Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

iconographie ou iconologie (suite)

Claude François Ménestrier (1631-1705) devint jésuite à quinze ans. Très tôt connu pour sa science et sa rapidité d’esprit, il enseigna la rhétorique et les humanités à Chambéry, à Grenoble, à Vienne, à Lyon. Il devint bibliothécaire de l’important collège jésuite de cette dernière ville, qu’il quitta en 1669. Il visita l’Italie et l’Allemagne, en particulier leurs bibliothèques, et revint, chargé de notes, à Paris en 1670. La réputation de sa science en énigmes et en devises l’y avait précédé. Il faut se souvenir que l’énigme, l’emblème étaient les jeux de société favoris de cette époque et constituaient un élément essentiel de la culture d’une certaine classe sociale. Ce goût supposait une grande familiarité avec les classiques : les conventions du monde de l’énigme reposent sur des citations d’écrivains grecs et latins, invoqués à tout propos. S’agit-il de choisir une couleur ? Le vert représente la jeunesse ou la verdeur de la vieillesse, ou les cheveux des Néréides, chaque équivalence étant justifiée par un vers de Tibulle ou de Virgile.

L’emblématique peut être aussi l’écran filtreur de la propagande politique. Et c’est là sans doute une des causes de la faveur que connut l’œuvre — énorme (144 ouvrages) — de Ménestrier. Auteur de traités théoriques (l’Art des emblèmes [1662], la Philosophie des images [1682]), ordonnateur de fêtes (entrées et mariages), de funérailles des rois et des grands, de cérémonies religieuses, comme la béatification de François de Sales, Ménestrier, avec une imagination débordante qui le préservait des redites, sinon d’une certaine flagornerie, distribuait des louanges d’autant plus efficaces qu’elles apparaissaient sous forme de somptueux ballets, de pièces de théâtre, de feux d’artifice où jaillissaient les blasons des héros de fête.

L’iconologie, aux xvie et xviie s., était ainsi liée à l’apparition de formes nouvelles, l’activité créatrice trouvant dans le répertoire humaniste un support suffisant. Le Siècle des lumières eut à l’égard de l’image une attitude beaucoup plus archéologique : la création allégorique y manque souvent de spontanéité. Et le moment vint — dès la fin du xixe s. — où les images sur lesquelles était fondée l’iconologie de la Renaissance devinrent à leur tour impénétrables aux gens cultivés, comme celles de la chrétienté médiévale l’étaient devenues pour les bénédictins du xviiie s. C’est leur redécouverte qui servit de point de départ à la « méthode iconologique », sans que celle-ci fût, pour autant, liée à un type d’images particulier.

L’Allemagne fut à l’origine de cette méthode. L’historien d’art hambourgeois Aby Warburg (1866-1929), qui avait aussi une formation théologique, porta son attention sur un aspect peu connu de la civilisation du xvie s. : la transmission des croyances astrologiques de l’Antiquité à travers le Moyen Âge. Son interprétation des fresques du palais Schifanoia à Ferrare (Congrès international d’histoire de l’art, Rome, 1912), dont le programme iconographique était fondé sur des connaissances astrologiques de provenances variées — indiennes, arabes, etc. —, fut l’occasion d’élargir singulièrement le champ d’étude des images. Plus tard, la découverte de traces de ces croyances dans les écrits de réformateurs comme Luther et Melanchthon (croyances qui eurent une influence sur leur orientation politique et religieuse) conduisirent Warburg à révéler un nouvel aspect de la civilisation de la Renaissance. De quelle Antiquité l’investigation passionnée des humanistes se nourrissait-elle ? D’une Antiquité olympienne et archéologique, ou bien tiraillée entre les croyances et les superstitions, et par là plus proche du xvie s. ?

L’étude des images, ainsi entendue, conduit à la compréhension profonde d’une civilisation et non plus seulement à la découverte de symboles limités. Précisons que, pour Warburg, le sens du mot image s’étend à « toute création figurative ». Son attitude devant la recherche historique est assez moderne : son analyse suppose le recours à une histoire « verticale » qui mette en lumière, à l’inverse des découpages en tranches chronologiques, une continuité de l’Antiquité à la Renaissance à travers le Moyen Âge. Il faut aussi évoquer dans quel courant philosophique se situe son œuvre. Ce qu’elle doit à Nietzsche est indéniable : l’Origine de la tragédie est une révélation des aspects « dionysiaques », c’est-à-dire non classiques de l’Antiquité. Mais un ami de Warburg, le philosophe Ernst Cassirer (1874-1945), eut sur sa pensée une influence très profonde. Cassirer étudiait les manifestations culturelles comme des « formes symboliques » : un objet signifie toujours plus que son apparence et, convenablement étudié, traduit les préoccupations de ceux qui l’ont créé. De formation aussi scientifique que philosophique, Cassirer appliqua à l’étude des formes culturelles des critères jusque-là réservés à celle des sciences, l’espace et le nombre. Il rassembla aussi les données de sciences nouvelles comme l’anthropologie et la sociologie.

Le courant historique et philosophique créé à Hambourg par Warburg et Cassirer fut alimenté par la monumentale bibliothèque que constitua le premier. Fritz Saxl (1890-1948), disciple de Warburg, érigea cette bibliothèque en institut de recherche après la mort de ce dernier et la sauva des destructions nazies en la faisant transporter à Londres en 1933. L’institut Warburg est aujourd’hui intégré à l’université de Londres et est un des centres principaux de la recherche iconologique. Par ailleurs, la notion d’iconologie est aujourd’hui liée à l’œuvre d’un disciple de Warburg et de Cassirer, Erwin Panofsky.

Dans ses Essais d’iconologie, thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance (1939), Panofsky a expliqué comment il approchait l’œuvre d’art. Mais son activité ne se limite pas à la mise au point d’une méthode. L’étendue de ses préoccupations a beaucoup élargi l’horizon de l’histoire de l’art. Ses études sur Dürer, sur l’architecture gothique, sur les primitifs flamands traitent des questions d’ensemble, contenues dans des cadres chronologiques classiques — mais non limitées par ces cadres. Avec l’Œuvre d’art et ses significations, avec Renaissance et renaissances, Panofsky aborde un style de réflexion très voisin de celui de Warburg, à la fois diachronique et synoptique. S’il est apparu surtout comme l’historien de l’art classique, c’est qu’il a voulu lutter contre des conceptions à la fois nationalistes (minimisant le rôle de ce qui n’était pas allemand) et irrationalistes (celles-ci défendues par Wilhelm Worringer [1881-1965], qui, par ailleurs, eut une influence bénéfique sur l’art abstrait), très développées dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et qui heurtaient son sens de l’objectivité.