son œuvre n’est pas d’un accès facile, car elle est le fruit d’une immense érudition en des domaines très variés : philosophie, art, histoire, langues anciennes et modernes, philologie, sciences humaines. Suivant les enseignements de Cassirer, Panofsky confrontait incessamment ces connaissances à la rigueur d’une méthode scientifique. Brillant conférencier, directeur de travaux scrupuleux et dynamique, cet historien, par l’intermédiaire des chercheurs étrangers qu’il invitait à travailler à Princeton, a eu une influence mondiale sur la recherche en histoire de l’art.

Erwin Panofsky

(Hanovre 1892 - Princeton 1968). Il commença sa carrière universitaire par des études juridiques. Une conférence qu’il entendit sur Dürer décida de sa vocation d’historien d’art (Dürer fut d’ailleurs le sujet de sa thèse). Il dirigea les études d’histoire de l’art à la nouvelle université de Hambourg de 1926 à 1933 ; à cette date, son origine juive le fit radier de l’université par les nazis. Dès 1931, il enseignait aux États-Unis, dont il devint citoyen. Converti à la langue anglaise, il présida la section d’histoire de l’art de l’Institute for Advanced Study de Princeton de 1935 à 1962.

Ses principaux ouvrages sont Die Perspektive als symbolische Form (1924-25), Studies in Iconology : Humanistic Themes in the Art of the Renaissance (1939), Albrecht Dürer (1943), Abbot Suger on the Abbey Church of Saint-Denis and its Art Treasures (1946), Gothic Architecture and Scholasticism (1951), Early Netherlandish Painting, its Origin and Character (1953), Meaning in the Visual Arts (1955), Pandora’s Box : the Changing Aspects of a Mythical Symbol (en collaboration avec Dora Panofsky, 1956), Renaissance and Renascences in Western Art (1960), Tomb Sculpture, its Changing Aspects from Ancient Egypt to Bernini (1964).


La méthode iconologique d’après Panofsky

D’autres historiens d’art, par exemple Émile Mâle, avaient cherché et réussi à replacer les images dans leur contexte historique, littéraire, théologique. Panofsky, grâce à d’innombrables observations confrontées à un savoir encyclopédique et soumises à des critères scientifiques, dégage une « méthode iconologique ». Cette méthode est issue d’une réflexion philosophique sur le symbolisme de la forme. Elle permet non seulement d’éclairer la signification d’une image dans un contexte historique limité, mais de la comprendre comme l’expression d’une civilisation, en reconstituant sa genèse et son mode de transmission.

Exhumant le vieux terme d’iconologie, Panofsky lui donne un sens bien plus étendu, l’opposant à iconographie, comme ethnologie à ethnographie. La méthode d’analyse qu’il définit franchit trois étapes, correspondant chacune à un « niveau de signification ». La première est essentiellement descriptive : il s’agit d’identifier des formes à des objets (êtres humains, animaux, plantes, outils, etc.) ou encore les relations de ces objets entre eux, qui constituent un événement. L’expérience courante, directe ou passant par un moyen d’information tel qu’un dictionnaire suffit, avec la connaissance de l’histoire des styles, à cette première recherche, qui aboutit à caractériser le « motif » de l’œuvre d’art. Ainsi, un homme sur la tête duquel on pose une couronne peut être identifié comme un roi, l’événement comme son couronnement, et son costume ainsi que son environnement peuvent donner des éléments de datation.

L’analyse doit faire apparaître ensuite la signification « secondaire ou conventionnelle », c’est-à-dire identifier les histoires ou les allégories qui incarnent des thèmes ou des concepts. On doit alors généralement faire appel aux sources littéraires et connaître l’histoire des « types ». Pour reprendre notre exemple, le roi peut être couronné par deux femmes : l’une portant un rameau d’olivier et l’autre une balance, autrement dit la Paix et la Justice. Un texte historique peut nous apprendre que ce roi fut couronné après avoir signé une paix généreuse. Nous tirerons plus d’enseignement encore de cette image si nous en connaissons d’autres semblables, à diverses époques.

La découverte du « contenu » de l’image intervient en dernier ressort ; l’œuvre étudiée peut révéler l’appartenance de son auteur à une « mentalité de base » typique de sa situation dans l’espace et dans le temps, et plus ou moins partagée par ses contemporains. Cette mentalité peut se manifester par des nouveautés dans l’iconographie, dans la composition ou dans les deux. Ainsi, on peut opposer les compositions stratifiées de la peinture religieuse du Moyen Âge aux « gloires » baroques qui lient entre eux les niveaux terrestres et célestes jusqu’à les confondre, révélant par là des transformations dans la sensibilité religieuse et même dans la théologie. Ces variations se sont exprimées, à n’en pas douter, sur d’autres modes, littéraire, politique, etc. L’œuvre d’art, pour délivrer tout son enseignement de « symptôme culturel », doit donc être confrontée avec d’autres documents qui lui sont historiquement liés. Mais ces documents doivent être analysés, eux aussi, pour leur « contenu symbolique » et non de manière superficielle ; réciproquement, si l’on ne cherche dans la Reddition de Breda de Vélasquez que des données sur les armes et les costumes militaires au xviie s., on sous-emploie le document. Aussi Panofsky pense-t-il que les différentes disciplines doivent être placées sur le même plan et non se traiter mutuellement en servantes.

Cette méthode n’intéresserait-elle que la peinture à sujet ? Il est vrai que Panofsky a surtout exercé son esprit critique sur des œuvres du Moyen Âge, de la Renaissance et de l’âge classique — époques durant lesquelles les thèmes religieux, historiques, allégoriques avaient une place prépondérante. Cependant, même une nature morte peut exprimer plus que ce quelle offre à première vue. De nombreux travaux le prouvent, qui recherchent dans les natures mortes du xviie s. le symbolisme des instruments de musique, celui de la nourriture... Allons plus loin : ne parle-t-on pas d’« iconographie de l’art abstrait » ? On ne saurait, en effet, refuser un « contenu » aux œuvres de Kandinsky ou de Mondrian ; la tentative du premier est même ouvertement symbolique, comme le révèle son livre Du spirituel dans l’art. Toutefois, parmi les formes d’art contemporaines, Panofsky s’intéressait surtout au cinéma.